Que faire face aux nouvelles formes de harcèlement au travail?

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« Nous n’avons pas encore de retours sur l’ampleur du harcèlement lié à la digitalisation et au télétravail, mais s’il y avait des comportements déviants avant la crise, ces derniers ont perduré à distance et ont même pu empirer».

Élise Chaumon, psychologue du travail pour le compte du cabinet Egidio, aborde la problématique des nouvelles formes de harcèlement sexuel et moral nées de la crise du Covid et propose des solutions pour limiter les risques d’exposition à ce fléau managérial.

A la question « Estimez-vous qu’avec le recours massif au télétravail les salariés sont davantage protégés du harcèlement ou que ça a plutôt l’effet inverse ? », la psychologue du travail penche clairement pour la seconde option.

Dérives managériales insidieuses

Même si, pour le moment on ne peut pas encore déterminer l’impact de la crise sanitaire sur l’ampleur du harcèlement au travail, la psychologue estime qu’il est certain que « celui-ci a pris de nouvelles formes » et que « s’il y avait des comportements déviants avant la crise Covid, ces derniers ont perduré même à distance et, se sont parfois empirés du fait de l’absence d’accompagnement managérial sur la réorganisation du travail ».

Pire encore, l’experte alerte sur le fait que ces comportements constitutifs de harcèlement « ont pu se multiplier chez les manageurs de façon inconsciente » avec notamment l’effacement des frontières en termes d’amplitude horaires ou de flou entre vie professionnelle et vie personnelle, mais également via les moyens de communication, à l’instar des mails et des appels à répétition même les soirs et week-end ou, au contraire, par l’isolement progressif du salarié.

« Le travail à distance a conduit à rendre encore plus insidieuses ces dérives », estime Elise Chaumon.

Certains manageurs, issus d’une culture du contrôle et eux-mêmes plongés dans l’incertitude, ont par exemple pu faire pression sur leurs collaborateurs pour suivre leur moindre activité en exigeant de leur part des points d’étape quotidien en visio et des bilans d’activité précis avec des objectifs inatteignables. A l’inverse, certains, en laissant les salariés en complète autonomie sans aucune supervision ni communication, voire en les excluant de certaines réunions importantes, ont pu susciter un climat d’abandon tout aussi délétère.

Gare à l’isolement des salariés !

Qu’est-ce qui représente le plus de risque de dérives managériales depuis le début de la pandémie : le brouillage de la frontière entre vie professionnelle et privée, l’élargissement du temps de travail ou bien la surveillance accrue ?

Il s’agit davantage de l’isolement selon la psychologue « parce que quand vous êtes seul chez vous, sans votre collectif social, personne ne peut être témoin des dérives managériales que vous subissez, et c’est ça qui est véritablement pernicieux ».

Par ailleurs, elle rappelle que « la placardisation est un élément constitutif de harcèlement moral », donc le fait de mettre de côté et d’isoler le salarié est une dérive grave.

De fait, la généralisation du télétravail apporte son lot de nouveaux défis, et en particulier la lutte contre l’isolement qui touche un télétravailleur français sur deux selon l’étude Opinium réalisée pour QBE en avril dernier.

Télétravail : équilibre délicat entre autonomie et contrôle

Les dispositifs de surveillance des salariés en télétravail mis en place récemment par certains employeurs ne peuvent-ils pas être considérés comme du harcèlement moral ? Les salariés n’ont-ils pas un droit à l’autonomie ?

« Les dispositifs de contrôle des connexions à la messagerie professionnelle par exemple ne sont pas constitutifs de harcèlement dans le sens où l’entreprise peut dire que c’est pour éviter les dépassements d’horaires et attester que vous respectiez bien votre forfait ou vos 35 heures. En revanche, ce serait constitutif de harcèlement si en plus vous étiez filmés pour vérifier que vous êtes bien derrière votre ordinateur toute la journée. Enfin, ça pourrait quand même constituer une forme de harcèlement s’il commençait à y avoir une certaine pression qui découlerait du dispositif et que le manageur ne cessait de commenter les horaires de connexion. C’est alors un critère de dysfonctionnement organisationnel et de pression morale », répond Elise Chaumon.

Il est reconnu que le collectif au travail est un facteur essentiel pour prévenir les risques de harcèlement, moral ou sexuel, ainsi que les risques psychosociaux. La conséquence principale de cette généralisation du travail à distance étant la perte du sentiment d’appartenance et du collectif, il incombe désormais aux entreprises de réinventer leur management pour recréer une dynamique fédératrice.

« C’est arrivé tellement vite que les entreprises se sont adaptées du jour au lendemain sans accompagnement, ni des salariés ni des manageurs, ce qui a créé un espace assez flou de comment est-ce qu’on devait procéder et permis à certaines personnes d’en abuser », estime la psychologue du travail qui préconise de faire de la prévention via des formations auprès des collaborateurs d’une part, et des manageurs de l’autre, de renforcer le dialogue social et de travailler sur l’accueil des nouveaux salariés.

Ouvrir le dialogue et prévenir les situations à risque

Les entreprises peuvent en effet limiter les risques de harcèlement au travail en faisant appel à des cabinets comme Egidio qui font de l’ingénierie de prévention auprès des Directions, RP et RH en proposant différentes formations sur la caractérisation du harcèlement moral et sexuel, sur la qualification d’agissements à caractère sexiste ou sexuel, ou encore sur l’identification des risques psychosociaux chez ses collègues ou ses collaborateurs.

Les salariés peuvent aussi, de leur côté, se prémunir contre le harcèlement en s’appuyant sur le collectif et en parlant des situations qui les dérangent avec leurs collègues. Ils doivent aussi se renseigner et connaître les acteurs de la prévention en interne – afin de pouvoir se confier à un référent harcèlement s’il y en a ou à un délégué du personnel – ou bien consulter un acteur externe comme le médecin du travail ou un avocat. « On sait que le harcèlement génère de l’isolement. Le but c’est de bien identifier les acteurs pour en sortir le plus vite possible », explique Elise Chaumon.

Enfin, le dialogue au sein de l’entreprise reste la pierre angulaire d’une bonne stratégie de réduction des risques. Alors que la crise sanitaire semble s’installer dans la durée, tout comme le télétravail, on pourrait penser que la qualité de vie au travail (QVT), sorte de « cerise sur le gâteau » des stratégies managériales, serait à mettre de côté en attendant le retour des jours meilleurs pour les entreprises. Et pourtant, c’est tout le contraire selon les représentants de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), qui mettent en avant la nécessité de mettre en place une démarche QVT permettant de mieux faire face à ce contexte d’incertitude et d’adaptation permanente. Ce type de démarche dont les principes fondateurs sont la co-construction et le dialogue pourrait ainsi limiter l’isolement des salariés et les risques de dérives comme le harcèlement.

« Il faut travailler sur les relations sociales dans le sens où le soutien des pairs doit être extrêmement fort et qu’on puisse avoir des espaces pour pouvoir dialoguer sereinement », en conclut la psychologue du travail.

Lire la suite, « Quid de la preuve de ces nouvelles dérives managériales? » www.affiches-parisiennes.com

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