Harcèlement sexuel : «quand c’est non, c’est non», même pour les compliments !, ou comment la drague lourdingue peut être pénalement condamnée.

Dans la Loi, Harcèlement Sexuel

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Un arrêt de la chambre criminelle de la cour de cassation du 18 novembre 2020 (n° pourvoi 19-81790) vient rappeler fort à propos que c’est bien à partir du point de vue de la victime des agissements de harcèlement sexuel, dans ce qu’elle a subi et dans l’impact qui en est résulté pour elle, que se positionnera le juge pour la qualification de l’infraction, et pas à partir de celui de l’auteur de ces agissements, qui prétend et allègue de la gentillesse de son comportement.

L’article 222-33 du code pénal dans sa première partie, applicable aux situations de travail, précise pour mémoire que « le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ».

La circulaire de la direction des affaires criminelles et des grâces du 07.08.2012 explicitait de façon particulièrement claire les intentions du législateur et les raisons de la rédaction nouvelle, l’idée-force étant de retenir une « définition plus précise mais également plus large que par le passé du délit de harcèlement sexuel, afin de recouvrir l’ensemble des situations dans lesquelles des personnes peuvent faire l’objet de ce type d’agissements, qui portent atteinte de façon inadmissible à la dignité de la personne humaine, et dont les femmes sont le plus souvent les victimes ».

En l’espèce l’arrêt du 18 novembre 2020 confirme la condamnation de l’auteur des faits à un an de prison avec sursis.

Nous passerons ici sur le fait qu’il a fallu que la salariée s’estimant victime de ces agissements, « force le destin », en déposant plainte puis, après avoir vu cette plainte classée sans suite, en en appelant au procureur général pour la déclasser et faire juger les faits par le tribunal correctionnel. Puis encaisse le fait que le tribunal correctionnel relaxe le prévenu, et en s’engageant encore dans la mise en œuvre de la procédure d’appel (à la fois d’elle-même et par le procureur de République), afin d’obtenir enfin reconnaissance de ce qu’elle avait vécu et condamnation de l’auteur par la cour d’appel de Dijon et confirmation de ce dernier jugement par la cour de cassation.

Date du dépôt de plainte : 29 avril 2015 ; date du jugement définitif : 18 novembre 2020.

Quelle résilience !

Le seul véritable point de procédure que l’on pourrait estimer « positif » du dossier se trouve finalement dans le délai pris par les juges pour statuer depuis la décision initiale du tribunal correctionnel : 6 mois pour obtenir le jugement de la cour d’appel, mais 18 mois de plus pour obtenir l’arrêt de la cour de cassation. C’est évidemment trop long, mais on a connu des records de retard à obtenir des jugements définitifs bien supérieurs…

L’auteur des faits incriminés, supérieur hiérarchique de la victime, dans l’intention très explicite (ce sont ses propres messages écrits qui le confirment) d’obtenir d’elle des relations sexuelles, lui avait pendant 3 ans envoyé courriels et messages pour la « louer dans sa beauté et ses compétences », en soutenant que ces messages étaient « intellectuellement et physiquement valorisants » pour elle, et qu’en plus il n’avait pas utilisé de propos blessants, injurieux, insultants, ni n’avait essayé de l’avilir ou de lui faire peur…

Mais que quoi elle se plaint alors ? Elle devrait bien être contente qu’on lui dise qu’elle est belle, intelligente, tous les jours, en plus c’est bon pour le teint ! Et quelle marque de respect vis-à-vis d’une femme, puisqu’on parle aussi de son intelligence !

Bon, d’accord, elle lui avait demandé d’arrêter à plusieurs reprises, « de façon ferme et explicite », nous dit la cour de cassation, et avait très clairement refusé toute relation sexuelle… Bon, d’accord, la situation avait été tellement pesante que le médecin du travail avait dû déclarer inapte la salariée, parce que la situation qu’elle vivait nécessitait « un éloignement du milieu professionnel, la reprise ne [pouvant] être effective qu’à la condition de la mobilité d’un des deux [salariés] »… Mais quand même, le harcèlement c’est quand on est méchant, « avilissant ou hostile », qu’on blesse, qu’on insulte, qu’on injurie ! Du moins, c’était la plaidoirie du mis en cause.

Le juge criminel décide donc que non, décidément ça ne tient pas. La loi prévoit plusieurs composantes juridiques à l’infraction, dont on en retrouve deux établies en l’espèce dans les agissements commis et qui suffisent à entraîner la condamnation :

  • des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, qui sont démontrés ici par les messages mêmes qu’avait envoyé le supérieur hiérarchique : quand on parle du corps d’une femme et qu’on lui fait des avances sexuelles, on entre bien dans cette catégorie.
  • la création d’une une situation intimidante, hostile ou offensante, et c’est là que l’apport des juges est intéressant. Ce n’est pas à l’auteur des faits de décider comment son comportement doit être interprété par les autres, et notamment par la personne à qui il est destiné, ou si ce comportement est par nature intimidant, hostile ou offensant. C’est à la personne qui est destinataire de ce comportement de le décider, en raison de la façon qu’elle percevra ce comportement, selon ses propres critères. A personne d’autre ! Si elle a peur de retourner au boulot parce qu’elle ne supporte plus les « flatteries » répétées, dont elle sait qu’elles ne font que couvrir les besoin de son auteur d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, on est dans une situation intimidante et hostile, mais aussi offensante puisque finalement la femme est (encore) chosifiée par son harceleur. Si elle pense, à raison ou pas, que les compliments répétés, lourdement, sont intéressés et destinés à forcer des contreparties qu’elle n’a pas envie de donner, on est également dans de telles situations. Et on n’a pas besoin de démontrer que l’auteur lui a mis la pression, ou qu’il a usé d’humiliations particulières au surplus.

Cela va mieux en le disant ! En d’autres termes, la drague lourde, ça va bien deux minutes. Et ce que nous dit la cour de cassation, c’est que cela peut valoir condamnation devant les juges des juridictions criminelles.

On mesure aussi, à l’aune de cet arrêt, l’évolution de la Justice dans la prise en compte de ce type de situations. Le 19 janvier 2005, sous l’empire de la précédente loi sur le harcèlement sexuel, la chambre criminelle avait jugé que « la seule attitude de séduction, fût-elle maladroite et insistante, d’un supérieur hiérarchique ne suffit pas à caractériser l’infraction de harcèlement sexuel », parce que, en l’espèce, l’auteur des faits n’avait jamais fait de chantage à l’emploi, ni usé d’ordres, de menaces ou de pressions dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, et la salariée n’avait jamais fait l’objet de mesures disciplinaires ou de rétorsion à la suite de ses refus réitérés. Cette « impunité »-là semble bien terminée aujourd’hui.

Une situation un peu similaire avait déjà été jugée par la chambre sociale, le 28.05.2019, dans un arrêt qui validait le licenciement pour faute grave d’un cadre qui, dans l’exercice de ses fonctions, avait eu une « attitude [déplacée] à l’égard d’une salariée intérimaire placée à [ses] côtés en qualité d’assistante, notamment [par l’] envoi à partir de [son] téléphone mobile professionnel de multiples SMS au ton déplacé (par exemple : « Très belle today », « Séduisante et rafraîchissante tu es », « Wonderful pants today, magnifique !! Biz », « On ne s’est pas vu suffisamment », « Merci miss canon », « Très joli haut … et bas ») à des heures souvent tardives, [par des] invitations insistantes à dîner, gestes inconvenants, la finalité de [ses] intentions à son égard ne faisant pas de doute dans un contexte de précarité tant personnelle (jeune femme seule avec un enfant) que professionnelle pour cette salariée ».

Là-encore, que des « compliments », sans doute également exprimés uniquement dans le but de « valoriser physiquement et intellectuellement » la victime…

Un critère d’importance pour les juges est rappelé également par l’arrêt du 18 novembre 2020, celui du « contexte de plaisanterie ou de familiarité », qui depuis septembre 2019 apparaît dans les arrêts de la jurisprudence.

La chambre sociale de la cour de cassation avait, par arrêt du 25.09.2019, exclu non seulement la qualification de harcèlement sexuel, mais également le fait que le cadre auteur des faits puisse être licencié pour faute grave, au motif que « la salariée se plaignant de harcèlement sexuel avait répondu aux SMS [pornographiques qui lui avaient été adressés de façon répétée et pendant plus de deux ans] du cadre, sans que l’on sache lequel d’entre eux avait pris l’initiative d’adresser le premier message ni qu’il soit démontré que ce dernier avait été invité à cesser tout envoi, et qu’elle avait, d’autre part, adopté sur le lieu de travail à l’égard du salarié une attitude très familière de séduction », « la cour d’appel, [ayant] fait ressortir l’absence de toute pression grave ou de toute situation intimidante, hostile ou offensante à l’encontre de la salariée, en [ayant] exactement déduit que l’attitude ambiguë de cette dernière qui avait ainsi volontairement participé à un jeu de séduction réciproque excluait que les faits reprochés au salarié puissent être qualifiés de harcèlement sexuel ».

Visiblement n’est ou ne serait fautif, civilement et pénalement, que le harcèlement sexuel qui se serait produit en dehors de tout contexte de plaisanterie ou de familiarité réciproque (la chambre sociale parle même d’« attitude ambiguë » de la victime).

Il suffit de transposer ce mode de raisonnement à d’autres infractions pénales de même contexte, comme l’agression sexuelle par exemple, pour se rendre compte de l’inanité et de la dangerosité de ce raisonnement : premièrement, quand c’est vraiment réciproque, c’est rare que l’on ait des dépôts de plainte. Deuxièmement, c’est encore quelqu’un qui n’est pas la victime des agissements qui va décider si on peut lui opposer (pour lui imposer le fait que ce ne soit « pas si grave, c’est de l’humour », argument entendu régulièrement par les femmes quand elles ont dit « stop ») un contexte de « plaisanterie », sachant qu’évidemment tout le monde a le même humour et la même tolérance aux « blagues » des autres. Troisièmement, intégrer cet argument conduit en fait à décider à leur place que les femmes qui ont pu tolérer à un moment le comportement de l’auteur des faits, n’ont finalement plus vraiment le droit de dire « non », ce droit dont elles disposent à tout moment s’agissant de leur vie et de leur corps, puisque si cela s’est produit dans l’entre-soi professionnel avec une bonne ambiance, voire amicalement, à la bonne franquette finalement, la victime ne sera plus en droit de prétendre que ce qu’elle a vécu était anormal, ni de s’en plaindre.

Attention donc à ne pas se montrer trop réceptifs à ce type d’explications surannées, inopérantes en droit du harcèlement, et surtout qui traduisent dans les tribunaux le « sexisme ordinaire » que vivent les femmes au quotidien.

Par M. Prieux.

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