Les salariés doivent apprendre à protéger leur santé au travail, ainsi que celle de leurs collègues (article L4122-1 du code du travail). Ils doivent être à la fois avertis de leurs droits et de leurs devoirs vis à vis d’eux-mêmes et des autres. L’association DCTH «Souffrance et Travail» et les Cafés Théma sont sur le terrain pour les informer, car reconstruire une solidarité est une urgence !
À l’heure où le salarié va perdre quelques acteurs essentiels pour protéger sa santé au travail (membres du CHSCT, visite chez le médecin du travail tous les 5 ans, plus de visite d’embauche, mais une simple information, moins d’inspecteurs du travail…), à l’heure où l’on dénature ces véritables acteurs de la santé au travail en chief happiness et autres emballages softs et donc inefficaces, DCTH, association qui œuvre depuis 2010 pour la diffusion des connaissances sur le travail humain, par le biais du site www.souffrance-et-travail.com, a décidé d’aller sur le territoire à la rencontre des salariés pour continuer à transmettre ses connaissances et faire de celui que l’on appelle “la partie faible” dans le contrat de travail, un salarié averti, une sentinelle de territoire.
Il y a 20 ans, naissait la première consultation “Souffrance et Travail”
La première consultation “Souffrance et Travail” est née au Centre d’accueil et de soins hospitaliers de Nanterre, en 1996, qui accueillait ceux qu’on appelait encore des clochards, pas encore des SDF, bref les naufragés de Patrick Declerck. Pour ces travailleurs qui avaient basculé hors du monde, il fallait une inventivité clinique sans relâche : Samu social, consultations de la précarité, consultations “Souffrance et Travail” ne pouvaient naître que là.
Dès cette époque, les patients accueillis dans cette consultation présentent des pathologies criantes, caricaturales, dans le département le plus riche de France, les Hauts-de-Seine (92) : travail sous contrainte de temps, harcèlement, emploi précaire, déqualification, chômage… semblent leur lot quotidien. Les récits sont les mêmes dans la bouche des accidentés du travail, des ouvrières atteintes de TMS (Troubles musculosquelettiques) et des cadres du quartier d’affaires de La Défense.
Des salariés… en apnée, la peur au ventre
Les patients présentent de spectaculaires tableaux de temps de guerre, les yeux hagards, en apnée, la peur au ventre. Ils évitent le quartier de leur entreprise ou bien ne sortent même plus. Car pour eux, dehors, tout fait sens, la couleur de cette voiture dans la rue est celle du N+1, ce parfum croisé sur le trottoir est celui de la collègue qui baisse les yeux quand ils sont humiliés en public, ce bruit métallique est celui qui résonne dans l’atelier quand le chef les insulte. Et l’angoisse alors surgit, incontrôlable ! La nuit, ils rêvent de couloirs où les épaules coincées, ils en sont rendus à attendre la boule blanche qui arrive de l’horizon et va les décapiter.
Que se passait-t-il dans le monde du travail ? Que leur faisait-on ?
Les pathologies présentées semblaient issues plutôt de violences collectives que de névroses personnelles, violences collectives qui dans les grandes entreprises de La Défense semblaient sacrément orchestrées.
Face au déni : bâtir un réseau !
Le parcours de cette première consultation a été solitaire, car personne dans la communauté scientifique ne partageait mon point de vue.
“Marie, vos patients harcelés sont de petits paranoïaques !”, me disaient mes correspondants psychiatres formés à traiter des structures. “Des salariés fragiles”, répondaient les employeurs formatés à trancher entre fort et faible.
Il fallut bâtir très vite un réseau et un groupe de réflexion pour tenir. Médecins, avocats, inspecteurs du travail, MIRTMO (médecin inspecteur régional du travail et de la main-d’œuvre), psychologues… pour construire la liste des techniques de management pathogènes, l’entretien spécifique à utiliser, le tableau clinique spécifique aux situations de harcèlement professionnel, la coopération médico-juridique, les ficelles médico-administratives, autant d’outils issus du travail de ce groupe.
Parce qu’on ne nous croyait pas, et que nous pressentions de plus graves violences à venir, nous avons ouvert nos consultations aux documentaristes. Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés, de Sophie BRUNEAU et Marc Antoine ROUDIL, J’ai très mal au travail, de Jean-Michel CARRÉ, La Mise à mort du travail, de Jean-Robert VIALLET et Alice ODIOT, qui obtiendra le prix Albert Londres.
Défenestrations, immolations… “Mais c’est un chiffre normal de suicides !”
En 2006, les événements ont tragiquement donné raison à notre intuition de sentinelles de territoire. Il fallut atteindre un nombre de suicides incroyable, et de cadres, pour que l’on voie se multiplier les unes des journaux, se réunir plusieurs commissions parlementaires.
Les vagues de suicides de cadres sont plus ennuyeuses à expliquer. Les fidèles courroies de transmission, formées très tôt au sentiment d’appartenance à l’élite, semblaient être les championnes de la performance individuelle, du reporting, du benchmarking entre les salariés. Pourquoi craquaient-elles soudain jusqu’à se défenestrer ou s’immoler ? Nous avons vu ressortir les bonnes vieilles explications, les fonctionnaires qui ne veulent pas s’adapter au changement, la fragilité individuelle, les problèmes personnels… De savants calculs statistiques qui tentaient de dédramatiser le constat : “Mais c’est un chiffre normal de suicides !”
Nous connaissons le poids des stéréotypes qui irriguent la réflexion sur le travail dans ce pays. Ils ont la vie dure : le Français ne penserait qu’à ses congés, alors qu’il est 4e en productivité horaire au rang mondial ; le code du travail serait un obstacle au licenciement, alors que les milliers de patients reçus dans les 130 consultations “Souffrance et Travail” sont licenciés ; le salarié français devrait se contenter d’obéir aux procédures et tout irait mieux, alors que c’est parce que, chaque jour, des femmes et des hommes de ce pays rajoutent leur travail réel à la tache prescrite que les hôpitaux, les ateliers, les services tournent…
Un nombre croissant de consultations “Souffrance et Travail”
Pourtant, sous la masse des demandes, le nombre des consultations “Souffrance et Travail” n’a cessé de s’accroître. Le premier certificat de spécialisation en psychopathologie du travail est créé au CNAM en 2008 à la demande de Christophe DEJOURS pour former des cliniciens pointus.
Le site Souffrance et Travail (www.souffrance-et-travail.com) est créé en 2010 pour mettre en ligne des connaissances juridiques, psychologiques, ergonomiques, économiques sur le travail humain. Les 60 000 connexions mensuelles de plus de 45 minutes témoignent de la demande de terrain. C’est sur ce site que sont mises en ligne les 130 consultations “Souffrance et Travail”, puisque ni le ministère de la Santé, ni celui du Travail ne relayent leur existence pour faciliter l’accès au soin.
Heureusement, les réseaux sociaux peuvent de nos jours court-circuiter la défaillance des institutions, la cécité des instances.
Comprendre, surmonter et vaincre la peur
Il est sûrement tentant, défensivement ou stratégiquement, de tenir un discours plus léger, positif uniquement, de parler de qualité de vie au travail. D’opposer aux plaintes des salariés des questionnaires quantitatifs de tous ordres, de mettre en place des lignes d’écoute vertes ou bleues, du coaching, bientôt des tests génétiques, des mesures du taux de cortisol du salarié !
Mais il n’empêche, ce dont parlent les salariés qui viennent consulter, c’est de leur peur. La peur au travail a été si savamment distillée par les guides de management que nous en sommes, à tous les niveaux hiérarchiques, les courroies de transmission. Il règne dans ce pays une conviction managériale reposant sur la certitude qu’un salarié heureux risquerait de s’endormir et qu’il faut entretenir sa “précarité subjective”, l’empêcher de se stabiliser dans son travail, spatialement, géographiquement, émotionnellement, collectivement. L ’utilisation individualisée des entretiens d’évaluation, la désagrégation des collectifs, la masse grandissante des chômeurs, la vision des SDF y contribuent. L’invisibilité de cette peur sociale organise la société du consentement, de la capitulation, du mépris de soi et des autres. La peur organise l’adhésion à des mises au ban pour sauver sa peau, sa place.
Il faut pouvoir surmonter sa peur. Peur de ne pas y arriver, de perdre son travail.
Pour surmonter sa peur, il faut d’abord la comprendre : savoir de quoi on a peur, comment on nous fait peur, comment on construit la solitude au travail. La peur que nous éprouvons tous, à un moment ou à un autre, se nourrit de la solitude entretenue, de l’absence de la possibilité même de délibération autour du travail, sur la manière dont on se débrouille avec lui. Sur les entorses nécessaires aux procédures, aux normes. Sur les impasses, les échecs et les difficultés que nous rencontrons.
L’affaiblissement des acteurs en charge de la protection physique et mentale des salariés, la difficile reconnaissance des pathologies imputables au travail, l’utilisation à dose homéopathique des chiffres de l’enquête SUMER (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques), pourtant prédictifs, participent à la construction de l’ignorance sur les conditions de travail pathogènes et les pathologies spécifiques qui en découlent.
Le nouveau Plan Santé Travail 3 (PST3 2016-2020) opérait pourtant un renversement de perspective sur la santé au travail : alors que la culture de prévention demeure en France encore globalement en mode mineur, il fixait comme l’un des objectifs principaux, l’appropriation effective par tous les acteurs d’une culture de la prévention primaire
Mobiliser des sentinelles : les Cafés Citoyens “Santé et Travail”
Il nous est donc apparu évident que le maillon essentiel de résistance à mobiliser demeure le sujet qui travaille. Chacun de nous s’est-il vraiment saisi, à son niveau individuel, de la dégradation de son travail ? Sommes-nous quittes de nos petits silences quotidiens, de nos petites cécités, de nos têtes tournées ailleurs quand il faudrait regarder ? Sommes-nous indemnes de nos petits consentements? Pourquoi ne nous intéressons-nous à notre contrat de travail, à ce qu’est une convention collective, à nos droits et à nos devoirs qu’une fois enfoncés dans les difficultés, un conflit, une situation de harcèlement ?
Depuis le mois de septembre 2017, nous avons donc lancé des Cafés Citoyens “Santé et Travail” pour venir à votre rencontre tous les mois, vous transmettre nos savoir-faire et vous rappeler l’article L 4122 du Code du travail :
“…il incombe à chaque travailleur de prendre soin, en fonction de sa formation et selon ses possibilités, de sa santé et de sa sécurité ainsi que de celles des autres personnes concernées par ses actes ou ses omissions au travail.”
Être averti de ses droits et de ses devoirs, des acteurs de l’entreprise, de leurs rôles et missions, des acteurs externes, des lieux d’écoute, devenir soi-même une sentinelle de terrain solidaire du collègue assis au bureau d’à côté et qui ne parle plus à personne depuis des semaines, connaître les techniques pour l’aborder, savoir les démarches à accomplir, va devenir une absolue nécessité puisqu’on organise l’invisibilité des atteintes à la santé physique et mentale des travailleurs.
Nous espérons que ces rencontres de terrain vont vous donner les connaissances incontournables pour travailler, en 2018, les réflexes pour protéger votre santé et votre vitalité, l’envie de devenir une sentinelle de territoire, soucieuse de sa santé et de celle des autres.
L’agenda 2017 des Cafés Citoyens “Santé & Travail”
- Mardi 18 septembre et lundi 9 octobre 2017 : Burn-out partout, burn-out nulle part. Avec Marie PEZÉ, psychologue.
- Mercredi 11 octobre 2017 : Souffrance au travail : se défendre dans l’entreprise, présenter son dossier aux juges, comment faire ? Avec Rachel SAADA, avocate.
- Jeudi 16 novembre 2017 : Harcèlement sexuel au travail : de quoi on parle ? Comment se défendre ? Avec Marilyn BALDECK (Association contre les violences faites aux femmes au travail) et Maude BECKERS, avocate.
- Mercredi 6 décembre 2017 : Que dire sur le harcèlement moral en 2017 ? Avec Marie-France HIRIGOYEN, médecin psychiatre, psychanalyste, spécialiste du harcèlement moral. Elle est, entre autres, chargée de cours de victimologie à l’université Paris 5-René Descartes.
Pour 2018 :
- Mardi 16 janvier 2018 : Le silence des hommes derrière le bruit des machines. Avec Jean AUROUX, ancien ministre du travail.
- Mardi 13 février 2018 : Les sources de la souffrance au travail à l’heure de la révolution managériale. Avec Vincent de GAULEJAC, professeur émérite à l’université Paris 7-Denis Diderot, président du Réseau international de sociologie clinique (RISC).
En prévision :
- Le burn-out des soignants (la souffrance dans le milieu hospitalier)
- Le suicide au travail
- Mentir au travail
- Souffrir au travail n’est pas une fatalité
- La fatigue au travail : de quoi parle-t-on vraiment ?
- La souffrance au travail dans la Fonction publique : quelles particularités ?
- La qualité de vie au travail, d’où ça vient ?
- La comédie humaine dans le monde du travail
- Les techniques de management pathogènes
- La souffrance éthique des RH au travail
- Les crimes industriels
- Déconstruire la peur au travail
- Devenir un salarié averti pour ne plus souffrir au travail
- Souffrance au travail : la médiation comme accompagnement individuel et/ou moyen d’intervention dans l’entreprise.
- Êtes-vous Corporate ? Rencontre avec le scénariste du film Corporate et Jean-Louis OSVATH, Président de l’association L611-10 – Inspecteur du travail et conseiller du film.
Informations pratiques :
- Les Cafés Citoyens “Santé et Travail” se déroulent au café Le Balbuzard, 54 rue René Boulanger, 75010 Paris, métro République, de 20h à 21h30.
- La participation est payante, au tarif de 10 €, à verser le soir de la conférence.
- Inscription obligatoire en écrivant à cafe.sante.travail@gmail.com
- Relations presse et organisation des Cafés Citoyens “Santé et Travail” : Céline Raux-Samaan celine.rauxsamaan@gmail.com et P. Sawicky.