Deux arrêts importants obtenus par Maitre Rachel SAADA

Comment les Juges Jugent, Dans la Loi, Suicide Au Travail

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Arrêt de la cour d’Appel de Versailles du 18 janvier 2018, très important en matière de suspension d’une organisation du travail de nature à produire des effets sur la santé mentale des salariés.

Dix ans après l’arrêt SNECMA du 5 mars 2008, il confirme que le juge peut suspendre une organisation du travail, mais cette fois en matière de santé mentale.
Dans ce jugement qui fait droit au CHSCT et à son défenseur, on trouvera des éléments relatifs à la compétence du juge judiciaire en matière d’obligation générale de santé et de sécurité malgré un PSE validé par l’autorité administrative, des rapports d’expert, des contrôles et observation de l’inspection du travail dans quatre départements, la Mise en Demeure Direccte, le Danger grave et imminent, le droit de retrait, la compétence du CHSCT en matière de référé et donc suspension du déploiement de l’organisation du travail par le juge.
Interdiction du déploiement d’une organisation du travail portant atteinte à la santé mentale des salariés – CA Versailles – 18 janvier 2018
Dans cette affaire, à l’origine, l’entreprise, qui appartient à un groupe de plus de 200 000 salariés dans le monde, envisageait début 2015 de mettre en œuvre un nouveau logiciel destiné à harmoniser et simplifier les processus de gestion informatique ainsi que la suppression de soixante et onze postes de travail. Les suppressions de poste ont fait l’objet d’un accord et d’un PSE validé par la Direccte.
Cette réorganisation présentant des risques pour la santé mentale des salariés, le CHSCT Réseau vote en 2015 une expertise pour risque grave puis une seconde en juillet 2016, après le PSE pour l’identification des risques psychosociaux. L’employeur conteste cette décision du CHSCT devant le juge mais elle est confirmée par celui-ci. Le rapport de l’expert conclut à l’existence de risques psycho-sociaux début 2017, indiquant que le modèle organisationnel en place est maltraitant voire pathogène.
L’employeur met cependant en œuvre son plan sur l’agence de Marseille en juillet 2016 puis sur l’ensemble de la région Méditerranée début 2017.
Lors des réunions ordinaires du CHSCT qui suivent, le CHSCT demande l’arrêt immédiat du plan puis déclenche  une procédure d’alerte en raison de l’existence d’une cause de danger grave et imminent (DGI) au sein de la région Méditerranée. Dans la même semaine 18 salariés exercent leur droit de retrait refusant d’utiliser le logiciel, dans la région (PACA) où se mettait en œuvre le plan et 7 arrêts de travail sont recensés pour burn-out (confirmés par des contre-visites médicales).
Lors d’un contrôle par l’inspecteur du travail de Nice (06 – Sophia Antipolis) le 3 avril 2017, celui-ci constate les dysfonctionnements ayant des effets sur la santé des salariés dans l’entreprise. Il adresse un rapport circonstancié au Direccte pour une mise en demeure de la société et un courrier à l’entreprise pour expliquer les raisons de cette mise en demeure.
Le CHSCT Réseau saisit le TGI de Pontoise (95) en référé mais il est débouté ainsi que le syndicat CGT, le 2 août 2017, le juge indiquant que la procédure de référé pour suspendre l’organisation du travail ne relève que de l’inspecteur du travail pas du CHSCT ni de l’organisation syndicale. Les IRP interjettent appel.
Les dysfonctionnements mettant en danger les salariés sont confirmés en septembre 2017 par l’inspectrice du travail d’Aix en Provence (13), qui constate que des facteurs de risques psycho-sociaux persistent : intensité du travail, rapports sociaux dégradés, insécurité de la situation de travail (pour info, sans que cela figure au jugement,  l’inspectrice du travail de Rouen a, à son tour, saisi l’employeur d’une demande de suspension du déploiement du logiciel en octobre 2017).
La cour d’appel, dans son arrêt du 18 janvier 2018, en voit tout autrement et fait droit aux demandes du CHSCT et de son Conseil :
Elle rejette l’exception d’incompétence du juge judiciaire soutenue par l’employeur du fait que l’autorité administrative avait validé le PSE et que seul le juge administratif pouvait connaître de l’affaire. La cour d’appel mentionne que le contrôle de l’autorité administrative est limité à la vérification du contenu de l’accord, au respect des procédures de consultations des institutions représentatives, à l’existence d’un plan de reclassement et des modalités de suivi de la mise en œuvre  effectives des mesures contenues dans ce plan. Elle en conclut que le juge judiciaire reste compétent pour sanctionner la violation par l’employeur de son obligation de sécurité et de prévention et pour connaître d’une action en référé fondée d’une violation par l’employeur de l’obligation de sécurité et de prévention et ce nonobstant l’existence d’un  plan de sauvegarde de l’emploi.
Elle déduit également des articles du code du travail (L. 4612-1 à 8) la recevabilité de l’action du CHSCT.
Elle dit qu’il y a matière à référé, par l’imminence d’un dommage, d’un préjudice ou la méconnaissance d’un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines et sont établies.  Le trouble manifestement illicite est caractérisé par la mise en œuvre du projet de la société et notamment les nouveaux outils informatiques, sa mise en œuvre expérimentale localisée, l’existence d’un risque grave retenu par le juge lors de la contestation de l’expertise, le rapport d’expert, le droit de retrait exercé par 18 salariés, du mail de l’inspecteur du travail sur le non-respect du DGI, les constatations des inspecteurs du travail sur l’existence avérée de RPS, de la mise en demeure du Direccte, des mesures de préventions insuffisante mises en œuvre par la société suite à cette mise en demeure, par les observations de l’inspectrice du travail d’Aix-en-Provence, donnant suite à la procédure de danger grave et imminent et retient la persistance de facteurs de risques psycho-sociaux.
De l’ensemble de ces constatations et énonciations, du non-respect persistant par la société de l’obligation, en sa qualité d’employeur et en application de  l’article L 4121- 1 du code du travail, de sécurité de résultat qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé  physique et mentale des salariés, elle fait interdiction à la société, afin de prévenir tout dommage imminent sur la santé des salariés, de déployer les outils informatiques du projet dans d’autres régions.
Merci à Maitre Rachel SAADA, avocate, spécialiste en droit du travail, membre du réseau souffrance et travail, directement concernée comme défenseur, pour la communication de ce jugement de la Cour d’Appel de Versailles important.

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Arrêt de la Cour d’Appel de Paris du 04/12/2017– correctionnelle – très important car la condamnation à une peine de prison avec sursis pour homicide involontaire n’est pas si fréquente et la qualification juridique retenue par le juge en lien avec le temps de travail et le repos quotidien est particulièrement intéressante.

Homicide involontaire – CA Paris 4 décembre 2017
Une lourde condamnation à 18 mois de prison avec sursis et 25 000 euros d’amende pour homicide involontaire et harcèlement moral prononcée à l’encontre d’un employeur du Val-de-Marne (94) consécutivement au suicide d’un salarié, ingénieur géologue, âgé de 27 ans.
La cour est entrée en condamnation en retenant que l’employeur avait violé une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement [1]. Elle a retenu que de ne pas avoir respecté le repos quotidien de 11h, de ne pas avoir respecté la réglementation concernant les congés payés constitue une infraction à la réglementation générale sur l’hygiène et la sécurité du travail.
Elle a constaté qu’il n’existait aucun antécédent psychiatrique ni addiction de la victime, que l’enquête avait montré qu’il n’existait aucune autre difficulté que celles rencontrées au travail comme étant la source de son mal-être, qu’il s’était acquitté de façon tout à fait satisfaisante du travail qu’on lui avait confié. Le CPH avait constaté la non-rémunération des heures supplémentaires, des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires dépassées, jusqu’à 80h par semaine au moyen des relevés reconstitués par les parents de la victime, le signalement de l’inspection du travail suite à un contrôle et une contre-visite suite à un soit-transmis du parquet a également mentionné la violation des règles relatives à la durée du travail et aux congé et fait le lien entre cette dégradation des conditions de travail et l’acte suicidaire. Le suicide a également été reconnu en accident du travail, comme un précédent survenu quelques mois auparavant dans la même société. Elle relève également que les premiers juges ont exactement vérifié que les agissements répétés de l’employeur ont bien eu pour effet une dégradation des conditions de travail de la victime. Qu’il existe un lien de causalité certain entre les conditions de travail imposées à la victime en violation d’obligations particulières de l’employeur et le passage à l’acte suicidaire.
Merci à Maitre Rachel SAADA, avocate, spécialiste en droit du travail, membre du réseau souffrance et travail, directement concernée comme défenseur, pour la communication de ce jugement de la Cour d’Appel de Paris important.
[1] article 121-3 du code pénal – « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer. »
 

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