Managers des établissements de santé : avez-vous ces profils de “bourreaux” et de “victimes” de harcèlement moral au travail chez vous ? Stéphanie CARPENTIER nous éclaire.

Harcèlement Sexuel, Inégalités et Discriminations, Stress Travail et Santé

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Nouvel Article publié par notre experte Stéphanie CARPENTIER  (Docteur, Ph.D) spécialisée en management des ressources humaines et prévention de la santé au travail et membre du conseil consultatif de l’excellente revue internationale Harvard Business Review) 

Le monde du travail est régulièrement interpellé par des cas de harcèlement moral au travail dénoncés par les salariés ou différents responsables. Les managers et les directions sont souvent pointées du doigt pour leur manque de réactivité en la matière. Les établissements de santé ne sont pas exemptés de ces situations et la presse se fait fréquemment écho de ces difficultés.

Pourtant, agir dans la lutte contre le harcèlement moral au travail n’est pas aisé. Cela suppose notamment de nombreuses prises de conscience. L’article vous propose donc de rappeler quelques éléments factuels et de définition puis de dresser le portrait des bourreaux et de leurs victimes pour aller au-delà des préjugés habituels, notamment que le harcèlement moral n’est que le fait du fameux « pervers narcissique ».

Le harcèlement moral au travail dans les établissements de santé : une réalité dénoncée depuis de nombreuses années

Le 17 décembre 2015, le cardiologue Jean-Louis Megnien se suicidait par défenestration à l’Hôpital européen Georges-Pompidou, ce qui a suscité une vague d’émotion dans le monde hospitalier tout en rappelant que le harcèlement moral existe aussi dans le milieu hospitalier et au-delà dans les établissements de santé. Depuis la parole s’est libérée.

Ainsi en 2018, l’Association de lutte contre le harcèlement moral et la maltraitance à l’hôpital « Jean-Louis Mégnien » avait déjà recueilli plus de 450 témoignages (cf. Article Le Quotidien du Médecin du 27 septembre 2018) et la même année, 44% des 64 praticiens hospitaliers (membres de CHU, centres hospitaliers et établissements psychiatriques) faisaient état d’une « présomption de harcèlement moral au travail » à l’Observatoire de la souffrance au travail (OSAT). Précisons que pour ces praticiens, « le bourreau est dans 61 % des cas un membre de la direction ou de la chefferie médicale. C’est également un confrère de même statut 18 % du temps. Le harcèlement revêt la forme de « dévalorisations implicites » et d’ « attitudes de mépris » pour huit PH sur dix ».  (cf. Article « « Pesanteur hiérarchique », « harcèlement », « dévalorisations implicites » : à l’hôpital, visage de la souffrance au travail des médecins », Le Quotidien du Médecin du 16 janvier 2019).

En 2019, 57 praticiens hospitaliers (membres de CHU, de centres hospitaliers, d’établissements de santé mentale ou du privé à but non lucratif (ESPIC)), ont témoigné de leurs difficultés professionnelles à ce même Observatoire de la souffrance au travail (OSAT) et ils sont encore plus nombreux à signaler une présomption de harcèlement moral au travail (47 %) en précisant qu’il provenait de la direction, de la hiérarchie médicale, voire d’un collègue de la même spécialité. (cf. Article « Idées suicidaires, addictions, troubles du sommeil : à l’hôpital, 57 médecins témoignent de souffrance au travail en 2019 », Le Quotidien du Médecin du 21 février 2020).

Ces dernières années les tribunaux sont donc régulièrement sollicités pour statuer sur des cas de harcèlement moral au travail (la presse régionale s’en fait régulièrement écho) et plus récemment, le suicide d’un jeune neuropsychologue hospitalier, qui avait confié être victime de harcèlement au sein de son établissement, vient d’être reconnu comme un accident du travail par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie de Paris (Cf. Article Le Parisien Val d’Oise du 21 février 2020).

Bref, les établissements de santé, de force ou de gré, doivent désormais traiter les cas des harcèlement moral au travail indépendamment des autres risques psychosociaux, ce qui prouve la justesse de la tribune des trois membres de l’Association internationale sur le harcèlement et l’intimidation au travail Marie-France Hirigoyen et Christiane Kreitlow (toutes deux psychiatres et psychothérapeutes) et Christelle Mazza (avocate) dénonçant dès 2016 l’absence de programme de recherche national spécifiquement consacré au harcèlement moral permettant d’aller au-delà des plans d’action destinés à la prévention et au traitement des situations conflictuelles susceptibles de nuire à la qualité des soins et à la qualité de vie au travail. (Cf. leur tribune « Mieux protéger les professionnels de santé contre le harcèlement », Le Monde, 16 février 2016, p. 13).

Cette nécessité est par ailleurs renforcée par les récents travaux internationaux. La Conférence internationale du Travail a en effet conclu fin juin 2019 sa 108ème session par l’adoption d’une convention et d’une recommandation pour combattre la violence et le harcèlement au travail.

  • La convention reconnaît ainsi que la violence et le harcèlement dans le monde du travail « peuvent constituer une violation des droits humains ou une atteinte à ces droits… mettent en péril l’égalité des chances, sont inacceptables et incompatibles avec le travail décent » et la recommandation (qui n’est pas juridiquement contraignante) donne des indications sur la façon dont la convention devrait être appliquée.
  • Cette nouvelle norme internationale du travail a pour but de protéger les travailleurs et les employés, quel que soit leur statut contractuel, et cela inclut les personnes en formation, les stagiaires et les apprentis, les travailleurs licenciés, les bénévoles, les personnes à la recherche d’un emploi, les candidats à un emploi.
  • Elle définit « la violence et le harcèlement » comme « un ensemble de comportements et de pratiques inacceptables, ou de menaces de tels comportements et pratiques, qu’ils se produisent à une seule occasion ou de manière répétée, qui ont pour but de causer, causent ou sont susceptibles de causer un dommage d’ordre physique, psychologique, sexuel ou économique, et comprend la violence et le harcèlement fondés sur le genre ».
  • La norme couvre la violence et le harcèlement qui s’exercent sur le lieu de travail entendu au sens large : sur les lieux où le travailleur est payé, prend ses pauses ou ses repas ou utilise des installations sanitaires, des salles d’eau ou des vestiaires; à l’occasion de déplacements, de voyages, de formations, d’événements ou d’activités sociales liées au travail; dans le cadre de communication liées au travail (y compris au moyen des technologies de l’information et de la communication); dans le logement fourni par l’employeur; pendant les trajets entre le domicile et le lieu de travail.
  • Elle reconnaît aussi que la violence et le harcèlement peuvent impliquer des tiers.
  • Elle rappelle par ailleurs aux États qu’ils ont la responsabilité de promouvoir « un environnement général de tolérance zéro ». Elle pourra donc entrer en vigueur 12 mois après que deux États Membres l’auront ratifiée.
  • Elle reconnaît enfin que « les individus exerçant l’autorité, les fonctions ou les responsabilités d’un employeur » peuvent aussi faire l’objet de violence et de harcèlement.

Plus de détails sur cette convention et cette recommandation accessibles via ce lien.

Cette reconnaissance au niveau international suppose donc de garder à l’esprit quelques définitions.

Lire la suite, Quelques définitions scientifiques du harcèlement moral au travail et Portraits robots psychologiques des auteurs et des victimes de harcèlement moral au travail, sur le site https://managersante.com

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