Un nouvel instrument de prévention en santé au travail : le licenciement ?

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L’un des points moins visibles du projet de loi El Khomri de modification du Code du travail est l’importante transformation des missions de la médecine du travail qu’il prévoit. Terrains de Luttes a rencontré Alain Carré, médecin du travail et membre de l’Association Santé et Médecine du travail, qui sonne l’alarme sur le passage d’une médecine de prévention à une médecine de sélection.

Vous dites que ce projet de loi aura des conséquences négatives sur la santé des salariés ?
Ce qui caractérise ce projet de loi, y compris dans ses articles qui ne concernent pas la médecine du travail (par exemple l’augmentation du temps de travail hebdomadaire, ou les conditions de travail des mineurs), c’est ses conséquences négatives sur la santé des travailleurs. Pour ne prendre qu’un exemple, un récent article de chercheurs, paru dans la revue médicale The Lancet montre que la survenue d’accidents vasculaires cérébraux et dans une moindre mesure d’infarctus est fortement corrélée au temps de travail hebdomadaire.
Le projet de loi porte une attention toute spécifique à la médecine du travail. Apparemment, on a trouvé particulièrement important d’encadrer l’activité de ceux qui constatent les effets du travail.
Quelle serait la conséquence de ce projet de loi sur les examens périodiques des salariés par la médecine du travail?
Les visites périodiques seront réservées aux salariés en difficultés ou à risque. Cela signifie que des salariés ne feront plus l’objet d’une surveillance périodique. Cela atteint la nature universelle et le principe de prévention primaire de la médecine du travail. Il faut considérer que cette disposition ne permettra plus le repérage pour tous les salarié-es des altérations de la santé qui précèdent en général les atteintes graves.
En réservant l’activité médicale du médecin du travail sur les salariés « à risque » personnel ou professionnel cela initie la dérive du métier de médecin du travail d’un exercice exclusif de prévention vers une sélection médicale de l’employabilité du salarié. Cette dérive est accentuée par d’autres dispositions du projet de loi (inaptitude en cas de « risque grave » pour la santé, prévention du « risque d’atteinte à la sécurité des tiers », injonction faite au médecin du travail de donner des indications sur la « capacité » du salarié à exercer l’une des tâches existant dans l’entreprise).
Cela a une très grande importance actuellement alors que l’organisation du travail malmène nombre de salarié-es, ce qui devrait impliquer au contraire une surveillance clinique plus étroite du médecin du travail. La consultation du médecin du travail permet d’amener à la compréhension mutuelle (mais non commune) du médecin et du salarié de ce qui se joue en matière de santé et permettre à ce dernier de replacer son vécu en phase avec celui de ses collègues et de rouvrir à l’action pour préserver sa santé au travail. Pour le médecin cela lui permet également, par la répétition des visites périodiques, de construire une compréhension de ce qui se joue pour les autres salarié-es de l’entreprise et d’alerter collectivement.
Comment fera-t-on la différence entre les postes à risque et les autres ?
C’est l’employeur qui détiendra dorénavant la définition de ce qu’est un poste à risque, dans la mesure où le médecin du travail n’aura plus ni le temps ni les moyens d’en construire une définition ou de le repérer.
Par ailleurs, les définitions de ce qu’est un poste à risque s’entrecroisent dans le texte et créent une confusion. S’agit-il de prévenir les risques pour la santé du salarié liés à son travail, les risques pour la santé du salarié liés à des fragilités individuelles, ou les risques pour les collègues ou des tiers « évoluant dans l’environnement immédiat de travail » ? La détection d’un risque grave pour la santé du salarié peut justifier sa mise à l’écart de l’entreprise : en d’autres termes, son licenciement. Le texte met en avant la notion de « salarié à risque », et fait oublier la notion de « poste à risque », au moins dans les esprits, pour faire croire que le salarié serait le « maillon faible » de la prévention, alors qu’en droit il ne devrait pas exister de poste à risque. Reste enfin à définir la notion de poste « sans risque », ce que se garde bien de faire le projet.

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