Médecine du travail : le conseil de l'ordre attentif aux… employeurs

Stress Travail et Santé

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La médecine du travail devrait figurer dans la loi qui sera présentée par Myriam El Khomri ce printemps. Les professionnels se disent sous la pression croissante des employeurs, qui attaquent leurs certificats médicaux devant le conseil de l’ordre des médecins.

L’histoire est toujours la même : un salarié consulte son médecin du travail, son généraliste, ou un psychiatre. Ce dernier rédige, via des certificats médicaux ou des courriers à des confrères, des écrits qui établissent le lien entre l’état de santé psychique de leur patient et son travail. Ces écrits se retrouvent, parfois des années plus tard, dans un dossier aux prud’hommes, quand le salarié se plaint de harcèlement ou licenciement abusif… Les employeurs s’insurgent alors, et attaquent les médecins devant les chambres disciplinaires du conseil de l’ordre, chargées de veiller à la déontologie médicale.

Dans le petit monde des médecins du travail, le procédé fait bondir. Protégés contre les pressions des employeurs par leur statut, ces professionnels voient dans le recours au conseil de l’ordre une remise en cause insidieuse de leur indépendance. Bernadette Berneron, qui de son propre aveu n’était pas « une militante », n’en revient pas : embauchée en service interentreprises, elle a, depuis 2013, été attaquée tour à tour par EDF, un syndicat agricole ou encore un laboratoire d’analyses médicales, pour ses courriers et certificats. Localement, la chambre disciplinaire du conseil de l’ordre a abandonné une partie des poursuites, néanmoins deux plaintes sont remontées au niveau régional, à Orléans. Condamnée à un avertissement, elle fait appel de cette décision devant la chambre disciplinaire nationale, à Paris.

Pourquoi maintenant, alors que le docteur Berneron exerce depuis plus de 30 ans sans anicroches ? « Il y a de plus en plus de salariés qui vont aux prud’hommes pour des affaires de souffrance au travail. Or recourir au conseil de l’ordre, c’est la seule façon pour l’employeur d’avoir accès aux pièces du dossier médical et à nos courriers, explique Bernadette Berneron. Dans ce genre de procès, c’est difficile, voire quasi impossible d’avoir des attestations de collègues. Les salariés et leurs avocats se servent des éléments qu’ils ont sous la main. »

Pour le conseil national de l’ordre des médecins, les employeurs ont toujours eu « la latitude » de porter plainte contre des médecins, et ne se sont pas « privés de le faire ». Mais les médecins incriminés jugent que le tournant date de 2007. Cette année-là, un article du code de la santé publique donne la possibilité, «notamment», aux patients, aux assurances, à la Sécurité sociale et aux associations de malades de lancer une action disciplinaire contre un médecin. « À la faveur de ce notamment introduit en toute discrétion, les chambres disciplinaires régionales ordinales instruisent des poursuites de plus en plus nombreuses, à la demande de l’employeur, contre le médecin attestant par un écrit du lien entre la santé et le travail », constate le docteur Huez, membre actif de l’association Santé et médecine du travail (a-SMT), lui-même sous le coup d’une procédure (condamné au niveau régional, il attend son jugement en appel devant la chambre disciplinaire nationale, sa procédure ayant été regroupée avec celle du docteur Berneron). Le conseil de l’ordre voit les choses autrement : la modification du décret en 2007 permet à toute personne « ayant intérêt à agir » de porter plainte contre un médecin, salarié-patient et employeur compris.

« Les avocats patronaux se sont engouffrés dans la brèche, confirme depuis Nancy le professeur de droit Patrice Adam, alerté sur ce sujet il y a deux ans lors d’une formation dispensée à des médecins du travail lorrains. Quatre ou cinq décisions ordinales favorables, c’est suffisant pour faire peser une grosse pression sur les médecins. » Devant la montée en puissance des procédures pour harcèlement aux prud’hommes ou au pénal, « les employeurs et leurs conseils cherchent à se défendre », concède le vice-président du conseil national de l’ordre des médecins, André Deseur, interrogé sur le sujet. « Les avocats savent qu’ils peuvent monter une procédure et une partie des organisations patronales sont prêtes pour la guérilla juridique », insiste Patrice Adam.

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