Jeanne Gauthier-Lenoir : “Qu’est-ce qu’on met en place en complémentarité de l’arrêt de travail ?”

Femmes Au Travail, Inégalités et Discriminations

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Psychologue clinicienne du travail, membre du réseau Souffrance et Travail, Jeanne Gauthier-Lenoir est intervenue lors du colloque sur les violences sexistes et sexuelles au travail à l’auditorium Ravel de Saint-Jean-de-Luz, le 27 novembre 2018.

En tant que membre de ce réseau, elle œuvre en faveur de la divulgation des connaissances sur la notion de travail. A l’occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes, elle a plus particulièrement développé le thème de la souffrance psychique des femmes au travail.
Dans le cas de la souffrance au travail, on parle beaucoup de la part de l’organisation du travail, de la situation d’isolement du salarié, de l’individualisation. Est-ce que les femmes vivent des situations spécifiques dans ce domaine ?
Rentrer dans ce thème par la question du genre vous permet d’accéder à la réalité de ce que les femmes vivent au travail. C’est une porte d’entrée essentielle parce qu’elle va vous permettre d’être plus près du réel, du quotidien des femmes, un quotidien extrêmement contraignant, à la fois dans la sphère domestique et dans la sphère professionnelle. La difficulté pour elles est d’être capable de tenir à l’ensemble. Tenir, à un moment donné, c’est ça qui va potentiellement faire entrer dans ce processus d’usure. C’est parce qu’on se contraint aussi soi-même à tenir cet ensemble-là avec toutes les injonctions qu’on peut entendre, tant d’un point de vue sociétal que de celui de l’organisation du travail et des contraintes fixées contractuellement avec l’employeur.
Vous évoquez l’hyper-responsabilité, la culpabilité… Est-ce un symptôme spécifique aux femmes ?
Concernant l’hyper-responsabilité, je n’ai pas de données chiffrées, je vous donne donc plutôt mon ressenti à partir de l’expérience qui est la mienne, en consultation. Je le vois autant chez les hommes que chez les femmes. Peut-être que l’hyper-culpabilité, je la vois plus chez les femmes. Mais cela demanderait à être confronté. En tout cas, c’est sûr que c’est un trait commun du sujet qui à un moment, va défaillir par rapport au travail et qui va d’abord lire sa problématique au travail comme étant une problématique individuelle. Ce qui est aussi nourri par des idéologies qui traversent la société et en particulier le monde du travail. Ce sont des logiques où l’on vient vous dire que vous devez être un sujet ultra-performant qui ne défaille jamais et qui est capable de tout faire seule.
Pourquoi parle-t-on d’idéologies ? C’est parce que derrière, il n’y a pas de fondement par rapport à la réalité de ce que c’est d’être engagée subjectivement et psychologiquement dans le travail. On travaille et on se travaille ensemble. La réalité, c’est d’être dans l’interaction avec autrui. Bien sûr, je suis dans l’interaction à moi-même, mais je suis avant tout un être social. Si je travaille dans les métiers du soin, je travaille au bénéfice de mon employeur, mais aussi au bénéfice des personnes qui reçoivent les soins que je prodigue.
Vous dites que les femmes sont amenées à travailler d’une certaine façon, dans un monde qui est celui des hommes dans lequel elles doivent cacher les signes de féminité. Elles devraient nier la construction de la femme travailleuse.
Cela se voit dans les milieux extrêmement masculins, dans le BTP ou le milieu industriel, par exemple. A l’armée, c’est un peu différent. Les évolutions de carrière sont parfois plus rapides pour les femmes. En revanche, il y a tout un travail sur le corps. Si je stigmatise et fais des catégories très générales, je prends deux opposés que j’ai pu observer : la femme qui va surinvestir la féminité, maquillage, bijoux et tenue militaire plus ajustée au corps, et à côté, des femmes qui sont dans l’abandon total de toute caractéristique féminine et de mise en valeur du féminin, par l’attitude corporelle et le vocabulaire utilisé.
Vous avez parlé du fond du problème, celui du déni du sexisme dans la vie quotidienne et professionnelle. Comment peut-on faire émerger cette réalité ?
Il faut la faire émerger et il faut surtout la penser, car ainsi, on se donne la possibilité d’agir. Il faut pouvoir articuler à la fois la pensée et l’action. Je crois beaucoup dans l’approche pluridisciplinaire nous permettant d’accompagner de manière beaucoup plus fine et adaptée les victimes. Il faut être présent à la fois sur le plan du curatif et sur le plan de la prévention. Il faut aller en entreprise former les professionnels, mais aussi en dehors de l’entreprise. Il y a un travail à mener par exemple avec les médecins généralistes. L’arrêt de travail est un premier niveau de réponse, mais c’est insuffisant. Donc, qu’est-ce qu’on met en place en complémentarité de l’arrêt de travail ?

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