«Pour Amazon, on est des robots»

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Après le scandale provoqué par l’enquête de l’émission « Cash Investigation » sur Lidl, les salariés de la distribution low cost et des entrepôts ont commencé à témoigner du caractère déshumanisant de leur travail.
Élodie Kahit, préparatrice chez Amazon, et Cyrine Gardes, doctorante en sociologie, racontent les coulisses du commerce à bas coût.
Dans le casque, une voix robotisée leur dit où aller, de palettes en palettes, pour charger des petits pois, du papier toilette ou des tomates en conserve. « Place numéro 26 », « Place numéro 29 », « Prenez 1 »… Les consignes s’enchaînent à un rythme effréné pour les salariés de chez Lidl. Ces images, enregistrées en caméra cachée par l’équipe de « Cash Investigation » et diffusées en septembre 2017, ont choqué, pour leur cruelle mise à nu du monde du travail dans les entrepôts de la distribution low cost.
Les salariés de chez Lidl ne sont pas les seuls à subir des conditions de travail dégradées, sous l’effet de l’intensification de la production, avec le concours parfois de la technologie. Mais c’est particulièrement vrai dans le domaine du low cost (Lidl, Aldi, Bricoman, Brico Dépôt, Ryanair, etc.) et des entrepôts. Élodie Kahit, l’une des deux invitées de notre émission « Espace de travail », en sait quelque chose : « Moi c’est mon “scan” qui m’indique ce que je dois faire, explique cette préparatrice de commandes chez Amazon, déléguée syndicale CGT. Il me dit combien j’ai de secondes pour aller “picker” les articles, pour les mettre en paquet, marcher dans telle ou telle allée… »
Cyrine Gardes, chercheuse en sociologie, a travaillé dans deux enseignes du low cost (dans l’alimentaire et le bricolage) pour réaliser sa thèse, et estime que ce « reportage était le bienvenu car beaucoup de gens ont découvert ce qui se passait dans ce monde des entrepôts, de même que beaucoup de personnes se sont reconnues dans ces conditions de travail ». Un monde jusqu’ici plutôt méconnu, notamment dans le champ des sciences sociales, alors que de plus en plus de salariés de la distribution travaillent dans le low cost ou le hard discount.
Outre la manette, ou le casque, c’est la chasse aux temps morts qui a tendance à déshumaniser le travail. « Caissière, dans les enseignes low cost, est désormais un abus de langage. Les salariés sautent sans cesse d’une activité à une autre, à la caisse et dans les rayons, explique Cyrine Gardes. Bien sûr, on pourrait penser que c’est une organisation de travail qui rend la journée moins routinière, mais il s’agit là d’une polyvalence contrainte, subie. Les individus n’ont pas de prise sur leur travail. » L’objectif : économiser la force de travail. Dans l’alimentaire, on compte six salariés pour 500 m2 de surface de vente dans le hard discount, le double dans les enseignes classiques.
La gestion du travail en entrepôt ou dans les hangars de la distribution low cost réussit ce que Cyrine Gardes qualifie de « tour de force » vis-à-vis du secteur dit classique, à savoir « l’exploitation à outrance des formes particulières de l’emploi », couplée à une organisation du travail qui suit des courbes bien précises de productivité. « Le tout renforcé par  une politique de bas salaire : dans le low cost, on est sur des Smic et du temps partiel, en particulier dans l’alimentaire, où ce sont parfois 100 % des salariés en dehors de la hiérarchie qui travaillent à temps partiel. »

Forcément, le management aussi a subi des mutations. Il est dématérialisé, par le biais de la manette de scan par exemple, qui va servir de compteur et de traceur : « Nous avons des objectifs, tant de colis à faire à l’heure, et tout ça est indiqué sur notre écran ou sur notre scan. Si on n’y arrive pas, ça s’affiche en rouge sur l’ordinateur du manager qui vient nous voir, raconte Élodie Kahit. On peut ensuite recevoir une lettre d’avertissement chez nous, et cela peut éventuellement conduire au licenciement. » Sans que ne disparaissent pour autant les « lead » (chez Amazon), ou les « petits chefs », qui servent de courroies de distribution des directives managériales.

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