14 morts par semaine : le grand tabou des accidents du travail en France

Stress Travail et Santé

Partager cet article :

Chaque jour en France, près de 1 800 personnes sont victimes d’un accident du travail ; 14 en décèdent chaque semaine. Un nombre non négligeable, qui ne serait qu’une partie immergée de l’iceberg. Pour donner de la visibilité à ce problème d’ampleur trop souvent ignoré, la sociologue Véronique Daubas-Letourneux a suivi plusieurs travailleurs pendant trois ans, mettant ainsi des visages sur des statistiques. Cette étude qui porte sur deux cents accidents, a fait l’objet d’un livre paru en septembre dernier : “Accidents du travail, des morts et des blessés invisibles” (Ed. Bayard) dont le but est d’informer sur une réalité méconnue, et d’alerter. Car pour l’autrice, accidents et blessures ne sont que la traduction d’un monde du travail en souffrance.

Chaque semaine il y aurait a minima 14 décès et 12 500 blessés liés au travail en France, pourtant il n’existe aucune réelle étude sur le sujet. Comment expliquez-vous le manque de données chiffrées sur cette question ?

Elles existent, mais elles restent parcellaires. Dans l’enquête que j’ai pu mener, nous nous reposons uniquement sur les chiffres des accidents reconnus et pris en charge par l’Assurance maladie. Nous n’avons pas pris en compte ceux d’autres régimes de sécurité sociale, comme ceux de la fonction publique par exemple, qui ont pour la plupart des données lacunaires. Et il n’en existe tout simplement pas pour les personnes non salariées. Cela serait très intéressant pour nous chercheurs si l’ensemble de ces données étaient regroupées par la Sécurité Social afin d’avoir un tour d’horizon le plus complet possible

Le chiffre paraît déjà très élevé… Quelles sont les principales causes de ces accidents ?

La principale est l’urgence et l’intensification du travail, qui se traduit par de plus en plus de troubles musculo-squelettiques. On va se montrer imprudent, car on doit se presser. Il y a toujours cette façon d’interpréter l’accident en se disant : « c’est la faute à pas de chance ». En réalité, le travail dans l’urgence questionne de vrais choix dans l’organisation du travail.

Vous expliquez que l’accident du travail ne touche pas tout le monde et qu’il est un véritable facteur d’inégalité…

Sans aucun doute. Il concerne en premier lieu les ouvriers, les travailleurs faiblement qualifiés, les femmes, les intérimaires et les plus jeunes, car généralement lorsqu’un jeune entre sur le marché du travail, c’est souvent par le biais d’un contrat précaire. Et je ne parle pas des auto-entrepreneurs, pour lesquels nous n’avons aucune statistique.

« Il y a moins d’accidents, mais ils sont plus graves. Les données fournies par la Caisse nationale d’Assurance Maladie montrent l’augmentation des facteurs de gravité, que sont l’allongement de la durée de l’arrêt de travail, et le taux d’incapacité permanente » – Véronique Daubas-Letourneux

Vous fustigez l’accélération de nos manières de travailler, mais on imagine qu’il y a tout de même moins d’accidents aujourd’hui que par le passé, non ?

Effectivement, depuis les années 50, la tendance est à la baisse. Cela s’explique notamment par la diminution de la population d’ouvriers. Aux débuts des années 2000, nous avons atteint un palier – autour de 650 000 accidents par an avec au moins un jour d’arrêt – et depuis, ce chiffre n’a pas vraiment bougé. Il n’en reste pas moins que c’est un phénomène d’actualité. Il y a moins d’accidents, mais ils sont plus graves. Les données fournies par la Caisse nationale d’Assurance Maladie montrent l’augmentation des facteurs de gravité, que sont l’allongement de la durée de l’arrêt de travail, et le taux d’incapacité permanente.

Vous parlez des accidents qui touchent à l’intégrité physique, mais qu’en est-il des risques psycho-sociaux, notamment mis en lumière par la pandémie ? Y en a-t-il de plus en plus ?

On recense en tout cas davantage d’atteintes d’ordre psychique – burn out, suicides etc. – qui sont reconnues en tant qu’accident du travail… Leur part, sur le total des accidents reconnus, ne cesse d’augmenter depuis ces dernières années, avec une progression d’environ 10 % par an de 2011 à 2014, de 5 % en 2015 et de 1 % en 2016. Cela montre que les travailleurs sont plus enclins à faire la démarche pour les faire reconnaître et qu’on accepte plus volontiers que le travail puisse être source de détresse psychologique. Néanmoins, prouver le lien entre un événement ponctuel survenu dans le travail et l’atteinte d’ordre psychique reste difficile.

« Il faudrait parler d’emploi durable, pouvoir travailler sans risque d’être victime d’un accident. C’est un vrai enjeu de santé publique »

Lire la suite sur le le site Welcome to the Jungle
Article édité par Clémence Lesacq ; Photos Thomas Decamps pour WTTJ

A lire dans le magazine

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.