Les Chroniques de Bettina: 4ème Partie

Bettina

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Bettina a accepté de partager avec nous les chroniques de son burn-out. Retrouvez également le prologue de Marie Pezé, ainsi que la première, la deuxième et la .
Parfois j’avais tellement besoin de respirer mon souffle se bloquait, je courais m’enfermer dans les toilettes du bureau pour prendre le temps de respirer, je n’avais plus d’issue, c’était trop tard mon corps se détruisait de plus en plus; il saignait de partout, tout me faisait horriblement mal. Je ne supportais plus la sonnerie du téléphone, je savais pertinemment que si je répondais une tâche supplémentaire allait arriver. Je ne supportais plus d’entendre les gens se plaindre et pourtant je ne pouvais pas leur dire que je n’avais plus d’énergie et que je ne supportais plus leurs plaintes.
Mon cerveau tremblait, j’avais souvent des nausées, l’ordinateur, c’était une horreur d’avoir cette machine de torture devant mes yeux toute la journée, il m’arrivait parfois d’avoir envie de le balancer par la fenêtre.
Je n’avais plus la force de réagir, j’allais dans tous les sens, j’étais complètement perdue.
C’était comme si j’avais une plaque de ciment sur moi qui m’écrasait de plus en plus, j’étais au fond du ravin, je commençais à mourir.
Peu à peu je commençais à trouver des idées pour me faire mal et ne plus aller travailler. Il m’est souvent arrivé en attendant le train de regarder les rails et de me dire que si je me jetais toute cette souffrance s’arrêterait, mais je n’avais pas le courage, je crois même que la force me manquait pour arriver à faire ce geste.
Pourtant j’ai souvent essayé d’en parler mais je savais très bien que personne ne pourrait me comprendre, moi qui plaisantais tout le temps, qui étais une bonne vivante et qui mettais de l’ambiance partout où je passais. J’étais seule face à cette souffrance et chaque fois que j’essayais de dire que je n’allais pas bien, ça faisait rire, c’est normal – j’avais tellement donné une image positive et dynamique que mon entourage se disait que c’était juste une baisse de tonus; ce qui était vrai, en apparence, car le lendemain j’arrivais au bureau toute souriante et en pleine forme, prête à abattre des montagnes.
Pourtant mon corps me faisait de plus en plus mal, mes cervicales se bloquaient, dans ma tête il y avait comme des tas de fourmis qui mangeaient mon cerveau, j’avais très mal à la poitrine, des migraines terribles et en plus je tremblais tout le temps. J’avais toujours froid, mon corps était déchiré en lambeaux, il saignait de plus en plus, ma souffrance était horrible.
En plus au travail, les procédures s’alourdissaient de plus en plus créant par la même occasion une surcharge de travail. Le plus gros de mon travail était de préparer des dossiers, qui avant d’être acceptés, devaient passer devant une commission qui se réunissait toutes les semaines et qui était composée des membres de la Direction.
Mon travail consistait à prendre en charge les clients qui se déplaçaient à l’étranger ou en France et je devais respecter un standing tout en respectant les règles de limitation des prises en charge imposées par la loi.
J’avais donc mon Directeur qui me demandait de faire des choses à la limite de la faute professionnelle et la Direction savait très bien qu’elles étaient mes tâches mais ils faisaient comme s’ils ne savaient rien, et quand la Commission se réunissait, mes dossiers étaient complètement dépouillés. Si j’avais fait la moindre petite erreur, j’étais traitée comme un meurtrier devant un tribunal (toutes les assistantes travaillaient de la même façon), et je perdais par la même occasion toute la confiance de mon supérieur hiérarchique – à chaque fois c’était une tension horrible. Et comme par malheur, j’étais celle qui avait le plus grand nombre de dossiers.
Quelques semaines avant de craquer, le Directeur de la Division avait envoyé un mail à toutes les assistantes dans lequel il écrivait qu’il n’accepterait aucune erreur et que l’excellence était exigée, sur la préparation de nos dossiers; nous étions complètement seules à prendre toutes les responsabilités et à vérifier nos propres dossiers.
Je suis certaine aujourd’hui que c’est cette tension qui durait depuis de nombreuses années dans mon travail qui a fini par me tuer. Nos supérieurs étaient payés pour prendre toutes les responsabilités mais ils ne l’ont jamais fait. Le mien me disait toujours que j’étais la meilleure et très franchement ça marchait à chaque fois, mes collègues étaient moins dupes et prenaient moins de responsabilités que moi, donc elles avaient moins de pression. Au moment où je suis tombée malade je travaillais sur le dossier le plus important de l’année et j’avoue que la pression était à son maximum, je savais bien que mon corps me lâchait, je voulais seulement tenir encore trois semaines et là j’aurai pris quelques jours de vacances et tout serait reparti comme en 14, mais ce ne fût pas le cas.
Donc ce matin du vendredi 9 octobre 2010, j’arrive au bureau en pleine forme comme tous les matins, tout allait bien, en plus j’avais une réunion de travail qui se préparait avec détente complète (massages, balnéo, etc… enfin tout ce que j’aimais) le lundi et mardi, donc je n’avais plus que ça en tête, j’étais super contente.
A 9h50 mon téléphone sonne, c’est le médecin du travail qui me demande de descendre au 6ème étage (je travaillais au 7ème), dans le bureau juste à côté du service du personnel pour me faire vacciner contre la grippe. Me voilà donc partie pour me faire vacciner. J’arrive dans le bureau toute dynamique et le sourire aux lèvres comme à mon habitude. Je me fais vacciner et je ressors du bureau aussitôt – et là, quelque chose de bizarre commence à se produire, j’ai les oreilles qui sifflent et j’ai du mal à tenir debout, mais je me dis que c’est juste l’effet du vaccin, donc je sors du bureau et je prends l’escalier de secours pour monter au 7ème étage. Mais bizarrement, je n’y arrive pas, je commence à m’asseoir dans l’escalier et à m’agripper à la rampe pour ne pas tomber. J’ai dû mettre au moins 20 minutes pour monter cet étage, j’ai du m’asseoir 4 ou 5 fois. J’arrivais donc au 7ème étage et je me dirigeais tout droit à la cafétéria pour boire un verre d’eau, j’étais déjà tellement affaiblie que je ne voyais plus personne, j’entendais juste des voix; je commence donc à me servir un verre d’eau et je m’assois par terre. Là j’entendis des collègues qui me demandaient ce qui se qui ne va pas, puis ce fut le trou noir, je m’écroulais par terre.
Mon corps venait de mourir, il m’avait lâchée.
Je me souviens qu’à un certain moment, j’ai légèrement repris connaissance, et j’ai vu autour de moi le médecin du travail, et deux médecins qui travaillaient dans la société; il y avait également un certain nombre de Directeurs (ce jour là il y avait une réunion de la Direction). J’avais honte de ce qui m’arrivait mais malheureusement je n’arrivais plus à contrôler mon corps, mon cœur n’avait plus la force de battre, je respirais de plus en plus mal, j’avais fait trop de mal à mon corps et il venait de me laisser tomber. J’ai donc fini à l’hôpital ou là ils m’annoncèrent que c’était un BURN-OUT – je n’y comprenais vraiment rien, j’ai passé l’après-midi aux urgences et je devais voir un Psy mais j’avais avec moi une personne de la Direction qui s’impatientait, elle m’a donc conseillée de quitter l’hôpital et m’a invitée à dîner chez elle avec mon mari. Cette personne se sentait très responsable de ce qui venait de m’arriver, toutes les assistantes l’appelaient le « Bourreau », c’était elle qui décidait, toutes les semaines, si nos dossiers étaient bien montés ou pas.
Donc après ce dîner tout allait bien à nouveau… mais le lendemain j’avais beaucoup de mal à me lever, j’ai donc été consulter mon médecin généraliste qui a tout de suite compris que je faisais une dépression. Il m’a donc arrêtée 15 jours, mais je n’ai pas pris ça au sérieux, donc le lundi matin mon Directeur m’appelle pour me dire d’aller les retrouver en réunion dans l’Ouest de la France, et j’étais ravie de son invitation, j’allais prendre du bon temps et ça allait me faire du bien – je me suis donc dit, pourquoi pas. J’ai contacté la chef du personnel qui m’a déconseillée de bouger de la maison (je crois qu’elle avait compris ce qui venait de m’arriver). Par la suite j’ai même insisté pour traiter un dossier que j’avais en cours et je voulais absolument qu’on me le renvoie à la maison, je me sentais indispensable ; ce qui après coup n’était pas du tout le cas… J’ai très vite été remplacée.
Après ce moment là, une autre bagarre venait de débuter, celle avec les médecins qui n’y comprenaient rien en commençant par mon généraliste qui me dit encore après deux ans que mon état est dû à un traumatisme d’enfance. J’ai commencé donc à voir des tas de Psy qui me faisaient parler de mon enfance, mais surtout pas de ce qui venait de m’arriver, ça m’épuisait et je me sentais complètement incomprise.
En plus de ça le médecin conseil de la sécurité sociale s’y était mis également en me disant que le BURN OUT n’existe pas, que si j’étais dans cet état c’était uniquement dû à un traumatisme de mon enfance (encore un…) à tel point qu’un jour après une convocation à la sécurité sociale j’attendais de traverser la rue et un poids lourd arrivait à mon niveau, j’ai vraiment failli me jeter devant.
J’étais désorientée devant cette incompréhension et j’étais tellement faible que je n’arrivais pas à me battre. J’ai essayé à plusieurs reprises de lui expliquer mon état, je lui ai même écrit un long courrier ainsi qu’à mon médecin généraliste, mais ils n’y comprenaient rien.
En avril dernier, le médecin conseil, ne voyant aucune amélioration, décide donc de me mettre en consolidation avec un taux d’handicap de 8%. Il a cru qu’après ça j’aurais repris mon travail, parce que je n’avais pas le choix, mais mon état avait empiré. Ce fut pour moi un choc supplémentaire, il venait de me couper tous mes droits sans se soucier de ce que j’étais capable de faire, et là j’en étais arrivée au suicide.
Un jour j’étais seule chez moi et j’ai avalé des tas de comprimés. J’ai dormi et, quand je me suis réveillée, j’étais juste très barbouillée, je n’avais pas réussi à mourir. J’étais perdue et très seule, je ne pouvais rien faire, le médecin conseil m’avait dit qu’il était le seul décideur et que les médecins ne comprenaient rien. Dans mon désespoir, je me suis dit qu’il fallait vraiment que l’on m’aide et c’est là que j’ai trouvé un Psy qui me comprenait et avait vécu certaines des choses que j’ai vécues, donc on se comprenait… Elle m’a beaucoup épaulée, et je crois vraiment que sans elle, je ne serai pas là aujourd’hui.

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