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Psychosociologie. Chercheurs sous pression, budgets et effectifs en baisse, course aux financements, tyrannie du « publier ou périr »… L’évolution des métiers de la recherche entraîne un climat de détresse psychologique. Enquête au cœur du malaise.

Le 7 février, le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT) s’inquiétait dans un communiqué « de la survenue, pour le seul mois de janvier, de trois suicides de personnes travaillant dans des laboratoires et l’administration du CNRS ». Et se demandait s’ils n’étaient pas un prélude à « une vague de suicides ».
Si la direction de l’organisme tient à rappeler qu’aucun de ces drames ne s’est produit sur les lieux de travail et que rien ne permet pour l’instant de les relier à leur activité professionnelle, ils surviennent dans un climat de détresse psychologique répandu dans la recherche publique. En 2013, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) avait été endeuillé par un suicide survenu sur le lieu de travail, qui avait nécessité une prise en charge psychologique des équipes. Et plusieurs autres établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) ont été confrontés à de tels passages à l’acte récemment.
« Nous avons hésité à communiquer sur ces suicides, car il est toujours compliqué d’en démêler les ressorts intimes – et parce que, dans un cas au moins, il s’agit d’un drame purement privé, indique Daniel Steinmetz, responsable SNTRS-CGT. Mais cela fait plusieurs années que nous signalons à la direction du CNRS des cas de souffrance au travail et cela nous a semblé un signal suffisamment fort pour essayer de trouver d’autres solutions que celles qui ont été mises en place jusqu’ici. »
La direction du CNRS rappelle que le taux de suicides y est inférieur à la moyenne nationale et que le nombre des arrêts maladie reste stable depuis 2010. Elle craint que l’évocation, même avec un point d’interrogation, d’une « vague de suicides » dans le communiqué syndical soit elle-même potentiellement suicidogène pour des personnes fragiles. Elle ne nie pas que la situation actuelle de la recherche publique – tensions sur l’emploi et les budgets – crée des situations difficiles, mais estime avoir fait face à la montée des risques psychosociaux.
Le suicide, toutes les parties en conviennent, reste un cas limite, difficile à interpréter. Les symptômes du risque psychosocial (RPS) les plus répandus, face aux transformations qui frappent ce secteur depuis quelques années, sont plutôt la dépression et le burn-out. Jusqu’à l’abandon, pour certains, de postes durement conquis. Les fonctions support – ingénieurs, techniciens et administratifs – sont aussi en première ligne, dans un contexte budgétaire où les organismes veulent d’abord préserver les capacités de recherche. Sans oublier la situation des nombreux chercheurs précarisés dans l’attente d’une titularisation.
« Antidépresseurs à la pelle, comportements suicidaires, brusques variations de poids, bouffées délirantes, addictions féroces… » Tels sont les maux dont souffrent les patients de Jeannie Trépos, directrice du Service médical universitaire du travail (SMUT) de Rennes, qui accueille personnels et doctorants de l’université de Rennes et d’autres organismes liés comme le CNRS, l’Ecole normale supérieure de Cachan ou l’Inserm.
Ce jour-là, elle a pris en charge un malaise cardiaque sur le campus : « Autour, tout le monde pleurait, soupire-t-elle, mais tous avaient ce même discours terrible : ils savaient que ça finirait par arriver. » Sur les 5 000 personnes suivies par son équipe – dont 600 chercheurs du CNRS, 300 doctorants, et 1 500 chercheurs et enseignants-chercheurs –, un cinquième « souffre beaucoup », estime-t-elle.
Une enseignante du campus rennais témoigne ainsi avoir « craqué », il y a deux ans et être restée incapable d’ouvrir ses mails pendant plusieurs mois, à la suite d’un énième refus de subvention pour un projet de recherche européen. C’est là l’une des croix du chercheur contemporain : la nécessité de décrocher soi-même des financement, les subventions toujours plus réduites des laboratoires n’y suffisant plus.

« L’arrivée des principes de gestion a été une catastrophe »

Chaque année, un chercheur passe donc plusieurs mois à remplir des formulaires ultraprécis d’organismes européens ou de l’Agence nationale de recherche (ANR) avec, chaque fois, neuf chances sur dix de voir son projet retoqué. « Pour chaque projet échelonné sur trois-quatre ans, il faut développer, mois par mois, le temps consacré par chaque membre à chaque activité, explique Anne Atlan, chargée de recherche CNRS en biologie évolutive à Rennes. Comme s’il était possible d’anticiper à ce degré de précision ! En recherche, par définition, on ne sait jamais ce qu’on va trouver… »
Face aux plaintes répétées, l’ANR a bien établi, en juillet 2013, un appel à projets simplifié, visant à établir un premier tri parmi les demandes. Mais à la clôture des dossiers, en octobre, elle annonçait 8 444 prépropositions éligibles. Un chiffre décourageant pour Anne Atlan, dont les onze projets déposés ces deux dernières années ont tous été refusés.
Il y a dix ans, « l’arrivée des principes de gestion dans le monde de la recherche, jusqu’ici assez libre, a été une catastrophe », déplore le chercheur Pierre-Henri Gouyon, passé il y a quelques années au Muséum national d’histoire naturelle à Paris pour gagner un peu de sérénité, dans un environnement plus « grand public ». Car la quête de contrats n’est pas, loin s’en faut, la seule mission (ni le seul dossier) à remplir.

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