SNCF : des inspecteurs du travail ont-ils validé le droit de retrait des cheminots ?

Dans la Loi

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Les syndicats indiquent que l’Inspection du travail, saisie dans plusieurs régions, a jugé légitime le droit de retrait invoqué par les agents SNCF.


Question posée par Quentin le 19/10/2019


Bonjour,
La situation s’améliore à la SNCF, après trois jours de mouvement social. L’arrêt de travail démarré vendredi 18 octobre fait suite à un accident survenu mercredi après-midi sur un passage à niveau en Champagne-Ardenne. Comme le racontait Libération vendredi soir, «la collision a (eu) lieu à un passage à niveau avec un poids lourd transportant un gros engin agricole et qui n’aurait jamais dû emprunter cette voie. Après le choc et selon des sources syndicales, le conducteur blessé à la cheville s’est employé à éviter un suraccident. Il est remonté le long de la voie, pour prévenir un autre train arrivant en sens inverse. La radio permettant de lancer une alerte avait été endommagée par la collision. Il doit se résoudre à laisser les passagers dans le train, parmi lesquels 18 blessés légers…»
Les cheminots ont exercé leur droit de retrait, alors que la direction de la SNCF et le gouvernement dénoncent une «grève surprise». Comme nous l’expliquions dans une précédente réponse, le droit de retrait permet au travailleur de se retirer d’une situation de travail s’il a un «motif raisonnable de penser qu’une [situation de travail, ndlr] présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection». La loi précise : «Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux.»
Le régime juridique de la grève, lui, est tout autre: à la SNCF, les cheminots qui souhaitent se mettre en grève après le dépôt d’un préavis de la part d’une ou plusieurs organisations syndicales doivent avertir leur hiérarchie quarante-huit heures à l’avance. La grève donne lieu à une retenue de salaire.

L’inspection du travail saisie dans au moins deux régions

Contestant le droit de retrait invoqué par les organisations syndicales, Edouard Philippe a annoncé samedi avoir demandé à la SNCF «d’examiner toutes les suites qui pouvaient être données, et, notamment, judiciaires». Contactée par CheckNews, la SNCF a indiqué que d’éventuelles suites judiciaires étaient «toujours en cours d’investigation». On ignore donc, pour l’heure, si la justice sera saisie.
De leur côté, les syndicats indiquent que l’exercice de leur droit de retrait a été validé par l’inspection du travail. C’est ce qu’indique Didier Mathis, secrétaire général de l’UNSA ferroviaire, à France Inter, expliquant que deux inspecteurs du travail d’Alsace et de Champagne-Ardenne ont «confirmé que le mouvement est fondé». Christophe Abadi, de Sud Rail, confirme à CheckNews que l’inspection du travail s’est prononcée «dans quatre ou cinq régions, dont Champagne-Ardenne où a eu lieu l’accident, le réseau Atlantique et Pays de la Loire».
Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots, confirme que l’Inspection du travail s’est prononcée en Alsace : «Elle constate qu’il y a plusieurs incidents sécurité ces derniers mois sur la région, notamment trois défaillances du signal d’alerte radio. Ce dispositif étant un organe de sécurité et la direction n’ayant pas apporté de mesure apte à garantir le fonctionnement, le droit de retrait est justifié.»
La SNCF, de son côté, confirme seulement que l’Inspection du travail a été saisie à Strasbourg et dans la région Centre-Val-de-Loire. Surtout, elle explique que «l’Inspection ne se prononce pas sur la légitimité du droit de retrait mais rappelle que l’exercice de ce droit de retrait ne peut pas conduire à des sanctions disciplinaires».

Rappel du droit du travail, et du droit de retrait

De fait, l’Inspection du travail ne s’est pas prononcée sur la légitimité du motif ayant conduit au droit de retrait. Mais comme le révèle Libération, qui a eu accès à deux courriers d’inspecteurs du travail adressés à la SNCF, l’Inspection du travail a sérieusement mis en garde l’entreprise ferroviaire sur le droit de retrait. Dans des réponses fermes, l’Inspection rappelle que la procédure doit être respectée, sans pour autant trancher sur la réalité du danger grave et imminent qui justifie ce droit de retrait.
En effet, seul le juge peut valider ou non la mise en œuvre du droit de retrait si la SNCF décide de sanctionner les agents. «L’inspection du travail rappelle le code du travail et le droit des salariés à exercer leur droit de retrait, que l’employeur ne peut pas demander la reprise du travail et rappelle qu’il ne peut pas y avoir de sanction», souligne un inspecteur du travail auprès de CheckNews. Par ailleurs, constatant des manquements, les représentants du personnel peuvent exercer leur droit d’alerte, demandant à l’inspection du travail d’enquêter sur une situation. Ce qui est visiblement le cas dans certaines régions. «Là, l’inspection se prononcera sur les mesures à prendre pour rendre la situation conforme si elle ne l’était pas», poursuit notre inspecteur.
Pourquoi l’inspection du travail n’a-t-elle pas été saisie dans toutes les régions ? «Quand un salarié exerce son droit de retrait, un représentant du personnel fait valoir son droit d’alerte en constatant un danger grave ou imminent», explique l’inspecteur. Ensuite, une enquête est menée et des négociations débutent entre l’employeur et les représentants. En cas de désaccord, un conseil social et économique (CSE) se réunit. Si ce désaccord persiste, l’inspection du travail est saisie.
Dans le cas de la SNCF, les droits d’alerte peuvent être effectués à différents échelons et les inspecteurs saisis sur différents périmètres. Si l’inspection du travail a été saisie à certains endroits seulement, c’est parce qu‘«il y avait des menaces de sanction dès le début dans ces régions, c’est une réaction marginale de la direction», relève Laurent Brun. En général, «il n’y a presque jamais d’intervention de l’inspection du travail sur un droit de retrait. Ca se règle en 24 ou 48h habituellement. La direction annonce des mesures permanentes ou temporaires par rapport à l’incident générateur, et les agents reprennent le travail qu’ils soient satisfaits ou non, car on n’est pas dans un processus revendicatif. Nous ne pensions pas avoir ce genre de réaction de la direction», poursuit-il.
Rappelons enfin que l’exercice du droit de retrait par des agents SCNF fait souvent l’objet de contentieux avec l’entreprise. En 2016 par exemple, trois cheminots qui avaient exercé leur droit de retrait sur la ligne Dax-Hendaye (Pyrénées-Atlantiques) jugée dangereuse et qui avaient été sanctionnés par leur employeur, ont finalement obtenu gain de cause devant les prud’hommes de Bayonne, qui ont jugé leur droit de retrait légitime. A l’inverse, en 2017, la chambre sociale de la Cour de cassation a débouté 103 agents de la SNCF qui avaient exercé leur droit de retrait en 2014 en réaction à deux agressions subies par leurs collègues.
Via le site www.liberation.fr

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