Pourquoi les Japonais se tuent-ils au travail??

Dans le Monde, Stress Travail et Santé

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Le suicide d’une jeune femme de vingt-quatre ans relance dans le pays le débat sur le surmenage, qui fait chaque année des milliers de victimes et handicape la croissance nippone.

Depuis plusieurs semaines, la jeune femme de vingt-quatre ans postait ses appels au secours sur son compte Twitter. « Je n’ai plus d’émotions. Je veux seulement dormir », écrivait, en octobre 2015, Matsuri Takahashi, qui avait débuté, en avril, dans l’une des divisions chargées des campagnes digitales de la prestigieuse agence de publicité Dentsu, à Tokyo. « Je suis encore sur le pont samedi et dimanche. Je veux juste mourir », postait l’ancienne étudiante en lettres tout juste diplômée, avant de se plaindre de sa charge de travail, de l’absence de sommeil et du mépris de ses chefs.
Puis, le 16 décembre, un autre message désespéré. « Mais que restera-t-il si je réussis à surmonter ces journées si stressantes et mes pensées de mort. » L’un de ses derniers tweets. Le soir du 25 décembre 2015, elle grimpait sur la balustrade d’un balcon du troisième étage du dortoir pour femmes où la logeait son entreprise et se jetait dans le vide.
Après plusieurs mois d’enquête, l’inspection du travail a conclu, en octobre dernier, que le suicide de Matsuri Takahashi avait bien été provoqué par le surmenage, ou « karoshi », qui frappe, chaque année, des millions d’employés japonais. Sur le seul mois allant du 9 octobre au 7 novembre, la jeune femme avait déclaré 105 heures supplémentaires en plus des 40 heures officielles prévues dans son contrat.

Démission du président

D’autres heures supplémentaires n’auraient pas été enregistrées par sa direction, comme c’est souvent le cas. Plusieurs jours d’affilée, elle n’avait pu dormir que deux heures par nuit pour revenir travailler à l’aube, sous la pression de son manager, qui se moquait de « ses yeux injectés de sang et de ses cheveux mal arrangés ».
Grâce aux conclusions de l’inspection du travail, la famille de la jeune femme va obtenir une compensation et le dossier va être étudié par un procureur afin d’éventuellement sanctionner la direction de Dentsu pour des infractions au droit du travail.
Avant la fin janvier, Tadashi Ishii, le président du géant de la publicité, qui avait orchestré l’expansion de la firme à l’international et notamment le rachat en 2012 d’Aegis, va remettre sa démission au conseil d’administration. « Je me sens responsable. Je n’ai pas su contenir ces surcharges de travail et instaurer de bons standards », a confié le dirigeant.
Maintes fois, son groupe, réputé particulièrement dur, avait été averti pour ses abus. Dès 2000, la Cour suprême, qui avait été appelée à statuer sur le suicide par pendaison d’un autre jeune salarié de Dentsu, avait dénoncé « les conditions de travail affreuses » au sein de l’agence. « Oui, ils sont exigeants mais ce ne sont pas les seuls. On retrouve ça ailleurs », confie une ancienne salariée, passée il y a trois ans dans une société européenne moins astreignante.

Multiplication des cas de surmenage

Les pages de faits divers des journaux et les statistiques le confirment. Le « karoshi » frappe des milliers de sociétés de toute taille au Japon. Dans son premier Livre blanc consacré au surmenage, le ministère du Travail et de la Santé avait révélé en octobre dernier que 23 % des 1.743 entreprises sondées avaient, dans leurs effectifs, des salariés déclarant plus de 80 heures supplémentaires chaque mois.
Pis, 12 % des directions reconnaissaient de nombreux cas dépassant les 100 heures supplémentaires. Dans les secteurs des technologies de l’information ou du transport routier, qui affirment souffrir de pénurie de main-d’oeuvre, les cas de surmenage touchent 40 % des employés.
Officiellement, sur l’année fiscale 2015, 96 travailleurs seraient décédés d’un accident cardiaque ou cérébral provoqué par le surmenage. Le « karoshi » a encore été reconnu pleinement responsable de 93 suicides ou tentatives de suicide, par les inspecteurs du travail. Au-delà de ces cas qui donnent droit à des compensations, 2.159 suicides ont été, la même année, selon la police, en partie motivés par un stress professionnel.
« Je crois toutefois que ce n’est que la partie émergée de l’iceberg », confie Naohiro Yashiro, professeur à la Showa Women’s University de Tokyo. Pour Hiroshi Kawahito, le secrétaire général du Conseil national de défense des victimes du « karoshi », les cas seraient au moins dix fois plus nombreux que ce que les institutions avancent. « Le gouvernement organise plein de symposiums et fait des affiches sur le problème, mais c’est de la propagande », s’agaçait, l’an dernier, l’avocat.

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