Code du travail: pas de recette miracle chez les voisins

Dans le Monde, Emploi et Chômage

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Généralisée en Europe, la « décentralisation » de la règle, du socle législatif vers les échelons locaux, les branches professionnelles ou l’entreprise, fait peser un risque de fragilisation des droits des salariés, même au sein de démocraties sociales solides comme l’Allemagne.

En matière de droit du travail, la France serait singulière. « Nous autres, médias étrangers, avons coutume de décrire votre code du travail comme une brique », s’amusait le correspondant de Bloomberg mercredi dernier, le 9 septembre, lors de la remise du rapport Combrexelle à Matignon… La caricature est facile, et une bonne partie du personnel politique et médiatique rentre dans le jeu, rageant de concert contre les milliers de pages du code, pestant contre la traditionnelle « rigidité française », persuadée de tenir dans la réforme l’outil magique contre le chômage.
Et à ce jeu, quelle arme est plus belle que celle de la comparaison ? Quand François Bayrou brandit un code de travail suisse épais comme du papier cigarette sur les plateaux de télévision, en contre-exemple du bon vieux Dalloz rouge à la française, il fait un tabac. Plus récemment, à l’annonce d’une nouvelle loi française sur le travail, l’éditorialiste du Monde Arnaud Leparmentier regrette dans un édito contesté que « si Combrexelle se rêve en Hartz, Hollande ne sera jamais Schröder », en référence aux réformes Hartz, mises en œuvre par l’ancien chancelier allemand et portant sur la diminution de l’allocation chômage, le développement des contrôles à l’indemnisation, ou encore celui du temps partiel. La cogestion allemande, la flexisécurité danoise, la plasticité du contrat à l’anglo-saxonne… Il est d’usage d’aller piocher chez nos voisins pour enfoncer le modèle hexagonal, quitte à enfiler les clichés.
Le débat qui s’ouvre en France sur la place de la négociation collective, et spécifiquement de l’accord d’entreprise dans la régulation du monde du travail, n’échappe pas à la règle. Les pays qui possèdent cette culture de la négociation seraient les mieux armés face au chômage, et il suffirait donc à la France de laisser les clefs aux « partenaires sociaux » pour permettre aux entreprises de faire face aux chocs économiques, mais également de fluidifier leur dialogue social.
La réalité est un peu plus complexe. Chaque pays a une histoire institutionnelle qui lui est propre, façonnant de fait les acteurs : le rôle de l’État, la puissance syndicale, la volonté ou non des employeurs à négocier. Ainsi l’Espagne et l’Italie, longtemps réputées pour avoir des codes du travail forts, voire rigides, ont-elles vu ces textes se façonner sous les dictatures franquiste et mussolinienne. Le salarié y était placé sous la protection exclusive de la loi et de l’État, avec comme corollaires une négation du rapport de force, un syndicalisme et un droit à la contestation quasi inexistants. L’attachement au code du travail n’est donc pas du tout uniforme dans le sud de l’Europe, pourtant régulièrement mis dans le même sac.
À l’autre bout du spectre, les États-Unis ou l’Angleterre, où le contrat constitue la pierre angulaire de la relation de travail. Mais là encore, on oublie régulièrement de dire que la judiciarisation en aval y est très forte, ainsi que les possibilités de class action, recours collectif des employés contre leur employeur devant les tribunaux, une méthode jusqu’ici inaccessible aux salariés français (la future loi sur la justice du XXIe siècle pourrait changer la donne). Outre-Atlantique, le législateur tente aussi de reprendre la main. Ainsi, le gouverneur démocrate de l’État de New York a annoncé récemment qu’il allait proposer de porter le salaire minimum des employés de l’État de 8,75 à 15 dollars par heure, après une recommandation similaire pour les salariés des fast-foods, devant la faiblesse de leurs émoluments.
L’Allemagne reste indiscutablement le totem médiatique par excellence. Son faible taux de chômage et sa vitalité économique font rêver. Le modèle allemand, fondé sur un syndicalisme fort et une négociation collective dominée par les branches, a pourtant lui aussi profondément muté depuis les années 1980, notamment dans le champ de la négociation sur l’emploi. C’est, selon l’économiste Jacques Freyssinet dans une note pour l’IRES, « le pays où, malgré la traditionnelle domination des négociations de branche, les accords d’entreprise sur l’emploi ont pris la plus grande extension au point que certains spécialistes s’interrogent sur l’érosion ou la fragmentation du modèle allemand de relations professionnelles ».

Lire la suite, extrêmement bien documentée, sur le site de Médiapart

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