Alain Damasio : « Il faut faire le deuil d'une conception totalement absurde du travail »

Artistes du Travail, Emploi et Chômage

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« Extravaillance ». À comprendre dans le sens de « ex-travaillance ». Le titre de l’exposition d’Alain Damasio, Nobert Merjagnan et Didier Fiuza Faustino présentée dans le cadre de la 10ème Biennale Internationale Design de Saint-Etienne donne tout de suite le ton au spectateur : le travail tel qu’on le connaît aujourd’hui, à savoir l’emploi salarié aliénant, synonyme d’effort et de souffrance, appartient au passé.

Et au cas où le jeu de mot ne serait pas assez clair, le sous-titre de l’exposition (« Working Dead ») finira d’achever les espoirs des spectateurs les plus convaincus des vertus du capitalisme. L’heure est plutôt à la robotisation des tâches et à la libération de la créativité humaine par la réappropriation des savoir-faire et la valorisation des activités de chacun, nous dit l’écrivain de science-fiction Alain Damasio.
« Working Promesse ». Tel est le thème de la Biennale Design de Saint-Étienne 2017. Parmi les attractions phares de cette 10ème édition, la création intitulée « Extravaillance. Working Dead » explore les mutations du travail dans un futur allant jusqu’en 2200. Malgré son titre et son ambition, cette création détonne puisque le visiteur ne trouvera ici aucun objet de design, aucune oeuvre matérielle à laquelle se raccrocher. Ici, on laisse libre court à l’imagination pour se représenter le futur du travail, avec nos oreilles comme seuls guides. Une vingtaine de comédiens ont prêté leurs voix aux textes de neuf écrivains de science-fiction, tous membres du collectif Zanzibar.
Le spectateur doit prendre le temps de s’immerger dans cet espace de « design sonore », confortablement installé dans l’une des cinq stations d’écoute scénographiées par Didier Fiuza Faustino. Couleurs « flat », faux-plafonds, éclairage au néon, sièges inclinés à 127 degrés (l’angle idéal pour libérer son cerveau de la gravité et être le plus créatif)… La grammaire absolue du bureau est bien présente dans cette sobre scénographie. Comme pour rassembler dans son mausolée les reliquats du travail tel qu’on le conçoit encore aujourd’hui. Auteur de science-fiction et co-commissaire de cette exposition, Alain Damasio nous en dit plus sur l’ambition de cette « Extravaillance ».

Usbek & Rica : Que signifie exactement ce titre, « Extravaillance » ? Faut-il l’entendre comme la traduction d’une conception du travail dépassée ?

Oui, c’est un mot imaginé pour donner aux gens le courage de faire le deuil d’une conception totalement absurde du travail. On recoupe les thèses accélérationnistes selon lesquelles il faut automatiser au maximum nos activités pour débarrasser l’homme de tâches qui seront, de toute façon, robotisées. Soit tu donnes aux êtres humains des tâches machinales absurdes qui mènent tout le monde au burn out, soit tu acceptes et tu accélères le processus en libérant du temps et de la liberté pour l’homme, grâce au revenu universel par exemple.

Donc le futur sera forcément peuplé de machines ?

Oui, de machines dont on peut accepter qu’elles nous libèrent d’une grande partie du travail répétitif et mécanisable.

Est-ce que tous les auteurs du collectif Zanzibar partagent cette même vision critique du travail ?

Dans notre collectif, il y a une sorte de réseau affinitaire assez fort autour d’une perception politiquement très à gauche. Avec la volonté de passer dans le post-capitalisme. Donc ça crée une forme d’unité, même s’il y a des sensibilités plus anarchistes, plus socialistes ou plus communistes. Olivier Peyricot (le directeur scientifique de la Cité du Design, ndlr) partage cette sensibilité, et je trouve qu’il a réussi dans cette Biennale à mener une vision critique forte. On n’est pas dans l’illusion du plein emploi et du travail entendu comme une « libération ».

Est-ce que la question du travail est souvent abordée dans la science-fiction contemporaine ?

Non, assez peu. Le recueil que l’on publie avec le collectif Zanzibar (Au bal des actifs, demain le travail, aux éditions La Volte) est le premier recueil qui regroupe autant de textes sur cette question qui est centrale finalement.

Pouvez-vous décrire l’espace qu’occupe l’exposition « Extravaillance. Working Dead » à la Biennale du Design?

Nous avons créé cinq stations d’écoute, qui permettent de balayer un ensemble de thèmes autour de l’avenir du travail, de 2017 à 2200. Le premier espace, baptisé « Chaosmose », plonge les gens dans le même état que les vidéos ASMR (Autonomous Sensory Meridian Response, ndlr) qu’on peut trouver en ligne : avec un discours chuchoté par une voix très douce, on te fait rentrer dans une forme de détente manipulatoire. C’est de la psychologie comportementale, destinée aux « créatifs AAA », les seuls qui garderont un travail en 2050 selon nous. Dans une position de détente, on amolit et on relaxe le cerveau, on le met dans une logique de dévotion pour l’entreprise.

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