Incidences transgénérationnelles de la souffrance au travail

Stress Travail et Santé

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Article de Rémy Canino, psychologue au Centre National d’Observation de la Maison d’arrêt de Fresnes. Membre de l’équipe de recherche : « psychodynamique et psychopathologie du travail » (EA 3203). Centre de Recherche sur le Travail et le Développement, Paris, Conservatoire National des Arts et Métiers.

Dans cet article nous souhaitons rassembler des éléments cliniques à partir de la psychopathologie infanto-juvénile pour rendre compte de l’incidence de la souffrance au travail des parents sur l’économie des relations dans la famille et le développement psychoaffectif des enfants.

Comment la place du travail dans la subjectivité des parents est-elle transmise ? Le processus que l’on est en mesure aujourd’hui d’élucider passe par l’analyse des formes de coopérations familiales contribuant au maintien des exigences défensives requises par l’exercice du travail. Leur description clinique détaillée selon la thèse de la centralité du travail peut apporter à l’approche psychanalytique des ressources nouvelles pour comprendre comment la normalité de ceux qui souffrent en situation de travail est souvent maintenue au prix de la dégradation de l’équilibre psychique de leurs proches. Il s’avère qu’un des principaux motifs de consultation dans le cadre d’un service public de pédopsychiatrie concerne les agirs agressifs manifestés par des enfants « qui poussent à bout » selon les propres termes employés par leurs parents1. Ceux-ci expriment ainsi le sentiment d’être débordés par l’intensité et la fréquence des crises d’opposition qui perturbent la vie familiale.

Ils décrivent communément chez leurs enfants une irritabilité à fleur de peau ponctuée par le surgissement de colères clastiques dont ils ont du mal à sortir. Face à l’exacerbation de ces manifestations qu’ils perçoivent comme des provocations, les parents éprouvent une forte angoisse mobilisant une tension agressive accrue. Ils tentent d’abord de convaincre rationnellement l’enfant de respecter les règles ou de faire un effort d’explicitation de la signification de sa conduite de refus. Mais les tentatives censées obtenir une réaction d’obéissance échouent et n’aboutissent qu’à des agirs coercitifs qui peuvent aller jusqu’à la violence pour le faire céder.

L’émergence soudaine de la confrontation conflictuelle ou son externalisation hors de la famille en milieu scolaire constituent toujours une blessure narcissique pour ces parents déçus dans leurs attentes vis-à-vis de l’enfant.

Pour le psychothérapeute qui s’interroge sur ce qui lie ou aliène les membres d’une famille, le symptôme de l’enfant « qui pousse à bout » prend la signification d’une résistance devant l’héritage imposé par les parents. Freud avait déjà mentionné la fonction essentielle de la procréation pour conjurer l’angoisse de mort en assurant la continuité du narcissisme parental dont l’enfant est dépositaire (FREUD 1914)2. L’accès à la parentalité comporte toujours certains enjeux psychiques liés à l’histoire des parents. C’est une seconde chance de remaniement dans la relation à l’enfant, des ratés de leur histoire singulière.

L’enfant, faire valoir des idéaux parentaux, aura à en découdre avec l’expérience infantile de ses parents, avec leurs vécus d’échec, de vulnérabilité, et l’angoisse qui les tourmente encore.

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Notes

1 – Ciccone A. (2003), Les enfants qui « poussent à bout ». Logiques du lien tyrannique, in Ciccone et al.,
Psychanalyse du lien tyrannique, Paris, Dunod, p. 11-45.

2 – FREUD, S. (1914) Pour introduire le narcissisme. Payot

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