Abattoirs : « Le rythme de travail des salariés n’est jamais remis en question »

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La maltraitance animale dénoncée par l’association L214 est la conséquence d’une logique de productivisme alimentaire et agricole qui affecte aussi, on l’oublie trop, les conditions de travail des employés des abattoirs, explique le sociologue Séverin Muller.

Le 22 mars 2016, une nouvelle vidéo mise en ligne par l’association L214 montrant des actes de maltraitance animale dans des abattoirs obligeait le ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll, à lancer une inspection nationale. Après six mois de travail, d’auditions et de visites « inopinées », la Commission d’enquête parlementaire sur les abattoirs a dévoilé le 20 septembre ses premières propositions pour résoudre ces dysfonctionnements et notamment « pallier l’insuffisance des contrôles des abattoirs et de transparence ». Pour Séverin Muller, sociologue qui a mené une étude au sein d’un abattoir industriel français, la priorité doit être la prise de conscience des conditions de travail des salariés.

Depuis quelques mois, la prise de conscience de la façon dont on traite les animaux dans les abattoirs agite les associations, les médias, les politiques, les citoyens… Est-ce une nouveauté ?

Séverin Muller : C’est un emballement qui ressurgit assez régulièrement en France, un pays qui consomme beaucoup de viande. Avant, ce n’était pas L214 mais la fondation Brigitte Bardot qui faisait des films, prenait des images assez dures et violentes, faites pour choquer le public. La première réaction lorsqu’on montre des actes violents autour de la mort, c’est de les condamner.

L’association L214 est cohérente dans sa démarche car leur souhait est qu’on cesse de consommer de la viande et qu’on arrête de tuer des animaux. Mais j’ai toujours considéré que c’était un débat très cynique. Ce qui me pose problème, c’est la propension à condamner la mise à mort des animaux quand par ailleurs la population se plait à avoir de la viande à bas coût dans son assiette chaque jour. Dans ce système productif, ces animaux ne sont déjà plus des animaux, ce sont des produits. Ils sont donc traités comme tels, à la fois par les ouvriers et par le système qui l’organise. C’est une parfaite hypocrisie.

L’installation de caméras de surveillance dans les abattoirs est-elle une solution pertinente ?

Historiquement, les abattoirs étaient un service public mais l’État a décidé de se désengager notamment au moment de la crise de la vache folle. Rompre avec cette surveillance publique de l’abattage impliquait la mise en place d’un système d’auto-contrôle. Ce n’est pas en mettant des caméras qu’on sortira de ce système. Si les solutions vont toujours dans le sens de plus de sécuritaire, plus de pressions sur les individus, rien ne changera sur le long terme. C’est un monde affolant. Vous imaginez bien qu’un salarié avec une caméra ne peut pas travailler sereinement. C’est déjà ce que vivent les caissières de supermarché. Cela s’apparentera évidemment à du contrôle du personnel.

Il existe des comportements inadaptés et moralement condamnables. J’ai le sentiment que c’est du même ordre que ce qu’on peut trouver dans des endroits comme les EHPAD, pour établir une comparaison peut-être étonnante. Quand les salariés ne sont pas assez nombreux pour s’occuper des personnes âgées, la situation se dégrade et on voit apparaître de mauvais traitements. Et dans les abattoirs, ce qui pose problème, c’est que le rythme de travail n’est jamais remis en question.

Estimez-vous que le bien-être animal est parfois mis en avant au détriment de celui des salariés des abattoirs ?

Les deux sont liés évidemment. De bonnes conditions de travail et une bonne formation sont indispensables. Je suis donc d’accord avec l’une des propositions qui s’attache à renforcer la formation et revaloriser ces métiers. C’est également important que les salariés soient sensibilisés à la question du bien-être animal mais sans qu’ils deviennent schizophrènes pour autant : c’est assez compliqué d’entendre qu’il faut bien traiter les animaux alors qu’on va les tuer la seconde d’après. Leurs conditions de travail sont déjà pénibles, le rythme infernal… Quand on doit tuer cinquante gros bovins par heure ou jusqu’à six cents porcins, c’est illusoire de penser qu’on peut le faire sans mauvais traitement. Ils ont un sens tout à fait aigu de la charge que représente leur tâche. Ils ont bien conscience qu’il faut tuer les animaux pour nourrir la population tout en sachant qu’ils font un sale boulot, un travail stigmatisé et dégradé dans la société.


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