Comment un métier-passion peut-il devenir toxique ?

Stress Travail et Santé

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2 Français sur 5 souhaiteraient transformer leur passion en activité professionnelle. Mais exercer un métier-passion ne peut-il pas devenir toxique ?

Un métier-passion peut ressembler à une passion amoureuse, ce n’est pas juste un “job”, mais un morceau de soi-même, qui peut vous consumer de l’intérieur. Quand on aime on ne compte pas ces heures. Et c’est bien le problème. Les études le montrent : les individus passionnés par leur travail font plus d’heures supplémentaires, parfois non rémunérées…

Selon le philosophe Confucius : “Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie.” Pourtant, il arrive que le travail qu’on aime passionnément se transforme en piège, que la relation devienne toxique, qu’on lui donne trop, voire tout pour ne pas avoir grand chose en retour.

On pourrait croire que cette passion dévorante, qui peut aussi avoir du bon, ne toucherait que les métiers artistiques, les métiers liés au sport, aux milieux associatifs, à l’enseignement ou à la santé. Mais non, comme l’amour tout court, la passion du travail peut toucher tout le monde. Et les ruptures professionnelles deviennent des ruptures amoureuses.

Les deux (bonne et mauvaise) faces d’une même passion

La passion au travail peut être génératrice de conséquences positives, aussi bien pour vous-même en tant que salarié(e) que pour l’entreprise, qui va y trouver son intérêt dans une équation qui associe la passion aux compétences. Cette passion quand elle équilibrée est donc harmonieuse, source de bien-être, à travers laquelle on va pouvoir remplir son besoin de compétences, d’autonomie et d’affiliation sociale, quant au fait de se sentir également apprécié et aimé des autres.

Mais de l’autre côté, cette même personne risque de représenter un danger pour elle-même tant cette passion professionnelle peut la conduire à enchaîner les heures sans même s’en rendre compte et affaiblir son capital santé de manière invisible. Un danger également pour ce qui concerne certaines méthodes managériales qui peuvent en abuser. Cette passion peut s’avérer obsessionnelle et induire sans que vous vous rendiez compte, une pulsion interne de persévérance rigide dont les risques psychosociaux risquent de nuire tout autant à vous-même qu’à l’entreprise. Il en suffit donc de peu pour que des gens partent du jour au lendemain parce qu’ils n’en peuvent plus, explique Stéphanie Carpentier car « une entreprise incitera toujours plus une personne passionnée à faire toujours plus et la personne passionnée elle-même sera trop exigeante vis-à-vis d’elle-même pour constamment mettre sa passion au profit de son équipe sans même s’en rendre compte, et qui cache un certain harcèlement moral inaperçu qui peut s’avérer très destructeur« .

Le métier-passion favorise les risques de burn-out

L’experte en management des RH et prévention de la santé au travail, Stéphanie Carpentier, précise que le burn-out est lui aussi directement lié à cette passion, parce que ce qui se dégrade du jour au lendemain, c’est l’estime de soi et « lorsqu’on est dans un environnement managérial qui ne vous laisse pas faire votre travail selon un sentiment d’utilité sociale et de qualité globale, qui vous impose des critères d’efficacité productivité, qui vous évalue systématiquement, qui vous met en concurrence avec les autres, une entreprise essaie indirectement de vous arracher cette passion qui détermine cette relation absolument spécifique entre vous et votre métier. Parfois certains critères managériaux peuvent venir bafouer ce que vous pouvez mettre de passionnel dans votre travail et gâcher son accomplissement. Pourquoi ? Car quand on consacre tellement de temps à son travail, on a toujours envie de produire quelque chose de beau, de grand, d’utile et de le faire dans des conditions décentes« .

Quand le métier-passion s’invite dans votre vie privée

C’est aussi l’un des autres grands pièges du métier-passion. Quand il sort du cadre professionnel et s’invite chez vous au point que votre vie ne se résume plus qu’à votre passion professionnelle. La psychologue Luce Janin-Devillars alerte ainsi sur ce risque selon lequel « cette passion travail peut venir complètement cannibaliser votre vie privée et qu’il faut absolument faire une distinction entre l’amour et la passion« . Autrement dit, on peut vraiment aimer son travail, on peut s’y engager et être extrêmement professionnel et sérieux, sans entretenir une passion, une idée fixe qui surpasse absolument toute votre vie.

Passionnés et souvent aveugles face à une position précaire

Les personnes passionnées risquent d’être plus facilement exploitées que les autres. Selon la sociologue Danièle Linhart, elles sont plus enclin à rester « passives face à un éventuel précariat, dans certaines entreprises qui leur donnent certes la possibilité d’exercer leur passion pour le métier de leur rêve, sans pour autant que la stabilité d’emploi soit quant à elle au rendez-vous. Le métier passion peut être un danger aussi pour le management, parce que ça peut conduire les salariés qui sont tellement investis par leur métier de vouloir s’opposer aux directives managériales. On tend à voir se substituer du point de vue managérial, une incitation non pas tellement au métier-passion, mais à la passion de soi-même, au développement du narcissisme, mettre en concurrence des salariés pour que, selon les critères voulus par le management, ils se mettent en compétition ».

Invités :

France Inter : Comment un métier-passion peut-il devenir toxique ?
  • Anne-Claire Genthialon, journaliste de presse écrite pendant une dizaine d’années auprès de grands médias et autrice du livre « Le Piège du métier-passion » qui paraîtra le 11 octobre 2022 aux éditions Alisio, disponible en précommande ici
  • Stéphanie Carpentier, docteur Sciences de Gestion, experte en management des RH et prévention de la santé au travail
  • Danièle Linhart, sociologue, directrice de recherches émérite au CNRS, membre du laboratoire GTM-CRESPPA, UMR-CNRS-universités de Paris 8 et Paris 10
  • Luce Janin-Devillars, psychologue, psychanalyste et coach en entreprise

Une émission à écouter sur le site de France Inter


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