Le délégué syndical indigné et condamné

Comment les Juges Jugent

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Jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris, 17ème chambre correctionnelle, chambre de la presse, 17 janvier 2012, n° 1034008388

Le 12 novembre 2010, une militante syndicale, salariée d’une société exploitant un centre d’appels à Caen se suicide.
Le lendemain, Monsieur X, délégué syndical CGT et proche collègue de travail de la salariée, publie sur le profil Facebook du syndicat CGT de l’entreprise les propos suivants :
« Journée de merde, temps de merde, boulot de merde, boite de merde, chefs de merde… »
« Ben j’aime pas les petits chefaillons qui joue au grand ».

Le 8 décembre 2010, la société caennaise, sa société-mère ainsi que Madame Y, la supérieure hiérarchique de Monsieur X, le font citer devant la 17ème chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris pour y répondre du délit d’injure publique envers particulier.
Devant le tribunal, le 22 novembre 2011, le délégué syndical présente sa défense dans les termes suivants :
« Malgré le caractère grossier du mot ‘merde’, ce terme fait désormais partie du langage courant et […] les mentions de ‘chefs de merde…’ ou ‘petits chefaillons’ ne désignent aucune personne en particulier. Il rappelle à l’audience que les propos diffusés le 13 novembre 2010, faisaient suite au suicide, la veille d’une militante syndicale et proche collègue de travail, la journée qui s’en était suivie se déroulant dans un contexte social particulièrement tendu entre les militants syndicaux et la direction, cette dernière, selon ses déclarations, ne souhaitant pas diligenter une enquête sur le décès de cette salariée. Enfin le prévenu invoque tant la liberté d’expression syndicale qui permet à tout délégué syndical un plus libre exercice de la critique à l’encontre de son employeur que l’excuse de provocation.»
Dans un premier temps, le tribunal, dans son jugement du 17 janvier 2012, a jugé les propos publiés sur Facebook comme injurieux pour les motifs suivants :
« Le passage litigieux […] comporte clairement des expressions outrageantes à l’encontre de la direction de l’entreprise, qui était parfaitement identifiable par les termes répétitifs de ‘boite de merde, chefs de merde…’ suivis de l’expression ‘Ben j’aime pas les petits chefaillons qui joue au grand’ ainsi que l’adresse de postage des propos mentionnant expressément […] le nom de la société et l’un de ses syndicats. Il n’est pas douteux, par ailleurs, à la lecture des pièces produites aux débats que Madame Y, qui est la supérieure hiérarchique directe de Monsieur X se soit sentie, comme elle l’a rappelée à l’audience, visée personnellement par le terme de ‘petits chefaillons’ ».
Le jugement poursuit :
« Il convient enfin de relever que les expressions incriminées excèdent les limites de la critique admissible, y compris lorsqu’elle s’exerce dans un cadre syndical, par l’utilisation de mots ou de termes insultants ou injurieux voire vexatoires démontrant en eux-mêmes l’intention de nuire et portant clairement atteinte à la dignité des personnes et en l’espèce » à la société mère et sa filiale, employeur, ainsi qu’à Madame Y.
Le tribunal a ensuite rejeté l’excuse de provocation invoquée par Monsieur X en jugeant qu’il ne produisait aux débats « aucun élément de nature à étayer une quelconque provocation de la part de la direction », le lien entre le décès de sa collègue et son activité professionnelle n’étant pas établi, pas plus que la dissimulation de cet accident par la direction.
Le tribunal a par conséquent jugé que le délit d’injure publique envers particulier était constitué à l’égard des deux sociétés et de Madame Y.
Tenant sans aucun doute compte des circonstances et malgré la dureté de sa motivation au pénal, le tribunal a prononcé des condamnations quasiment symboliques :
une « peine d’amende délictuelle de cinq cent euros » assortie du sursis ;
le paiement aux parties civiles de « la somme d’un euro chacune, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi ».
Monsieur X, après avoir relevé appel dans le délai de 10 jours, s’est purement et simplement désisté mettant un point final à ce litige.
Méfiez-vous de l’attirance du clavier de l’ordinateur qui capte au vol vos colères et d’un clic diffuse à travers le monde.

Pour aller plus loin :
« L’excès dans l’usage syndical de la liberté d’expression », par Pierre Bouaziz et Nicolas Collet-Thiry, avocats à la Cour, Revue Les Cahiers Lamy du CE, octobre 2011, p. 15 à 18.

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