L’imagerie du Covid-19 dans les médias

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Pour un chercheur spécialiste d’imagerie scientifique, la crise sanitaire actuelle et sa médiatisation sont sidérantes car elles montrent la recherche de l’iconicité à tout prix en train de se faire. Et elle confirme que les ressources visuelles sont limitées. Dans des travaux de recherche (aujourd’hui anciens !) j’avais nommé cette quête d’images censées représenter certaines dimensions de cette crise, et ce en suivant la théorie Freud sur le travail du rêve, « la prise en considération de la figurabilité ».

À l’issue d’un parcours non systématique dans divers médias « tous publics » et sans aucune prétention à l’exhaustivité, j’ai extrait (fin mars-10 avril 2010) trois catégories d’illustrations. Ce sont celles qui émergent de la presse écrite, de la télévision et plus marginalement de l’Internet dès lors que ces médias veulent s’adresser à leurs publics. Elles correspondent à trois catégories d’intentions : exhiber l’ennemi ; calculer le nombre de morts ; figurer le combat du personnel soignant.

Exhiber l’ennemi

Le virus SARS-Cov-2 est non seulement tellement minuscule qu’il faut utiliser un microscope électronique pour entrevoir ou deviner sa silhouette. Tout ce que nous savons, en dehors de son extrême dangerosité, est très peu de chose. Il n’est pas possible de raconter la vie de cette minuscule entité qui n’est pas tout à fait un être vivant. Dès que le virus est fixé sur les cellules du corps humain, il fait fabriquer de l’ADN dans tout le corps de la personne contaminée. Et c’est cet antigène qui génère les premiers symptômes du Covid-19.

On sait aussi que sa structure est très rudimentaire : un brin d’ARN messager enveloppé d’une membrane lipidique. Or, sauf pour des schémas à caractère pédagogique, on ne peut dessiner simplement ni une membrane, ni un acide ribonucléique. Pour le visualiser, on trouve très souvent (du moins en mars 2020) cette image.

Que montre-t-elle ? Il ne s’agit pas, en dépit des apparences, d’une photo très agrandie du virus dans le corps d’un patient. Il est impossible de le photographier en une image avec de la profondeur de champ. Et surtout pas avec de si belles couleurs et faisant apparaître ces spectaculaires ventouses dressées sur toute sa surface. C’est une représentation conventionnelle construite à l’aide d’un processus de médiation instrumentalisée complexe : en fait, une préparation biologique fixée placée sous un microscope très puissant produisant des images toutes grises, retraitées ensuite numériquement par des spécialistes d’imagerie biologique ultramicroscopique.

Pourquoi est-il rouge ? Pourquoi ces ventouses et cette mise en scène dans un espace avec de la profondeur de champ ? Et pourquoi le producteur d’information a-t-il choisi d’éditer celui-ci parmi d’autres clichés disponibles dans les agences spécialisées qui les commercialisent ?

Cette image offre trois caractéristiques qui la rendent intéressantes. D’abord, sa couleur à dominante rouge. Le rouge est une couleur chaude (le virus provoque de la fièvre). Le rouge est aussi conventionnellement le signe du danger et de l’interdit. Ensuite les ventouses hérissées sur tout le pourtour de la sphère parce que ce sont elles qui dessinent la couronne typique de cette famille de virus au point de lui donner son nom. Et aussi parce qu’elles visualisent l’idée d’un objet collant, qui va pouvoir se fixer aisément sur sa proie et pire dont il sera très difficile de se débarrasser.

Enfin le décor sombre et écarlate en arrière-plan dans lequel d’autres virus apparaissent. Certains au loin et flous, d’autres plus près. Le décor, parfaitement imaginaire, fait penser à un monde dangereux, inhumain, dans lequel seuls les nombreux virus ennemis guettent leur proie. Bref, le virus, c’est l’ennemi !

Tracer l’évolution du nombre d’individus atteints et/ou décédés

Une autre catégorie d’images est davantage présente dans les médias. Et c’est une surprise, car elle aussi peu attractive que possible. Il s’agit de figurer le décomptage de la population atteinte, soignée, hospitalisée ou décédée. Cette préoccupation, parfaitement légitime, se manifeste par l’occurrence peu banale dans les médias de courbes mathématiques, et particulièrement de celles qui font apparaître une variation exponentielle. Leur objectif est de représenter les variations d’un phénomène de santé et de ses conséquences sur la population en fonction du temps.

A partir du recueil de données statistiques incontestables, le tracé essaie non seulement de faire apparaître son évolution depuis une date de départ, mais aussi de prévoir l’évolution future. Pour cela, on utilise une double échelle : en abscisse (ligne horizontale) apparaît le déroulement du temps et en ordonnée (verticale) sont placés les nombres de personnes concernées selon un pas déterminé (10, 100 ou 1000 personnes). Dans le cas du Covid-19, on peut compter le nombre de personnes contaminées ou de celles qui sont hospitalisées en distinguant les patients en soins intensifs (réanimation) des autres. Mais on peut aussi tracer la courbe du nombre de morts en utilisant une échelle logarithmique. Ce qui permet de comprimer les grands nombres et de rendre le graphique plus facile à visualiser sur une surface réduite.

Le sémiologue Jacques Bertin avait judicieusement dénommé ce type de représentation graphique — très répandue dans la recherche y compris dans les sciences sociales — une chronique. Dans le cas du Covid-19, maladie très infectieuse, un malade peut transmettre et diffuser le virus à plusieurs personnes saines. Une simulation dans laquelle un seul sujet peut en contaminer deux donne lieu à la production de la courbe vertigineuse d’une croissance exponentielle. Le nombre de personnes contaminées croit très vite et se dirige vers l’infini. Selon le mathématicien et vulgarisateur Etienne Ghys : « Nous avons tous pris conscience que les puissances de 2 croissent vraiment vite : 1, 2, 4, 8, 16, 32, 64, etc., pour dépasser le milliard en à peine 30 étapes (…) La fonction exponentielle a des aspects terrifiants ».

La publication incessante et quotidienne de ces chroniques à base de données simples ou logarithmiques est devenue une rime visuelle du discours dominant sur les ravages du Covid-19 dans les médias « tous publics ». Ils sont actualisés en continu comme s’il s’agissait d’une bande dessinée ou d’un feuilleton. Ces courbes, il faut le mentionner, ne naissent pas de la fantaisie créatrice d’un infographiste. La plupart d’entre elles sont issues de travaux de chercheurs renommés (Université Johns-Hopkins, par exemple).

Mais pourquoi ces médias se sont-ils ralliés à la représentation de données froides et objectives transposées visuellement par le recours à des fonctions mathématiques ? N’est-il pas paradoxal qu’un ministre-médecin vienne sur un plateau de télévision en direct muni d’une chronique et dise qu’il espérait l’aplatir et/ou la décaler ? En tout cas cette omniprésence de chroniques prouve qu’elles renferment un puissant ressort narratif. D’abord parce qu’elles nous permettent de mesurer notre infortune en regard de celles des autres pays. Ensuite parce que nous guettons, non sans angoisse, le fameux plateau (désignation métaphorique du ralentissement de la croissance de la courbe). Ou mieux sa redescente et donc la chute. La chute n’est-ce pas précisément ainsi que l’on nomme la fin d’un récit ?

Lire la suite et fin, « La figure omniprésente du professeur-savant-médecin-vulgarisateur » sur le site https://sms.hypotheses.org/24815

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