A propos du phénomène des « bullshit jobs »

Emploi et Chômage, Stress Travail et Santé

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Traduction (par M. Prieux) de l’article de David Graeber paru dans le magasine anglais Strike !, en août 2013, à propos des « boulots à la con » qui seraient exercés par une masse non-négligeable de personnes.

Cet article pose les bases de son postulat selon lequel une proportion significative des emplois sont considérés par ceux qui les occupent comme inutiles, voire nuisibles, et a précédé une enquête approfondie qui a donné lieu à la parution de son livre Bullshit Jobs aux éditions Les liens qui libèrent en 2018 en France.

On ne peut qu’y renvoyer tant le propos est construit et cohérent, toujours avec humour et jamais pédant, que l’on partage ses thèses ou pas. Il complète très utilement son livre Bureaucratie, dans lequel – pour reprendre le quart de couverture de l’édition Babel de cet essai – il développe une réflexion portant sur le néo-libéralisme et la préservation de son pouvoir par la « bureaucratisation totale » que celui-ci entretient sous couvert de libre-échange et d’assouplissement des règles.

David Graeber (1961 – 2020), était un anthropologue et militant anarchiste, figure de proue du mouvement Occupy Wall Street, et professeur à la London School of Economics après avoir été évincé de l’université de Yale pour ses opinions politiques.

Le texte original et originel en anglais suit la traduction française réalisée et proposée ici.

« En 1930, John Maynard Keynes prédisait que, à la fin du siècle, la technologie serait suffisamment avancée pour que des pays comme la Grande Bretagne ou les États-Unis parachèvent la semaine de travail de quinze heures. Il y plusieurs raisons de penser qu’il était dans le vrai. En termes d’avancées technologiques, nous sommes quasiment capables de le faire. Et pourtant cela n’est pas advenu. A la place, la technologie a été mobilisée, autant qu’elle pouvait l’être, pour trouver des façons de nous faire tous travailler plus. Afin de parvenir à cela, les boulots qui ont été créées sont, dans la réalité, absurdes. D’énormes cohortes de personnes, en Europe et en Amérique du Nord plus spécialement, passent leur vie entière au travail à effectuer des tâches dont ils savent secrètement qu’il n’y a aucun besoin de les réaliser. Les dégâts psychologiques et moraux qui découlent de cette situation sont profonds. C’est une balafre qui traverse notre âme collective. Et pourtant, pratiquement personne ne parle de cela.

Pourquoi la promesse utopique de Keynes – qui était alors attendue avec impatience dans les années soixante – ne s’est-elle jamais matérialisée ? L’explication communément donnée aujourd’hui est qu’il n’avait pas anticipé la croissance massive du consumérisme. En nous donnant le choix entre moins d’heures et plus de jouets et de plaisirs, nous avons collectivement choisi ces derniers. Cela a l’apparence d’un beau conte moral, mais même un simple instant de réflexion montre que cela ne peut réellement être le cas. Oui, nous avons été témoins de la création d’une infinie variété de nouveaux boulots et de nouvelles entreprises depuis les années vingt, mais bien peu ont quoi que ce soit à voir avec la production ou la distribution de sushi, d’iphones, ou de baskets.

Alors, que sont, précisément, ces nouveaux boulots ? Un rapport récent comparant l’emploi aux États-Unis entre 1910 et 2000 nous en donne une image claire (et je note que l’analyse se reflète en écho de façon presque identique au Royaume-Uni). Tout au long du siècle dernier, le nombre de travailleurs embauchés comme employés de maison, dans l’industrie, et dans le secteur agricole, s’est dramatiquement effondré. Dans le même temps, le nombre d’administrateurs, de managers, de personnels administratifs, des ventes et de service, a triplé, s’accroissant d’un quart à trois quart de l’emploi total. En d’autres mots, les boulots de production ont, comme cela avait été  prédit, été largement automatisés (même si vous comptez les travailleurs dans l’industrie de façon globale, en incluant les masses laborieuses en Inde et en Chine, de tels travailleurs ne constituent plus un pourcentage si grand de la population mondiale, comme ils l’étaient historiquement).

Mais plutôt que d’accorder une réduction massive de la durée du travail pour libérer la population mondiale afin qu’elle poursuive ses propres projets, plaisirs, visions et idées, nous avons vu le gonflement, pas tant du secteur des services, que du secteur administratif des entreprises, allant jusqu’à, et y incluant, la création de nouveaux secteurs entiers comme les services financiers ou le télémarketing, ou encore comme le développement sans précédent dans les entreprises de secteurs tels que services juridiques, administration de la santé et de l’enseignement, ressources humaines et relations publiques. Et cela ne reflète même pas le nombre de ces personnes dont le boulot est de donner à ces entreprises un support administratif, technique ou de sécurité, et encore toute la gamme des industries connexes (toiletteurs pour chiens, livraison de pizzas 24/24) qui n’existent que parce que tous les autres passent tellement de leur temps au travail qu’ils ne peuvent plus le faire eux-mêmes.

Ce sont ces boulots que je propose de nommer « bullshit jobs », ou « jobs à la con ».

C’est comme si quelqu’un inventait des boulots inutiles juste pour l’amour de nous garder au travail. Et c’est là précisément qu’est le mystère. Dans le capitalisme, c’est précisément ce qui n’est pas censé pouvoir advenir. Bien sûr, dans les vieux et inefficaces états communistes comme l’Union Soviétique, où le travail était considéré à la  fois comme un droit et un devoir sacré, le système créait autant de boulots qu’il était nécessaire (c’est pourquoi dans les magasins de l’Union Soviétique, il fallait trois vendeurs pour vendre une pièce de viande). Mais bien sûr, c’est le genre de problème grave que la concurrence et le libre marché sont censés arranger. Si l’on considère la théorie économique, pour le moins, la dernière chose que ferait une entreprise recherchant le profit serait de débourser de l’argent pour des travailleurs qu’elle n’a pas vraiment besoin d’employer. Et pourtant, c’est ce qui arrive.

Tandis que des grands groupes s’engagent dans d’impitoyables dégraissages, licenciements et accélérations tombent invariablement sur cette classe de travailleurs qui finalement font, transportent, réparent et maintiennent en état de fonctionnement des choses ; par une étrange alchimie que personne ne parvient à expliquer, le nombre de salariés « gratte-papiers » semble en fin de compte se développer, et de plus en plus d’employés se retrouvent, d’une façon pas si différente des travailleurs soviétiques finalement, en train de travailler théoriquement quarante ou même cinquante heures sur le papier, mais dans la réalité seulement les quinze heures annoncées par Keynes, le reste étant du temps de travail consacré à organiser ou assister à des séminaires de motivation, à actualiser leur profil facebook ou à télécharger des programmes télé.

Le pourquoi n’a clairement rien à voir avec l’économie ; il s’agit de morale et de politique. La classe dirigeante est convaincue qu’une population heureuse et productive disposant de temps libre est un danger mortel (pensez à ce qui a commencé à se produire quand cela s’est esquissé dans les années soixante). D’autre part, il est extrêmement opportun pour cette classe dirigeante que les gens aient le sentiment que le travail est une vertu morale en lui-même, et que quiconque ne souhaitant pas se soumettre à une espèce de discipline de travail intense pendant la plupart de ses heures de travail ne mérite rien.

Un jour, en réfléchissant à la croissance apparemment sans fin des responsabilités administratives dans les départements d’enseignement britannique, j’ai eu une vision possible de l’enfer. L’enfer est une collection d’individus qui passent la plus grande partie de leur temps à travailler sur une fonction qu’ils n’aiment pas et pour laquelle ils ne sont pas spécialement doués. Ils disent qu’ils ont été embauchés parce qu’ils étaient d’excellents ébénistes, et qu’ils ont ensuite découvert qu’on attendait d’eux de consacrer une grande partie de leur temps à frire du poisson. S’ils effectuent au-moins les tâches qui doivent effectivement être réalisées, il n’y a qu’un nombre très limité de poissons qui ont besoin d’être frits. En quelque sorte, ils sont tous devenus si obsédés par leur rancœur à l’idée que certains de leurs collègues puissent dépenser plus de temps qu’eux à exercer leur métier d’ébéniste, et à ne pas prendre leur juste part dans leur fonction de cuire des poissons que, en peu de temps, on a des piles sans fin de poissons mal cuisinés et sans utilité qui s’entassent partout dans l’atelier, et c’est tout ce que chacun fait en réalité. Je pense qu’il s’agit là finalement d’une description assez précise des dynamiques morales de notre propre économie.

Maintenant, je comprends qu’un tel argument va rencontrer des objections immédiates : « qui êtes-vous pour dire quels jobs sont réellement nécessaires ? Qu’est-ce qui est nécessaire d’ailleurs ? Vous êtes professeur d’anthropologie, qui a « besoin » d’anthropologie ? » (et, de fait, un paquet de lecteurs de tabloïds considèreront que l’existence de mon travail est la réelle preuve du gaspillage de l’argent public). Et d’un certain point de vue, c’est manifestement vrai. Il ne peut pas y avoir de mesure objective de cette valeur sociale.

Je ne m’amuserais pas à dire à quelqu’un qui est convaincu qu’il apporte une contribution utile et significative au monde que, en vérité, ce n’est pas le cas. Mais qu’en est-il de ces personnes qui sont convaincues elles-mêmes que leur travail est sans aucun sens. Il n’y a pas si longtemps, j’ai retrouvé un camarade d’école que je n’avais pas vu depuis que j’avais douze ans. J’ai été stupéfait de découvrir que depuis cette époque il était devenu tout d’abord un poète, puis le chanteur d’un groupe de rock indie. J’avais entendu certaines de ses chansons à la radio, sans savoir que le chanteur était quelqu’un que j’avais connu. Il était évidemment brillant, innovant, et son travail avait sans conteste illuminé et amélioré les vies de bien des personnes partout dans le monde. Mais après deux albums sans succès, il avait perdu son contrat et, frappé par des dettes, avec un bébé à charge, et avait fini par « prendre le choix par défaut que prennent tant de personnes qui ne savent pas quoi faire : suivre des études de droit ». A ce jour, il est devenu juriste d’entreprise pour une grande firme de New York. Il était le premier à admettre que son boulot était complètement dépourvu d’utilité, ne contribuait en rien à la bonne marche du monde, et – de sa propre estimation – ne devrait pas réellement exister.

Il y a de nombreuses questions qu’on pourrait tirer de cette conversation, en commençant par ce que cela dit de notre société, qui ne crée qu’une demande extrêmement limitée pour des poètes-musiciens talentueux, mais une demande apparemment illimitée de spécialistes en droit de l’entreprise ? (réponse : si un pour cent de la population contrôle la plupart de la richesse disponible, ce que nous appelons « le marché » reflète ce que ce un pour cent, et personne d’autre, pense qu’il est utile ou important). Bien plus encore, cela montre que la plupart des gens qui font ces jobs sont parfaitement conscients de cela. En fait, je ne suis pas sûr d’avoir jamais rencontré un juriste d’entreprise qui ne pensait pas que son boulot était un « job à la con ». Il en va de même dans quasiment toutes les nouvelles entreprises citées auparavant. Il y a une classe entière de professionnels salariés qui, si vous les rencontrez dans des soirées et qu’ils admettent que vous faites quelque chose d’intéressant (être anthropologiste, par exemple), vont éviter soigneusement de parler de leur métier. Faites les boire, et ils se lanceront dans des tirades à propos du caractère en réalité inutile et dénué de sens de leur travail.

Il y a ici une profonde violence psychologique. Qui peut commencer à parler de sa dignité au travail quand il ressent secrètement que son job ne devrait pas exister ? Comment cela ne pourrait-il pas créer un sentiment de rage profonde et de la rancœur ? C’est un coup de génie de notre société, que nos dirigeants ont bien compris, que celui qui consiste à garantir que cette rage soit dirigée précisément contre ceux qui font encore ouvrage utile, comme dans l’exemple des ébénistes qui font frire du poisson. Par exemple, il semble qu’il y ait une règle générale qui veut que plus le travail que vous faites est utile et bénéficie aux autres, moins vous êtes payés pour le faire. Une mesure objective de cela est difficile à établir, mais l’un des moyens les plus simples de s’en faire une idée est de se demander : que se passerait-il si cette classe entière de travailleurs venait simplement à disparaître ? Pensez ce que vous voulez des infirmières, des éboueurs, des mécaniciens, c’est évident que s’ils venaient à disparaître dans un nuage de fumée, les résultats seraient immédiats et catastrophiques. Un monde sans professeurs ou sans dockers serait bientôt plongé dans de graves problèmes, comme un monde sans écrivains de science-fiction ou musiciens de ska serait clairement un monde moins riche. Ce n’est pas si clair la façon dont l’humanité souffrirait en cas de disparition similaire de tous les directeurs d’entreprises de capitaux privés, de tous les lobbyistes, de tous les experts en relations publiques, de tous les assureurs, télémarketeurs, huissiers ou de tous les consultants. Beaucoup pensent que le monde pourrait sensiblement s’améliorer. En fait, à part une poignée d’exceptions bien connues (les médecins), la règle tient de façon surprenante.

De façon encore plus perverse, il semble que l’opinion soit très communément partagée sur le fait que les choses doivent être ainsi. C’est l’une des forces secrètes du populisme de droite. Vous pouvez le comprendre quand vous lisez les tabloïds qui attisent le ressentiment contre les travailleurs du métro qui paralysent Londres pendant la renégociation de leur contrat : le simple fait que ces travailleurs puissent paralyser Londres montre à quel pont leur travail est nécessaire, mais il semble que ce soit précisément ce qui ennuie les gens. C’est encore plus clair aux États-Unis, où les Républicains ont obtenus de remarquables succès en mobilisant la rancœur de leurs électeurs contre les professeurs des écoles ou les ouvriers de l’automobile (et pas, de façon significative, contre les directeurs d’école ou les patrons des chaînes de montage automobile, qui sont réellement la cause du problème), pour leurs supposés salaires démesurés et leurs privilèges. C’est comme si on leur avait dit « mais ils enseignent à des enfants ! Ils construisent des voitures ! Ils ont de vrais boulots ! Et en plus ils ont le culot de demander des retraites correctes et une prise en charge de leurs soins médicaux ? ».

Si quelqu’un avait décidé de concevoir un système aussi parfaitement adapté, dans lequel le travail permet de maintenir le pouvoir du capital et de la finance, il n’aurait pu faire un meilleur boulot. En vérité, les travailleurs qui produisent sont sans relâche pressés et exploités. Les autres sont divisés entre une fraction de personnes au chômage, terrorisée et universellement vilipendée, et une plus large fraction qui est, en gros, payée à ne rien faire et plaquée dans des positions conçues pour les faire se reconnaître dans les points de vue et les sensibilités de la classe dirigeante (managers, administrateurs, etc.), en particulier ses avatars financiers, et dans le même temps, qui est encouragée à un frémissant ressentiment contre tous ceux dont le travail a une claire et indéniable valeur sociale. Clairement ce système n’a jamais été consciemment élaboré. Il est l’héritier de presque un siècle d’essais et d’erreurs. Mais c’est la seule explication, en dépit de nos capacités technologiques, pour laquelle nous ne travaillons pas tous trois à quatre heures par jour.»


On the Phenomenon of Bullshit Jobs: A Work Rant

In the year 1930, John Maynard Keynes predicted that, by century’s end, technology would have advanced sufficiently that countries like Great Britain or the United States would have achieved a 15-hour work week. There’s every reason to believe he was right. In technological terms, we are quite capable of this. And yet it didn’t happen. Instead, technology has been marshaled, if anything, to figure out ways to make us all work more. In order to achieve this, jobs have had to be created that are, effectively, pointless. Huge swathes of people, in Europe and North America in particular, spend their entire working lives performing tasks they secretly believe do not really need to be performed. The moral and spiritual damage that comes from this situation is profound. It is a scar across our collective soul. Yet virtually no one talks about it.

Why did Keynes’ promised utopia—still being eagerly awaited in the ’60s—never materialise? The standard line today is that he didn’t figure in the massive increase in consumerism. Given the choice between less hours and more toys and pleasures, we’ve collectively chosen the latter. This presents a nice morality tale, but even a moment’s reflection shows it can’t really be true. Yes, we have witnessed the creation of an endless variety of new jobs and industries since the ’20s, but very few have anything to do with the production and distribution of sushi, iPhones, or fancy sneakers.

So what are these new jobs, precisely? A recent report comparing employment in the US between 1910 and 2000 gives us a clear picture (and I note, one pretty much exactly echoed in the UK). Over the course of the last century, the number of workers employed as domestic servants, in industry, and in the farm sector has collapsed dramatically. At the same time, ‘professional, managerial, clerical, sales, and service workers’ tripled, growing ‘from one-quarter to three-quarters of total employment.’ In other words, productive jobs have, just as predicted, been largely automated away (even if you count industrial workers globally, including the toiling masses in India and China, such workers are still not nearly so large a percentage of the world population as they used to be.)

But rather than allowing a massive reduction of working hours to free the world’s population to pursue their own projects, pleasures, visions, and ideas, we have seen the ballooning of not even so much of the ‘service’ sector as of the administrative sector, up to and including the creation of whole new industries like financial services or telemarketing, or the unprecedented expansion of sectors like corporate law, academic and health administration, human resources, and public relations. And these numbers do not even reflect on all those people whose job is to provide administrative, technical, or security support for these industries, or for that matter the whole host of ancillary industries (dog-washers, all-night pizza delivery) that only exist because everyone else is spending so much of their time working in all the other ones.

These are what I propose to call ‘bullshit jobs’.

It’s as if someone were out there making up pointless jobs just for the sake of keeping us all working. And here, precisely, lies the mystery. In capitalism, this is precisely what is not supposed to happen. Sure, in the old inefficient socialist states like the Soviet Union, where employment was considered both a right and a sacred duty, the system made up as many jobs as they had to (this is why in Soviet department stores it took three clerks to sell a piece of meat). But, of course, this is the sort of very problem market competition is supposed to fix. According to economic theory, at least, the last thing a profit-seeking firm is going to do is shell out money to workers they don’t really need to employ. Still, somehow, it happens.

While corporations may engage in ruthless downsizing, the layoffs and speed-ups invariably fall on that class of people who are actually making, moving, fixing and maintaining things; through some strange alchemy no one can quite explain, the number of salaried paper-pushers ultimately seems to expand, and more and more employees find themselves, not unlike Soviet workers actually, working 40 or even 50 hour weeks on paper, but effectively working 15 hours just as Keynes predicted, since the rest of their time is spent organizing or attending motivational seminars, updating their facebook profiles or downloading TV box-sets.

The answer clearly isn’t economic: it’s moral and political. The ruling class has figured out that a happy and productive population with free time on their hands is a mortal danger (think of what started to happen when this even began to be approximated in the ’60s). And, on the other hand, the feeling that work is a moral value in itself, and that anyone not willing to submit themselves to some kind of intense work discipline for most of their waking hours deserves nothing, is extraordinarily convenient for them.

Once, when contemplating the apparently endless growth of administrative responsibilities in British academic departments, I came up with one possible vision of hell. Hell is a collection of individuals who are spending the bulk of their time working on a task they don’t like and are not especially good at. Say they were hired because they were excellent cabinet-makers, and then discover they are expected to spend a great deal of their time frying fish. Neither does the task really need to be done—at least, there’s only a very limited number of fish that need to be fried. Yet somehow, they all become so obsessed with resentment at the thought that some of their co-workers might be spending more time making cabinets, and not doing their fair share of the fish-frying responsibilities, that before long there’s endless piles of useless badly cooked fish piling up all over the workshop and it’s all that anyone really does. I think this is actually a pretty accurate description of the moral dynamics of our own economy.

Now, I realise any such argument is going to run into immediate objections: ‘who are you to say what jobs are really “necessary”? What’s necessary anyway? You’re an anthropology professor, what’s the “need” for that?’ (And indeed a lot of tabloid readers would take the existence of my job as the very definition of wasteful social expenditure.) And on one level, this is obviously true. There can be no objective measure of social value.

I would not presume to tell someone who is convinced they are making a meaningful contribution to the world that, really, they are not. But what about those people who are themselves convinced their jobs are meaningless? Not long ago I got back in touch with a school friend who I hadn’t seen since I was 12. I was amazed to discover that in the interim, he had become first a poet, then the front man in an indie rock band. I’d heard some of his songs on the radio having no idea the singer was someone I actually knew. He was obviously brilliant, innovative, and his work had unquestionably brightened and improved the lives of people all over the world. Yet, after a couple of unsuccessful albums, he’d lost his contract, and plagued with debts and a newborn daughter, ended up, as he put it, ‘taking the default choice of so many directionless folk: law school.’ Now he’s a corporate lawyer working in a prominent New York firm. He was the first to admit that his job was utterly meaningless, contributed nothing to the world, and, in his own estimation, should not really exist.

There’s a lot of questions one could ask here, starting with, what does it say about our society that it seems to generate an extremely limited demand for talented poet-musicians, but an apparently infinite demand for specialists in corporate law? (Answer: if 1% of the population controls most of the disposable wealth, what we call ‘the market’ reflects what they think is useful or important, not anybody else.) But even more, it shows that most people in these jobs are ultimately aware of it. In fact, I’m not sure I’ve ever met a corporate lawyer who didn’t think their job was bullshit. The same goes for almost all the new industries outlined above. There is a whole class of salaried professionals that, should you meet them at parties and admit that you do something that might be considered interesting (an anthropologist, for example), will want to avoid even discussing their line of work entirely (one or t’other?) Give them a few drinks, and they will launch into tirades about how pointless and stupid their job really is.

This is a profound psychological violence here. How can one even begin to speak of dignity in labour when one secretly feels one’s job should not exist? How can it not create a sense of deep rage and resentment. Yet it is the peculiar genius of our society that its rulers have figured out a way, as in the case of the fish-fryers, to ensure that rage is directed precisely against those who actually do get to do meaningful work. For instance: in our society, there seems a general rule that, the more obviously one’s work benefits other people, the less one is likely to be paid for it. Again, an objective measure is hard to find, but one easy way to get a sense is to ask: what would happen were this entire class of people to simply disappear? Say what you like about nurses, garbage collectors, or mechanics, it’s obvious that were they to vanish in a puff of smoke, the results would be immediate and catastrophic. A world without teachers or dock-workers would soon be in trouble, and even one without science fiction writers or ska musicians would clearly be a lesser place. It’s not entirely clear how humanity would suffer were all private equity CEOs, lobbyists, PR researchers, actuaries, telemarketers, bailiffs or legal consultants to similarly vanish. (Many suspect it might markedly improve.) Yet apart from a handful of well-touted exceptions (doctors), the rule holds surprisingly well.

Even more perverse, there seems to be a broad sense that this is the way things should be. This is one of the secret strengths of right-wing populism. You can see it when tabloids whip up resentment against tube workers for paralysing London during contract disputes: the very fact that tube workers can paralyse London shows that their work is actually necessary, but this seems to be precisely what annoys people. It’s even clearer in the US, where Republicans have had remarkable success mobilizing resentment against school teachers, or auto workers (and not, significantly, against the school administrators or auto industry managers who actually cause the problems) for their supposedly bloated wages and benefits. It’s as if they are being told ‘but you get to teach children! Or make cars! You get to have real jobs! And on top of that you have the nerve to also expect middle-class pensions and health care?’

If someone had designed a work regime perfectly suited to maintaining the power of finance capital, it’s hard to see how they could have done a better job. Real, productive workers are relentlessly squeezed and exploited. The remainder are divided between a terrorised stratum of the, universally reviled, unemployed and a larger stratum who are basically paid to do nothing, in positions designed to make them identify with the perspectives and sensibilities of the ruling class (managers, administrators, etc.)—and particularly its financial avatars—but, at the same time, foster a simmering resentment against anyone whose work has clear and undeniable social value. Clearly, the system was never consciously designed. It emerged from almost a century of trial and error. But it is the only explanation for why, despite our technological capacities, we are not all working 3–4 hour days.

By David Graeber

Article traduit par M. Prieux, décembre 2020.

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