Renault. Notre enquête suite au décès d'un cadre de Guyancourt

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Dans sa course effrénée aux économies, le constructeur pousse ses ingénieurs à rogner sur la qualité des véhicules, en concevant des produits moins chers, dans des délais de plus en plus courts. Avec des conséquences parfois lourdes sur le plan humain comme industriel.

Brahim E. avait tout du cadre accompli chez Renault. Embauché en 2001, l’ingénieur avait connu une solide ascension jusqu’à devenir directeur de l’ingénierie de la marque au losange au Maroc, puis directeur programme adjoint de la région Europe sur les projets transverses. Évaluations au beau ?xe, bonne progression de carrière : tout laissait penser que le cadre du Technocentre de Guyancourt (Yvelines) donnait pleine et entière satisfaction à Renault. Mais, ?n septembre, le constructeur automobile réalise qu’une version du Dokker produite dans l’usine de Tanger n’est pas homologable. Dans le but de réaliser des économies, une serrure a été enlevée sur une porte, ce qui rend le véhicule non conforme. Une modi?cation qui aurait été apportée sans être passée par l’étape d’homologation interne au groupe.

Un système de baisse de coûts perpétuelle

Le bilan économique pour le constructeur est lourd : 43 000 véhicules auraient été rappelés. En tant que directeur de l’ingénierie au Maroc, c’est Brahim E. qui est tenu responsable par Renault. Le 23 novembre, son employeur le convoque à un entretien préalable à sanction pouvant aller jusqu’au licenciement. Bouleversé par la procédure qu’il estime « totalement infondée, profondément injuste », explique la CFDT qui l’accompagnait à cet entretien, Brahim E. fait un malaise cardiaque et décède dans la nuit à l’hôpital. Il avait 44 ans et laisse derrière lui une femme et trois enfants. Depuis, Renault verrouille la communication sur cette affaire, que ce soit vis-à-vis de la presse ou de ses salariés. Jointe par téléphone, la direction s’est simplement dit « attristée et choquée » et annonce avoir mis en place « une cellule psychologique dès le lendemain du décès », jugeant en outre que le fait d’établir des liens entre l’organisation du travail et ce décès n’était « pas pertinent ». Pour le reste, Renault se retranche derrière l’enquête de police en cours. En interne, la direction a mis une semaine à communiquer, par le biais d’un mail particulièrement elliptique, dans lequel l’entretien est pudiquement renommé « entretien avec un représentant de l’établissement ». Mais le CHSCT s’étant auto-saisi pour enquêter, le constructeur se retrouve néanmoins sommé de rendre des comptes à la commission ad hoc. Car derrière le cas de Brahim E, tout un système de baisse de coûts perpétuelle est en cause. « Un seul homme n’a pas pu faire de telles modi?cations sur un véhicule et décider d’outrepasser l’homologation. Il y a forcément d’autres personnes qui étaient au courant », souligne Dominique Perrot, délégué syndical CGT sur le site, pour qui Brahim a joué le rôle de « lampiste ». D’autant que la conception du Dokker avec une serrure en moins se serait étalée sur trois ans, avant d’arriver en production.

La course à la rentabilité et aux économies tous azimuts pèse au quotidien sur les ingénieurs.

« À chaque projet, on demande aux directeurs et aux ingénieurs de déshabiller un peu plus les véhicules, d’enlever des pièces pour voir si l’on peut gratter quelques centimes par voiture », explique Marc Tzwangue, délégué du syndicat SUD sur le site. La satisfaction des objectifs d’économies fait d’ailleurs partie des critères d’évaluation individuelle des cadres et ingénieurs. Cette compression des temps et des coûts de conception des véhicules a été théorisée par l’entreprise au losange sous le nom de V3P pour « Value-up Innovation of Product Process Programme », un concept directement importé de sa cousine Nissan depuis quelques années. L’objectif?: produire des véhicules, de l’amont à l’assemblage, en y consacrant 30 % de moins de temps et 30 % de budget en moins par rapport aux standards précédents. Une pression sur les délais et les coûts tellement irréalisable que le premier projet soumis à ces exigences, le nouvel Espace, a dérivé plusieurs semaines par rapport au planning prévu, ce qui a conduit Renault à ajouter quelques semaines dans l’élaboration de ses projets pour établir une V3P-2. Mais le rythme et la charge de travail restent très lourds à assumer pour les ingénieurs et techniciens. « On a certes gagné du temps avec la digitalisation des maquettes, mais on nous met aussi la pression avec des jalonnements très fréquents – environ tous les trois mois – où l’on doit présenter des dossiers, des maquettes. Ce qui implique que les semaines précédant ces jalons sont très intenses en travail?: on se retrouve à travailler les soirs et les week-ends », rapporte un ingénieur rencontré au technocentre.

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