De "l'obusite" au stress post-traumatique : comment les malades de la Grande Guerre ont fait avancer la psychiatrie

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Face à la violence inouïe des combats, de nombreux soldats envoyés au front ont développé des troubles psychiques. Abandonnés pendant le conflit, puis tombés dans l’oubli, ils ont cependant contribué à poser les bases de la psychiatrie de guerre.

Le 14 juillet 1919, sur les Champs-Elysées, les maréchaux Joffre et Foch ouvrent la voie à leurs troupes. La France célèbre avec faste sa victoire sur l’Allemagne au lendemain de la Première Guerre mondiale, mais pleure aussi ses morts. En tête du cortège, 1 000 soldats mutilés sont applaudis par la foule. Les gueules cassées rappellent aux Français le sacrifice de ces soldats.

Certains d’entre eux n’ont pas le droit aux honneurs. Victimes d’hallucinations, de cauchemars, de terreurs, les blessés « psychiques » de la Grande Guerre tombent dans l’oubli. Après 1918, certains sont internés dans des asiles, d’autres ne parviennent pas à reprendre leur vie d’avant. Aujourd’hui, on poserait un mot sur ces maux : le syndrome du stress post-traumatique. Mais quand ces signes apparaissent durant la Première Guerre mondiale, ils sont pour la plupart inédits.

« Alors la peur sauta sur moi »

« Toute la journée, un feu d’enfer passe au-dessus de nos têtes ; c’est terrifiant, écrit le médecin Paul Voivenel dans ses carnets personnels. On se demande comment on ne devient pas fou. Toujours la même angoisse qui étreint au passage de ces formidables engins dont les explosions vous abrutissent et vous écroulent dans les fossés, les jambes fondues, l’énergie évaporée. » Si la violence a toujours existé durant les précédents conflits, elle change d’échelle en 1914. Les soldats sont confrontés à une « guerre industrielle », où pleuvent les obus. 

« La confrontation à la réalité de la mort est le facteur dominant du traumatisme psychique, soit la confrontation à sa propre mort, soit à celle du camarade de tranchée, soit à celle donnée sur ordre », explique à franceinfo Olivier Farret, médecin des hôpitaux des armées et président de l’association des Amis du musée de santé du Val-de-Grâce. Cette imminence de la mort provoque un grand sentiment de peur chez les soldats.

« La peur est une réaction normale. Peur et courage ne sont pas inconciliables, analyse Olivier Farret. Dans la majorité des cas, le combattant parvient à surmonter ses peurs. La cohésion du groupe avec un chef est un des éléments de lutte contre la peur. »

Dans le cas où le combattant est submergé par la peur (peur morbide), il peut s’installer des troubles psychiques.

Olivier Farret, médecin des hôpitaux des armées à franceinfo

Alors la peur sauta sur moi. Ce fut comme si mon cœur s’était vidé de
tout son sang. Ma chair se glaça, frémit d’une horripilation rêche et
douloureuse », raconte ainsi Maurice Genevoix dans Ceux de 14. En France, il n’y a pas de comptabilité exacte des blessés psychiques, « sûrement plusieurs centaines de milliers sur 8 millions de mobilisés », selon Olivier Farret. D’autres pays engagés dans le conflit ont tenté de les identifier. « En Allemagne, 600 000 soldats étaient atteints de maladie nerveuse ; en Grande-Bretagne, 120 000 soldats auraient présenté des troubles psychiques », énumère-t-il.

Hypnose des batailles, « obusite »… L’apparition massive de troubles

Dès 1914, les médecins constatent l’apparition de troubles, appelés « hypnose des batailles », chez les soldats qui ont survécu aux attaques meurtrières du mois d’août. « Parmi les rescapés, certains erraient, le visage hagard, le regard absent, ils revoyaient en permanence des scènes de bataille. Ils étaient dans un état d’épuisement physique et psychique », décrivait en 2014 le psychiatre des armées Louis Crocq sur France Culture.

D’autres de ces patients, qui n’ont pas forcément été atteints physiquement, souffrent de ce que l’on appelle « l’obusite », ou le shell-shock en anglais. « Ce syndrome est un trouble psychique apparaissant à la suite des bombardements, reprenant l’ancienne théorie du syndrome du vent du boulet lors des guerres du Premier Empire. Le soldat est choqué, avec des paralysies, des hallucinations… », rappelle Olivier Farret. « Ces gens guérissaient entre huit et quinze jours, mais certains devenaient déments et terminaient à l’asile« , développe Louis Crocq. 

Des patients présentent également des symptômes appelés « neurasthénie de guerre ». Il s’agit de fausses cécités, surdités et paralysies. C’est notamment le cas de la « camptocormie », qui contraint le malade à conserver en permanence le tronc fléchi vers l’avant. Dans son livre, Les Blessés psychiques de la Grande Guerre, Louis Crocq cite le cas d’un soldat d’infanterie hospitalisé à Villejuif en février 1915 après avoir été projeté par l’éclatement d’un obus en septembre 1914 : « Perte de connaissance, puis violentes douleurs dans le dos. Pas de plaie. Depuis, tronc fortement incliné en avant et à droite, avec impossibilité de se redresser. »

« D’un côté, il y a donc des signes d’ordre neurologique, comme ces courbures vers l’avant, des tremblements ; d’un autre côté, il y avait des signes d’ordre psychiatrique, comme le stress aigu, les hallucinations », résume Laurent Tatu, chef du service de pathologies neuromusculaires au Centre hospitalier universitaire de Besançon, contacté par franceinfo. 

Le caractère commun entre ces deux tableaux est l’absence de lésions physiques, c’est pourquoi certains soldats ont été considérés comme des simulateurs.

Laurent Tatu,  coauteur de « La folie au front. La grande bataille des névroses de guerre (1914-1918) » à franceinfo

Ainsi, certains de ces malades, accusés d’être de faux blessés, ont été fusillés. Louis Crocq évalue leur nombre à 600. Dans son livre, le psychiatre évoque le cas du soldat Eugène Bouret, blessé dans l’explosion d’un obus en août 1914. Un médecin pose un diagnostic : « Etat de démence par commotion cérébrale. » On ordonne alors au blessé de regagner par ses propres moyens un poste de soins à l’arrière. Mais le soldat s’égare pendant quatre jours. Repéré dans un état confus, il est inculpé pour abandon de poste. Trois jours plus tard, il est condamné à mort devant le conseil de guerre et exécuté le jour même. Eugène Bouret sera réhabilité en 1917 par la Cour de cassation après le témoignage du médecin qui l’a ausculté.

Lire la suite, « Chocs électriques ou conseil de guerre« , « Les soldats tombent dans l’oubli » et « Une lente reconnaissance« , sur le site www.francetvinfo.fr

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