Le salariat : mort ou vif ?

Emploi et Chômage, Stress Travail et Santé

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Les discours qui annoncent le déclin du salariat ont envahi l’espace public et médiatique. Le salariat aurait été adapté au monde de la grande entreprise industrielle. Il ne serait plus d’actualité dans le monde connexionniste d’aujourd’hui, qui réclamerait un travail indépendant et créatif. On assisterait à l’irréversible déclin d’une institution qui ne tiendrait pas ses promesses de liberté par le salaire.


Paul Bouffartigue, Sylvie Monchatre, Mathilde Mondon-Navazo, Martine D’Amours, Patrick Cingolani, Mirella Giannini, Christophe Ramaux et Pierre Rolle, « Le salariat : mort ou vif ? », La nouvelle revue du travail [En ligne], 13 | 2018, mis en ligne le 26 novembre 2018, consulté le 02 janvier 2019. URL : http://journals.openedition.org/nrt/3997


Vers un capitalisme de plateforme ?Le salariat, qui repose sur un lien de subordination, peut, de fait, être « bridé » – ne va-t-il pas jusqu’à s’accommoder de mises au travail forcé qui anéantissent toute liberté de circulation ? On nous dit, enfin, que si la subordination sur laquelle il repose a permis la construction de contreparties en termes de protections et de sécurités, il importerait de s’en défaire pour libérer les énergies et l’intelligence. Autrement dit, l’indépendance serait l’avenir de l’emploi.
Cette rhétorique du déclin du salariat ne laisse pas de surprendre quand on sait que ce dernier s’est imposé comme nouvelle norme d’activité depuis la Seconde Guerre mondiale (1) et que les statistiques font état d’une population active qui demeure, en France, salariée à près de 90 % en 2017. On peut faire l’hypothèse que cette rhétorique est alimentée par la thèse de « l’effritement du salariat » issu de la période fordiste (2) : chômage de masse, montée des formes d’emploi dites « particulières » ou « atypiques », et d’activités situées à la frontière du salariat et de l’indépendance. L’importance accordée à la progression, limitée mais réelle, de l’emploi indépendant, tient ensuite aux politiques publiques qui l’ont encouragé, avec le « retournement symbolique et matériel (3) » qui est à l’œuvre et ne fait que poursuivre des mesures de lutte contre le chômage par l’incitation à la création d’entreprises initiées dans les années 1970 (4).
Ainsi le statut d’autoentrepreneur s’est déployé en France aux marges du salariat typique, en lien étroit avec un salariat dégradé. En parallèle, l’indépendance apparaît gagnée par des formes atypiques d’activité. Loin de la figure dominante de l’entrepreneur créateur d’entreprise et employeur (5), les indépendants qui travaillent seuls ont une visibilité croissante. En particulier, ces travailleurs indépendants économiquement dépendants (TIED), qui associent une indépendance juridique à une dépendance économique vis-à-vis d’un donneur d’ordres dont provient l’essentiel de leurs revenus (6), semblent rejoindre les rangs des « nouveaux prolétaires (7) » qui expérimentent, même de façon encore marginale, une diversification des formes d’emploi au carrefour du salariat et de l’indépendance.
Comment interpréter cette reconfiguration encore partielle, en France, des conditions de « mobilisation du travail (8) » ? Faut-il se féliciter du déclin d’une institution salariale archaïque ? Regretter un âge d’or révolu ? Relativiser ce déclin ? Ou encore questionner plus largement le fait salarial au-delà de sa forme juridique ? Il peut être instructif de ne pas l’enfermer dans un « modèle fordiste », reposant sur une « convention de partage des risques (9) » caractérisée par « un échange fondateur entre dépendance économique et sécurité sociale (10) » Il importe également de s’interroger sur sa portée, dans la mesure où sa dynamique « normalisatrice (11) » affecte l’ensemble de la société. Autrement dit, de quoi le salariat est-il le nom ?

C’est à partir de cette interrogation générale que nous avons soumis cinq questions aux contributeurs :

  • Comment appréhendez-vous le salariat et quelle définition en proposeriez-vous ?

  • Comment interprétez-vous les éléments de constats présentés ici ? De quels types de transformations sont-ils le symptôme à vos yeux ?

  • Quels sont les faits empiriques saillants qui ont nourri votre réflexion ?

  • Dans quel cadre théorique situez-vous cette interprétation ?

  • Contre qui avez-vous le sentiment d’avoir développé votre analyse ? Autrement dit, quel est l’adversaire théorique avec qui vous discutez/disputez ?


Lire la suite de l’article de la Nouvelle Revue du Travail (NRT) sur le site https://journals.openedition.org/nrt/3997


Notes

1 Bernard Fourcade, « L’évolution des formes particulières d’emploi de 1945 à 1990 », Travail et Emploi, n° 52, 1992, p. 4-19.

2 Robert Castel, Les Métamorphoses de la société salariale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.

3 Sarah Abdelnour, Moi, petite entreprise. Les auto-entrepreneurs, de l’utopie à la réalité, Paris, PUF, 2017.

4 Fanny Darbus, « L’accompagnement à la création d’entreprise. Auto-emploi et recomposition de la condition salariale », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 175, n° 5, p. 18-33, 2008.

5 Laurent Coquelin et Emmanuelle Reynaud, Les Professionnels autonomes. Une nouvelle figure du monde du travail, Ministère de l’Économie des Finances et de l’Industrie (DECAS), 2003.

6 Mathilde Mondon-Navazo, « Analyse d’une zone grise d’emploi en France et au Brésil : les travailleurs indépendants économiquement dépendants (TIED) », Revue Interventions économiques. [En ligne] http://journals.openedition.org/interventionseconomiques/3545

7 Sarah Abdelnour, Les Nouveaux Prolétaires, Paris, Textuel, 2012.

8 Yves Dupuy et François Larré, « Entre salariat et travail indépendant. Les formes hybrides de mobilisation du travail », Travail et Emploi, n° 77, 1998, p. 1-14

9 Marie-Laure Morin, Prestation de travail et activité de service, Paris, La Documentation française, 1999.

10 Alain Supiot, « Les nouveaux visages de la subordination », Droit social, n° 2, 1999, p. 10.

11 Michel Aglietta et Anton Blender, Les Métamorphoses de la société salariale, Calmann-Levy, 1984.

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