Mettre en place le référent harcèlement sexuel, une vraie réflexion de fond à engager, pour plus d'efficacité

Dans la Loi, Harcèlement Sexuel

Partager cet article :

Le législateur a décidé, dans sa grande sagesse, d’ajouter avec prise d’effet au 01 janvier 2020, un nouveau relais des salariés en entreprise en matière de prévention des risques professionnels.

En effet, après la création du salarié référent en sécurité au travail en 2012, « salarié compétent pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise » (articles L4644-1 et R4644-1 du code du travail), deux nouveaux référents en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes, ont été mis au monde en 2018 par le jeu des dispositions des articles L2314-1 et L1153-5-1 du code du travail.

Article L2314-1 : Le comité social et économique comprend l’employeur et une délégation du personnel comportant un nombre de membres déterminé par décret en Conseil d’État compte tenu du nombre des salariés.

La délégation du personnel comporte un nombre égal de titulaires et de suppléants. Le suppléant assiste aux réunions en l’absence du titulaire.

Le nombre de membres et le nombre d’heures de délégation peuvent être modifiés par accord dans les conditions prévues par l’article L. 2314-7.

Un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes

Un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes est désigné par le comité social et économique parmi ses membres, sous la forme d’une résolution adoptée selon les modalités définies à l’article L. 2315-32, pour une durée qui prend fin avec celle du mandat des membres élus du comité.

Article L1153-5-1 : Dans toute entreprise employant au moins deux cent cinquante salariés est désigné un référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes.

Si l’on se poste dans l’esprit louable de continuer à informer de leurs droits les victimes de tels agissements, à les accompagner, à les aider à sortir du mutisme imposé par la solitude ressentie et vécue subséquemment aux agissements subis, mais aussi à afficher le caractère intolérable, inadmissible et illégal de ces pratiques, et à résoudre et sanctionner ces comportements dans l’entreprise, on ne peut que se féliciter d’une telle multiplication d’acteurs internes qu’il est possible de voir s’investir dans ces dossiers.

Notons tout d’abord que ce double poste ne concerne pas les autres harcèlements, ni moral ni discriminatoire, sauf à considérer – et la loi ne le fait pas spécifiquement dans ces deux textes -, qu’il y a toujours du harcèlement moral et de la discrimination sexiste dans le harcèlement sexuel.

Exit, donc, le référent risques psychosociaux, par exemple, qui pourrait tisser des liens entre des facteurs d’organisation du travail permettant ce type de comportements sexistes ou sexués et le fait qu’ils soient tolérés (parfois encouragés), et la possibilité que de tels actes adviennent. Or, on sait qu’il n’y a pas de harcèlement dans une organisation du travail qui ne le permet pas et qui a construit et affirmé des frontières pour l’éviter, et notamment en matière de contrôle de la hiérarchie (puisque ce type de harcèlement est souvent descendant), de recueil respectueux de la parole et de traitement de la plainte. On demeure ainsi sur l’inter-individuel, du postulat du méchant harceleur sexuel contre la pauvre victime (ou de l’inverse), et toute la psychologisation qui préside alors à l’analyse de ce type de situations. Et si l’on peut estimer pouvoir compter sur l’empathie des personnes qui vont s’investir dans un tel rôle (surtout si elles sont volontaires), psychologue demeure un métier que n’est pas capable d’exercer n’importe qui au débotté. Se pose donc évidemment de façon complémentaire la question de la formation de ces nouveaux acteurs, mais aussi d’un éventuel glissement de la responsabilité juridique au regard de celle de l’employeur en matière de prévention et de traitement de ces situations

La formulation de ces deux textes, le fait même qu’il en existe deux, pose un certain nombre de problèmes de droit et de capacité d’action qu’il convient d’envisager le plus en amont possible pour éviter tout télescopage intempestif, qui se ferait au détriment de la situation vécue par la personne s’estimant victime d’agissements sexistes et/ou de harcèlement sexuel.

En effet, surajouter des rôles et des compétences à des rôles et compétences préexistant dans l’entreprise peut poser des problèmes rapidement :

  • Quelle partie de la compétence du « référent sécurité », en matière de prévention, va se retrouver exercée par le référent harcèlement désigné par l’employeur ? S’agit-il d’un dessaisissement de l’un au profit de l’autre (certes uniquement dans les entreprises des plus de 250 salariés) ? Vont-ils devoir partager ces prérogatives ? Bref un calage pour les deux personnes par lettre de mission de l’employeur doit vite s’imposer, sachant que la charge de travail induite peut s’avérer lourde, et qu’il vaut mieux pouvoir la répartir plutôt que de la surajouter à la mission déjà large du référent sécurité ;
  • Quelle partie de la compétence dont sont dotés les comités sociaux et économiques (CSE) en la matière devra être exercée par le référent que l’instance doit désigner (et là, quel que soit l’effectif de l’entreprise) ? Le CSE a-t’il d’ailleurs le droit de se priver, pour application de la loi, de ses prérogatives en la matière, ou au contraire doit-il limiter autant que possible le « mandat » du référent qu’il désigne parmi ses membres ?
  • Le code du travail (article L2312-2) prévoit que les situations de harcèlement sexuel, en tant qu’atteinte aux droits des personnes ou à leur santé physique et mentale, peuvent faire l’objet d’un droit d’alerte d’un représentant du personnel au CSE, et qu’à l’émission de ce droit d’alerte une enquête doit être menée sans délai avec le représentant du personnel qui l’a portée. Donc pas avec le référent harcèlement, si ce n’est pas lui l’auteur de l’alerte, sauf à commettre le délit d’entrave… Comment tuile-t’on les interventions des uns et des autres, en fonction de leurs compétences et prérogatives propres ?
  • Le référent du CSE peut être un élu suppléant, puisque le texte ne l’exclut pas spécifiquement ; comment l’associe-t’on aux réunions de l’instance, puisque les suppléants ne sont pas convoqués lorsque les titulaires sont présents, alors même que peuvent se débattre au cours de ces réunions des sujets et des faits intéressant sa fonction ?
  • Enfin dans les entreprises de 250 salariés et plus, comment organise-t’on la coopération éventuelle entre les deux référents chargés tous deux potentiellement de la même mission de « lutte » contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes ?

La loi ne traite pas d’une situation qui pourrait se retrouver cependant dans quelques entreprises : les deux référents peuvent-ils se réunir en une seule et même personne qui ferait consensus, si les deux mandants se mettent d’accord pour la désigner par accord commun ? Il conviendra  de l’envisager, le cas échéant, et d’en acter plutôt par accord d’entreprise ou d’établissement que par une simple lettre de mission ou délibération.

Et l’on ne parle même pas la nécessité de déterminer la compétence géographique du référent, dans le cas d’une entreprise multi-établissements !

Se contenter d’appliquer le texte en désignant des personnes, tant du côté de l’employeur que du côté des représentants du personnel peut conduire directement à des situations de blocage dès que va se déclencher factuellement la première demande d’intervention, qui pourrait être sollicitée par la personne s’estimant victime des faits auprès des deux référents simultanément, chacun pouvant se faire une idée différente de la situation, ou en décalé quand le « service » de l’un lui aura déplu et qu’elle tentera de voir si elle obtient mieux de l’autre, en fonction de ses intérêts personnels. La possibilité d’une instrumentation peut résulter de cette absence initiale de coordination.

Une imprécision sémantique

Une des autres difficultés réside dans l’imprécision sémantique même des missions définies par la loi, la  « lutte contre le harcèlement sexuel » sorte de grand fourre-tout, pour le référent du CSE, ou même « l’orientation, l’information, et l’accompagnement des salariés » dans cette lutte quand on parle du référent désigné par l’employeur. Là encore il va falloir être le plus précis possible dès la désignation du référent, et acter, avec le plus de complétude possible en fonction du mandat donné, dans un document écrit, de la nature même des missions attendues par les mandants. Une simple délibération pour le référent du CSE peut s’avérer très insuffisante si elle ne s’accompagne pas d’une lettre de mission déterminant le contenu des prérogatives confiées. Cette lettre de mission devra également être rédigée de façon indispensable, à notre avis, pour le référent de l’employeur, ne serait-ce que pour établir si l’on centre l’action plus sur l’information des travailleurs (conception d’affiches, de capsules vidéos informatives) ou sur l’action en milieu de travail.

A cet égard et pour les missions confiées, il faudra vite mettre en évidence, en plus des fonctions confiées :

  • Si le référent peut se saisir d’office d’une situation, ou s’il ne peut intervenir qu’en cas de saisine officielle d’un salarié ;
  • si le référent peut ou doit être associé au déroulement d’une enquête de harcèlement sexuel / agissements sexistes, ou peut la mener d’initiative, ou au contraire si cela lui est interdit ;
  • si le référent peut être missionné pour mener seul des actes d’enquête (auditions des principaux intéressés, recollement documentaire, recherche des preuves et des témoignages, …) pour établir ou clarifier la situation dénoncée et, dans l’affirmative, si celui-ci est formé à une méthodologie d’enquête en cette matière (notamment sur des notions aussi fondamentales en matière de harcèlements que la confidentialité, l’absence de parti-pris, la recherche d’objectivation des faits (et pas des intentions)). Il faudra aussi établir dans quelle mesure on peut refuser de communiquer au référent les pièces demandées, ce qui évitera de générer un contentieux mal avisé au moment de l’enquête ;
  • si sa mission d’accompagnement va jusqu’à aider, au nom de l’entreprise ou du CSE, la personne qui s’estime victime dans ses démarches pré-judiciaires ou judiciaires, y compris en témoignant lui-même de ce qu’il a personnellement constaté ou relevé au cours de l’enquête, en en communiquant un compte-rendu écrit (ou pas).

On voit bien par ces simples questionnements que tous les référents ne seront pas amenés à effectuer les mêmes tâches, les mêmes missions, et que l’ampleur et l’étendue de celles-ci doit pouvoir être décidée dès leur désignation, et pas au moment de la mise en œuvre effective ultérieure, là où un contentieux pourrait naître.

Une formation indispensable

Le calibrage précis des missions et le degré d’implication attendus peut permettre également d’évaluer la charge mentale susceptible de peser sur le référent désigné du fait de cette activité, et donc de reconsidérer l’ensemble des fonctions qui lui ont été attribuées. En effet en tant que salarié il a avec certitude un « autre boulot », dont la teneur n’est pas nécessairement compatible avec cette nouvelle charge de travail. Faut-il alors lui attribuer des heures de décharge de son activité habituelle, rémunérées, lorsqu’il met en œuvre ces nouvelles missions, ou des heures de délégation particulières (puisque la loi n’en attribue pas spécialement pour l’exercice de cette fonction, et que, on l’a vu, un délégué suppléant qui ne dispose pas d’un crédit d’heures peut être désigné) ? Faut-il considérer qu’il lui est alloué dès l’origine un temps maximum (mensuel, annuel ?) pour exercer ces nouvelles attributions, au risque du travail dans l’urgence ?

On l’a pressenti, une formation de qualité est indispensable pour comprendre les concepts et la terminologie couverts par la notion juridique de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes, mais aussi pour éviter l’improvisation délétère en matière d’enquête. Or le code du travail ne prévoir rien en la matière qui serait directement rattachable à l’exercice de ces missions en matière de prise en charge ou même simplement de référentiel de formation.

Les articles L2315-9 et R2315-20 du code du travail prévoient bien la prise en charge des frais de formation « générale » des représentants du personnel, mais pas de financement d’une action spécifique de formation des référents (qu’il soit désigné par l’employeur ou les représentants du personnel). C’est bien dommage quand on sait la complexité et la charge mentale induite pas ce type de prise en compte de la souffrance des personnes.

Avoir et disposer d’une formation sur la conduite d’enquête, sur les questionnements opportuns et ceux rédhibitoires, sur l’écoute d’une personne qui dénonce de tels agissements à son endroit, sur sa propre façon de résister à toute la souffrance exprimée, est indispensable. A défaut il ne s’agira que de mettre en difficulté et en échec quasi-automatique le pauvre référent désigné.

De même, une formation commune (et si possible simultanée) des deux référents quand ils existent permettrait sans doute de partager une culture commune, de construire des représentations partagées ou de déconstruire des a priori, et de permettre de gagner en efficacité dans le déroulement de leurs missions.

Un accord d’entreprise ou d’établissement négocié à cet effet et fixant l’ensemble des règles précitées, l’intégration de ces dispositions dans le règlement intérieur de l’entreprise ou celui du CSE, paraissent de nature à sécuriser les référents et leurs mandants tant sur la possibilité de faire que sur les conséquences juridiques de leurs actes ou omissions.

L’accord d’entreprise, plus pérenne, ne cesse d’exister que si les parties qui l’ont négocié en décident ou à la date initialement convenue entre elles, mais dans la plupart des cas il est à durée indéterminée avec tacite reconduction. Cette caractéristique peut être un réel avantage dans la démarche de prévention continue dans l’entreprise, puisque le contenu des missions ne dépendra plus nécessairement alors d’un revirement de majorité au sein du CSE ou d’un changement de directeur, alors même que le règlement intérieur d’entreprise peut être modifié à tout moment après simple consultation des représentants du personnel, ou que le règlement intérieur du CSE cesse juridiquement d’exister à la fin de la mandature des élus.

L’intégration dans le règlement intérieur d’entreprise portera cette faculté supplémentaire d’informer tous les travailleurs de l’entreprise (personnels précaires compris) de l’existence de ce nouvel acteur et de ce qu’il est en capacité de et amené à faire dans ces situations.

Rappelons, en termes de publicité de leur existence, que les référents en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes font partie des personnes dont l’affichage nominatif et des coordonnées dans l’entreprise sont obligatoires (article D1151-1 du code du travail).

Et bien sûr, s’agissant d’une action prise en faveur de la prévention des risques professionnels, l’intégration de ces choix dans le document unique d’évaluation des risques permettra de répondre en partie aux exigences réglementaires.

On le voit dans cette série de questionnements à trancher, même si ces textes ne l’imposent pas factuellement, il est absolument indispensable de porter une réflexion en amont sur ce que l’on veut faire de ce nouveau rôle, avant de désigner quiconque sur ces fonctions de référent, si l’on veut éviter nombre de difficultés et permettre que ces missions soient réalisées de la façon la plus efficace dans l’intérêt commun de l’entreprise et des travailleurs.

Par M. Prieux.

A lire dans le magazine

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.