La destruction du travail (par Par Jean-Clet Martin, Philosophe)

Emploi et Chômage, Stress Travail et Santé, Suicide Au Travail

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Le MEDEF, j’en suis convaincu, ne tient pas vraiment à libérer les entreprises du lourd fardeau du chômage. L’insolence de ses représentants suffirait presque à en témoigner…

Non pas qu’on puisse douter de la vigueur des entreprises innovantes, ni des formes d’activité en mesure de révéler des talents. Mais force est de reconnaître que la priorité du MEDEF ne fédère aucune création mais gravite autour de l’argent, la flexibilité, l’augmentation du temps de travail, la diminution des salaires, le recul de l’âge de la retraite, la réforme du code des activités, l’exonération fiscale… Et de telles exigences ne sont jamais assez satisfaisantes pour les nantis, ni assez dures pour ceux qu’on appelle « les perdants » de l’Europe, tous ceux qui en ralentiraient, dit-on, le progrès et la liberté. Des motifs qui devaient pousser d’ailleurs le MEDEF à donner sa pleine confiance à Fillon plutôt qu’à Macron tout en se souvenant des avantages que leur avaient ouverts les lois El Khomri.

La misère et la crainte, de puissants leviers

Ce n’est en tout cas jamais l’emploi que vise la stratégie du MEDEF et on peut le constater : la multiplication des contrats, des aides de l’État, des pactes sur lesquels ont pu compter les grandes entreprises n’ont créé aucune activité et n’ont su freiner le démantèlement des modes de production. Il n’y a en effet aucune reprise sur le plan de l’emploi. Une stagnation qui, malgré tous les cadeaux consentis, montre que c’est tout à fait contre l’intérêt du MEDEF de garantir la stabilité du travail. Son objectif est plutôt dans la promotion du plein chômage. La misère et la crainte sont de puissants leviers qui modifient en profondeur le climat au sein des entreprises et des comités dont la tension et les violences sont désormais palpables. La peur de perdre son activité que fait planer le spectre du licenciement permet aux dirigeants de régner en maîtres absolus sur des personnels amoindris dans leur réactivité. Cette crainte peut peser ainsi sur toutes les décisions et rentabiliser la déchéance. L’angoisse de se retrouver à la rue que connaît celui qui se laisse instrumentaliser donne à l’exercice du pouvoir des formes de cruauté jusqu’alors insoupçonnées. La dégradation des conditions de travail constitue le nerf de la guerre. Plus elles se fragilisent et plus les exigences les plus folles sont tolérées au point d’accepter la flexibilité pour tous, de se soumettre au pouvoir de toutes les petites menaces d’autorité qui rendent la vie impossible et réintroduisent la fragilisation des personnels dans l’espace insécurisé du travail.
Qu’on le veuille ou non, l’insécurité n’est pas dans la rue, l’insécurité se développe au sein des entreprises. Ce n’est pas la terreur des attentats – dont on dénoncera bien sûr les violences insoutenables – qui nous menace le plus directement, mais celle des conditions de travail qui se détériorent insidieusement en modifiant profondément les relations intersubjectives au sein des entreprises. Il s’agit de plus en plus d’une immolation par le travail, d’une destruction de soi affichée, mise en scène de manière parfois dramatique. Une étude de l’agence « Santé Publique France » fait en effet état de l’augmentation alarmante des comportements suicidaires en rapport avec le monde actif. Elle est liée notamment à la question de la dette, celle croissante des ménages, et à l’anticipation d’un licenciement économique de plus en plus probable. L’insécurité est entrée dans le cadre du travail non pas en raison d’un défaut de qualité des outils ou du non-respect des consignes de protection mais en raison des relations de pouvoir qui se développent entre l’ensemble des partenaires sociaux.

L’augmentation des tentatives de suicide au travail depuis 2014

C’est que l’insécurité de l’emploi est le plus sûr moyen de peser sur la psychologie individuelle et d’atteindre l’individu au cœur de sa défense, au plus profond du sentiment de soi qui conditionne ses tolérances autant que la pertinence de son jugement critique. Les tentatives d’attenter à sa vie sur les lieux d’activité sont en augmentation vertigineuse depuis 2014, sans parler de l’augmentation massive des arrêts de travail qui témoignent de sa dégradation constante. Il s’agit en tout cas d’un signe alarmant, un symptôme du malaise de notre époque qu’on ne saurait passer sous silence. D’après la conclusion du rapport déjà évoqué concernant les taux du suicide devenu professionnel, « cette augmentation pourrait être liée, d’une part, à une plus grande focalisation sur les risques psychosociaux au travail du fait de la médiatisation importante des situations de souffrance au travail ces dernières années et, d’autre part, à une dégradation des conditions de travail, en lien notamment avec la crise économique amorcée en 2008 ». (Évolutions n°36, 2017 p. 6/8)
C’est donc toute la psychologie collective, la psychopathologie du travail qui se modifie sous nos yeux. Et la réforme de son code n’est devenue possible que dans ce contexte de souffrance au travail. Les modifications les plus profondes qui sont aujourd’hui revendiquées pour assainir les entreprises trouvent leur efficace le plus sûr dans cette psychopathologie de la cruauté. L’insécurité constitue l’arme qui fait bouger les lignes de force. Plus les menaces qui pèsent sur les employés sont fortes, plus l’acceptation de nouvelles dispositions, les plus défavorables, sera tolérée. Le chômage sous ce rapport, c’est du pain béni. Sa crainte réduit à néant les défenses de ceux qui travaillent quand n’importe qui peut être remplacé par mille postulants, quand l’accès à une activité passe par une concurrence qui n’est plus seulement déloyale mais qui rend caduque l’idée de qualification de plus en plus négligeable par rapport aux salaires.
La qualification, la formation ne cessent de croître au moment où la courbe du chômage devient galopante. Entre la qualification et l’offre d’emploi, le rapport n’est plus évident au point sans doute d’inquiéter les formations universitaires et jusqu’au pouvoir des élites issues des grandes écoles. Le climat au sein des entreprises ne tient plus de la formation initiale mais de la formation continue, chacun se trouvant en situation instable et devant des changements de statut qui affectent la vision de soi avec l’assurance de pouvoir s’inscrire dans une forme d’identité stabilisée. Concernant cette modification sensible des consciences, l’Europe aujourd’hui nous demande d’accélérer encore la mise en œuvre d’un formatage constant du travail en dénonçant les mentalités des pays du sud et par conséquent l‘insouciance des Français, des Espagnols, des Portugais…

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