Après Weinstein – Harcèlement : la parole se libère, l’écoute suffoque

Harcèlement Sexuel

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Des témoignages qui se multiplient, des plaintes pour violences sexuelles de plus en plus nombreuses… Près d’un mois et demi après l’éclatement de l’affaire Weinstein et le mouvement «Balance ton porc», en France, les associations d’aide aux victimes sont débordées et réclament des moyens supplémentaires.

Une déflagration. Une onde de choc. Et une parole dont on ne cesse de dire qu’elle s’est «libérée» avec des torrents de témoignages de femmes harcelées, agressées, violées déversés sur Twitter, via les hashtags de combat #BalanceTonPorc ou #MeToo. Et après ? Au-delà des mots, l’affaire Weinstein a-t-elle eu en France des retombées concrètes ?
A ce jour, contrairement à ce qu’on a pu observer aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, pas une tête connue aux mains trop baladeuses n’a été éjectée de son poste ou n’a démissionné. Autres cultures, autres mœurs, sachant qu’aux Etats-Unis comme en France, c’est à la victime de fournir la preuve de ce qu’elle avance, comme l’explique Me Pierre Hourcade, avocat aux barreaux de Paris, de Californie et de New York. «C’est peut-être dû à une différence de mentalité : les sociétés anglo-saxonnes portent peut-être un regard plus sévère que nous sur ces faits», analyse Elisabeth Moiron-Braud, magistrate à la tête de la Mission interministérielle pour la protection des femmes. Mais des signaux clignotent. Ainsi, le nom, notamment, de Thierry Marchal-Beck, ancien président du Mouvement des jeunes socialistes, accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles par huit femmes, s’est-il retrouvé en couverture de Libération. Ainsi, le parquet de Paris a-t-il ouvert une enquête préliminaire à la suite de la plainte d’une journaliste qui accuse Eric Monier, ex-directeur de la rédaction de France 2, de harcèlement sexuel et moral. Surtout, le besoin et la volonté des femmes de ne pas (ne plus) se taire ni se laisser faire au boulot ou dans toute autre sphère sont tangibles dans les registres de la police et de la gendarmerie.

«Raz de marée»

En octobre, la police a enregistré une hausse de 23 % de plaintes pour violences sexuelles (445 cas supplémentaires) par rapport à octobre 2016, tandis que la gendarmerie fait état d’un envol de 30 % (360 cas supplémentaires). En écho, le numéro d’écoute national destiné aux femmes victimes de violences, le 3919, ne cesse de sonner. Bilan, établi par sa directrice générale Françoise Brié : 1 200 appels de plus en octobre versus septembre (soit un total de 5 715 personnes qui ont téléphoné). Tout sort : violences conjugales – y compris les viols – (la majorité), violences sexuelles et violences au travail (en hausse).Pour Françoise Brié, «c’est beaucoup plus que la normale. A tel point que nous ne pouvons pas tout traiter.»
A cent lieues des réseaux sociaux, dans la vraie vie, c’est donc aussi un raz de marée qui se produit dans cette France où une personne sur cinq a été harcelée au cours de sa vie professionnelle. Un déferlement alors que 5 % seulement des cas de harcèlement sont portés en justice (1). «Raz de marée», «déferlement» : ce sont aussi les termes qu’utilise l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail, en première ligne des retombées post-Weinstein.
Un petit local au rez-de-chaussée d’un immeuble du XIIIe arrondissement de Paris. Des piles de bouquins qui invitent à ne pas courber l’échine : Je suis debout, la Guerre invisible, la Consolation, le Livre noir des violences sexuelles… Ici siège la fameuse association, la seule sur son créneau. Marilyn Baldeck, déléguée générale, exhibe un classeur bleu tout neuf : «Lors des trois dernières semaines, nous avons reçu 70 demandes d’ouverture de dossier. Chaque fois qu’il y a une affaire de ce type, notre nom apparaît, et nous sommes davantage sollicités. Ça a été le cas, après les affaires DSK, Baupin ou Georges Tron, mais jamais à ce point.» Qui sont ces femmes ? «Le harcèlement touche tous les milieux professionnels, assure la déléguée générale. Mais là, le plus troublant, c’est que la majorité de ces femmes ne sont pas des « primo parlantes ». Elles ont déjà engagé des procédures dans lesquelles elles sont embourbées et veulent que cela aboutisse. Des tiers, des syndicalistes ou des psychologues, nous appellent aussi pour faire avancer les dossiers.»
Elle tourne les feuilles du classeur. Les histoires remontent à la surface. C’est celle d’une responsable d’une association de spectacle vivant qui veut faire circuler le nom d’un comédien auteur de deux agressions sexuelles sur une intermittente. Celle d’une pâtissière employée dans une entreprise de restauration collective, victime d’attouchements par le gérant qui n’hésitait pas à se frotter en érection contre elle ou à se masturber en sa présence. Elle est en arrêt maladie depuis un an et demi. Sa plainte déposée à la police a été classée sans suite. Et puis, il y a cette jeune femme de 25 ans violée par un de ses collègues animateurs lors d’une colonie de vacances. Elle sait que d’autres ont subi le même sort. Désormais, elle veut que cela éclate au grand jour. «Nous les aidons à déposer des plaintes qui tiennent la route. Et ce n’est pas simple. Les avocats spécialistes de ces questions sont peu,même si un collectif d’avocats [Osez porter plainte !, ndlr] vient de se créer avec pour argument promotionnel que la dénonciation limitée aux seuls réseaux sociaux ne vaut pas justice…Des petits malins qui ont flairé un marché? Nous faisons aussi des bouts d’enquête que la police n’a pas le temps de faire. Il faut dire que le harcèlement est souvent éclipsé par les viols», poursuit Marilyn Baldeck. Et que coincer un harceleur n’est pas chose aisée.

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