Épuisement professionnel, burn out : quels chiffres et quel sens ?

Burn Out, Christophe Dejours, Stress Travail et Santé

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Ce n’est pas le moindre mérite de la mission parlementaire sur « l’épuisement professionnel » que de chercher à définir et à cerner ce mal social. Mardi, Christophe Dejours, du Cnam, et François Bourdillon, directeur de Santé publique France, ont essayé d’éclaircir cette notion et celle du burn out. La souffrance psychique toucherait plus de 3 femmes actives sur 100.

Créée en mars 2016 par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, la mission d’information parlementaire sur « le syndrome d’épuisement professionnel » a poursuivi mardi ses auditions, entamées en juillet dernier, en vue d’un rapport qui devrait être remis en décembre prochain (*). Bien peu de parlementaires étaient présents, à l’exception du président de la mission, Yves Censi (LR), et de son rapporteur, Gérard Sebaoun (PS), pour écouter mardi matin les experts auditionnés (voir la vidéo ici). A croire que le travail, une fois refermé le débat sur la loi du même nom, ne fait plus recette. Dommage : il n’est que de voir le succès rencontré par les initiatives syndicales sur le monde du travail, qu’il s’agisse de l’enquête CFDT ou de la campagne de l’UGICT-CGT sur l’inégalité professionnelle persistante entre femmes et hommes, pour saisir que le travail au quotidien suscite toujours l’intérêt des salariés. D’autant que les analyses apportées sur le sujet de l’épuisement professionnel ont été intéressantes, c’est pourquoi nous vous proposons ici un compte-rendu de cette audition.

315 cas reconnus mais peut-être 490 000 cas d’épuisement professionnel par an !

Que recouvre cette notion d’épuisement professionnel ? Bien malin qui saurait en donner une définition rigoureuse et acceptée par tous. C’est d’ailleurs bien le problème que pointe François Bourdillon, le directeur général de Santé publique France (**), agence qui mène des études visant à quantifier ces syndromes : « L’épidémiologie consiste à pouvoir compter et pour cela il est crucial de pouvoir définir ce qu’on va chercher à dénombrer, à évaluer. Mais le syndrome d’épuisement professionnel, ou le burn out, ne constitue pas à proprement parler une maladie puisque la souffrance mentale au travail ne figure dans aucun tableau de maladie professionnelle ». Pour autant, poursuit-il, ces syndromes liés au travail existent, du mal être aux troubles anxieux voire somatiques, lorsque l’angoisse provoque maladies cardio-vasculaires et même parfois des TMS (troubles musculo-squelettiques).

L’assurance-maladie a d’ailleurs reconnu, au titre des maladies professionnelles, 315 cas d’affections psychiques en lien avec une maladie professionnelle en 2015. Un chiffre à rapporter à l’estimation du nombre annuel de cas de souffrances psychiques liées au travail : environ 490 000 ! Une estimation qui projette au niveau national les résultats d’un réseau de veille mis en place dans 15 régions via les médecins du travail (***). Ces résultats montrent, a expliqué François Bourdillon, une progression des cas de 2007 à 2012 qui représenteraient de 2,3% à 3,1% pour les femmes et 1,1% à 1,4% pour les hommes, soit un taux de prévalence deux fois supérieur pour les femmes. Dans le bulletin épidémiologique qui résume cette étude, on peut lire : « La souffrance psychique au travail touchait en 2012 plus de 3 femmes actives salariées sur 100 et plus de 1 homme actif salarié sur 100 » (voir ci-dessous notre infographie).

Pourquoi une telle progression en 5 ans ? « On peut avancer deux raisons possibles. D’abord, les salariés, mais aussi les médecins, sont plus sensibilisés à ces questions de souffrance psychique et ils en parleraient donc davantage. Ensuite, il y aurait une détérioration effective des conditions de travail en France ». Mais ces chiffres paraissent aux chercheurs encore trop peu solides pour tenter d’y chercher un quelconque effet entre ces risques psychosociaux et l’évolution de la législation française.

Le burn out concerne à l’origine les toxicomanes, puis les infirmières et travailleurs sociaux

Christophe Dejours, professeur titulaire de la chaire pyschanalyse et santé au travail du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), a pour sa part distingué le burn out et l’épuisement professionnel. Le burn out, a-t-il dit, est un symptôme décrit à la fin des années 80 qui concernait des infirmières et travailleurs sociaux engagés dans l’accompagnement de malades ou de personnes en grande difficulté (toxicomanes, par exemple). « Après une période d’enthousiasme dans l’engagement auprès des autres, ces travailleurs sociaux et ces infirmières vivaient une période d’épuisement sans doute en relation avec l’échec devant les pathologies chroniques, la pauvreté, les rechutes des toxicomanes », poursuit Christophe Dejours.

Ce dernier rappelle que le terme burn out désignait ces personnes (par exemple les toxicomanes) « qui se grillaient » sans qu’un tiers puisse rien y faire. C’est un médecin américain qui a retourné le terme pour l’appliquer aux aidants eux-mêmes : « A force de s’épuiser dans l’aide et dans l’échec, il survient chez les infirmières et travailleurs sociaux une crise de motivation, et une crise dans le rapport subjectif au travail qui se traduit par une dépression ». Cette expression et cette notion ont par la suite été étendues, de façon abusive aux yeux du chercheur du Cnam, à toute la sphère des relations de service, qu’il s’agisse du service commercial, du service de la Justice, etc. Mais Christophe Dejours pointe une différence fondamentale : « Une relation de service n’est pas une relation de soin. Par exemple, un salarié d’un service clientèle a certes des sollicitations importantes du point de vue psychique mais parler de burn out à ce propos est une extension abusive. Le burn out est devenu le mot à la mode pour désigner toute forme d’épuisement professionnel et de dépression mais on ne sait plus très bien ce que ça veut dire ».

L’épuisement professionnel et la charge de travail

Quant à l’épuisement professionnel, Christophe Dejours rappelle qu’il s’agit d’une question déjà ancienne, apparue avec le capitalisme du XIXe siècle et des journées de travail qui duraient jusqu’à 16 heures en épuisant femmes et enfants. La réduction du temps de travail apparaît au XXe siècle, poursuit le chercheur, comme une façon de traiter la question de l’épuisement professionnel. Le paradoxe est donc grand à voir cette question resurgir aujourd’hui, alors que le temps travaillé a baissé. « Mais l’épuisement professionnel est-il une pathologie ? » l’a interrogé le député Yves Censi. « J’ai du mal à répondre à votre question car l’épuisement professionnel est non seulement un état mais il recouvre aussi les conséquences de cet état. Cet épuisement peut être une étape qui conduit à des complications, peut être même jusqu’à des cas de suicides au travail », répond Christophe Dejours. Ce dernier se réfère au Japon où ce sont les juristes, et non pas des médecins cliniciens, qui ont cherché les preuves du lien entre surcharge de travail et suicides. En France, l’exemple du suicide d’un ingénieur chez Renault a démontré, poursuit le psychanalyste, le rapport entre surcharge au travail et suicide : « A partir d’un certain niveau d’intensité et de durée de cette surcharge de travail, ce sont les défenses de l’individu qui s’effondrent. La personne n’est plus en mesure de se défendre contre les effets délétères de l’épuisement. Entre la surcharge d’un côté et des objectifs inatteignables de l’autre, les capacités d’inventer des stratégies pour supporter la situation ou la contourner sont hors jeu et la personne ne trouve pas d’autre issue que le suicide pour sortir de la situation où elle est plongée » (voir à se sujet notre interview de Rachel Saada, l’avocate de la famille de l’ingénieur de Renault).

Lire la suite sur le site Actuel – Comité d’Entreprise, un journal en ligne des Éditions législatives.


(*) Objectifs que se donne cette mission : « Mieux cerner les définitions de l’épuisement professionnel, procéder à un état de la situation actuelle sur l’ensemble des champs concernés, mieux connaître les intervenants et leurs actions, décrire et comprendre les différents modes de prises en charge ». La mission entend aussi faire le point « sur la reconnaissance et la réparation » et « formulera des propositions d’amélioration ».
(**) Santé publique France est « la nouvelle agence de santé publique au service des populations ». Elle se concentre sur les questions épidémiologiques afin de laisser la question de la prévention des maladies professionnelles à l’Anact et à l’INRS.
(***) Ces données concernent la souffrance psychique en lien avec le travail chez les salariés actifs en France entre 2007 et 2012, étude publiée par l’institut de veille sanitaire dans le cadre de sa mission de surveillance épidémiologique des risques professionnels (voir l’article ici).

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