Conflits de valeurs et souffrance au travail

Stress Travail et Santé

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Une des sources de la souffrance au travail provient des conflits de valeurs auxquels peuvent être confrontés les travailleurs ou les travailleuses.

De la détresse morale au conflit de valeurs

Au début des années 1980 aux États-Unis, Andrew Jameton, dans Nursing Practice: The Ethical Issues (1984), est conduit à mettre en lumière la dimension morale présente dans la souffrance psychique qu’éprouvent les infirmières dans le cadre de leur travail. Il éclaire la notion de «détresse morale»: «La détresse morale apparaît quand on connaît la bonne action à poser ou la bonne chose à faire, mais que des obstacles, contraintes institutionnelles ou organisationnelles empêchent d’agir en ce sens.» L’intérêt de la définition de Jameton est d’articuler une dimension morale, liée à l’éthique professionnelle, avec un empêchement à agir qui, lui, trouve sa source dans l’organisation du travail ou le fonctionnement de l’institution.
En France, ce sont les travaux de Christophe Dejours, avec son ouvrage Souffrance en France (1998), qui introduisent la notion de «souffrance éthique»: «la souffrance qui résulte non pas d’un mal subi par le sujet, mais [comme] celle qu’il peut éprouver de commettre, du fait de son travail, des actes qu’il réprouve moralement».
Le rapport Gollac (2011) [sur le suivi des risques psychosociaux au travail] reprend la thèse que la souffrance au travail peut naître d’un conflit éthique, mais en élargissant la perspective: «Les conflits de valeur au travail incluent tous les conflits portant sur des choses auxquelles les travailleurs attribuent de la valeur: conflits éthiques, qualité empêchée, sentiment d’inutilité du travail, atteinte à l’image du métier.»

Le conflit des éthiques au travail

Le courant du paradigme de la multiplicité des éthiques (Starratt, Shapiro, Langlois…) met en avant le fait que le jugement éthique suppose la prise en compte de différentes éthiques. Néanmoins l’on peut considérer qu’il existe des conflits entre différentes éthiques au travail qui peuvent conduire à une souffrance. Il serait alors possible de distinguer plusieurs éthiques pouvant entrer en conflit les unes avec les autres.
Une première éthique peut être celle de la profession. L’éthique de la profession se réfère aux valeurs propres à un champ professionnel. Il existe une éthique de la profession de journaliste ou de médecin, par exemple. Cette éthique de la profession peut être orientée vers une valorisation du désintéressement, comme c’est le cas dans les professions-vocations. La valeur du travail se trouverait dans l’activité elle-même, plus encore que dans sa finalité économique. C’est le cas par exemple dans les professions artistiques.
Une deuxième éthique peut être l’éthique de la sollicitude (ou care). Cette éthique est particulièrement prégnante dans les métiers de la relation à autrui: les métiers de la santé, de l’éducation ou du travail social.
Ces deux éthiques peuvent se trouvées menacées par l’éthique de l’efficacité. En philosophie, celle-ci relèverait des «éthiques conséquentialistes», dont la forme la plus souvent retenue est l’utilitarisme. L’éthique de l’efficacité au travail se préoccupe de la réalisation du résultat, souvent identifié avec une rentabilité économique. Si la recherche de l’efficacité peut avoir une dimension éthique, elle peut néanmoins sombrer dans ce que l’Ecole de Francfort a appelé la «domination de la raison instrumentale». Celle-ci consiste à mettre en avant la recherche de l’efficacité, en particulier économique, au risque de sacrifier la valeur et donc la dignité de la personne humaine. L’éthique de l’efficacité peut également menacer les valeurs propres à l’éthique de la sollicitude ou à l’éthique de la profession.
Le ou la professionnel-le peut d’autant plus se trouver en difficulté quand l’éthique de l’efficacité prend appui sur l’éthique de la légalité. En effet, la déontologie professionnelle implique l’application des règlements ou des ordres hiérarchiques qui s’imposent dans un domaine professionnel. Dès lors qu’il existe une domination de la rationalité instrumentale, celle-ci se traduit également dans le droit et la réglementation que doit appliquer le ou la professionnel-le.

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