Management – La face cachée des cabinets d’audit

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On sait peu de choses de la vie au sein des grands cabinets d’audit si ce n’est que c’est un métier prisé par les jeunes diplômés sortant des grandes écoles et des meilleures universités. On vante son caractère formateur et les perspectives de carrière qu’il ouvre.

Le travail y est réputé intense mais valorisant, voire excitant pour de jeunes gens brillants et ambitieux. Les cabinets les plus attractifs sont ceux que l’on appelle les « big four » (KPMG, Price WaterHouse Coopers, Ernst and Young et Deloitte) qui travaillent avec toutes les grandes entreprises mondiales. Mais au-delà de ces quelques généralités répétées à l’envi dans les forums étudiants, qu’en est-il de la vie professionnelle concrète au sein de ces cabinets ? La façade est séduisante, mais qu’en est-il de l’envers du décor ?
Un livre remarquable (1), issu d’une thèse en sciences de gestion soutenue à HEC, vient justement éclairer la réalité du travail au sein des cabinets d’audit à partir d’une étude ethnographique approfondie. L’auteur, Sebastien Stenger, a d’abord effectué un stage d’auditeur dans l’un de ces cabinets avant de mener une enquête plus large au sein des big four. Il y décrit en particulier le système de sélection impitoyable qui y sévit – appelé up or out – et la façon dont celui-ci impacte la vie des auditeurs, façonne leurs comportements et agit sur leur subjectivité.

Le système up or out

Les Big Four sont d’énormes entreprises : elles emploient plus de 500 000 personnes dans le monde, dont 22 000 en France. Leur activité principale est de certifier les comptes financiers des entreprises, mais elles peuvent également exercer d’autres missions spéciales comme l’audit des systèmes d’information ou de fusions-acquisitions. Il s’agit d’activités fastidieuses qui mobilisent une équipe travaillant selon une division du travail et des procédures strictes. Compte tenu d’un fort turnover, entre 3 et 4 000 jeunes diplômés sont recrutés en France chaque année dans ces quatre grands cabinets.
L’organisation au sein de ces derniers est hiérarchique et pyramidale. L’on commence stagiaire en réalisant des tâches répétitives et limitées, puis l’on devient éventuellement consultant junior, consultant senior, superviseur, manager et, enfin pour quelques-uns seulement, associé.
La progression au sein de ces cabinets est régie par un système de sélection, appelé up or out : soit l’auditeur est bien évalué et monte dans la hiérarchie (up), soit il « redouble » (sic), ce qui revient à lui signifier qu’il doit quitter le cabinet (out). Ainsi, chaque auditeur est constamment évalué après chaque mission et une évaluation annuelle le classe de A à D selon le jugement par ses supérieurs de sa performance.
Dans ce système de notation, tout l’enjeu est que les auditeurs intériorisent ces règles. L’auteur souligne d’ailleurs que les auditeurs sont souvent de bons élèves, mais qui n’ont pas de vocation particulière au départ. Ils choisissent souvent l’audit par défaut, comme une activité généraliste qui est censée ouvrir des portes et permettre l’accès à des carrières prestigieuses.

Signaux et rumeurs

Les auditeurs qui sont rétifs à ce système quittent rapidement le cabinet. Ceux qui restent en acceptent les règles du jeu. Ils estiment au fond que la notation, qui s’inscrit dans la continuité du système scolaire, est légitime.
L’auteur montre que ces derniers deviennent obsédés non seulement par la notation elle-même mais également par tous les signaux qualitatifs qui donnent une indication de la note qu’ils pourraient obtenir. A cette aune, tous les événements sont en permanence scrutés. Ainsi en va-t-il de l’affectation des missions : est-elle prestigieuse ? Qui sont les collègues de travail ? Ont-ils le vent en poupe ou sont-ils en perte de vitesse ? Par exemple, l’affectation au département fusions-acquisitions est la promesse d’une promotion rapide. A l’inverse, l’affectation dans une entreprise hors du CAC 40 est le signe d’un redoublement probable. Les discussions de couloir bruissent de rumeurs les plus diverses sur les chances des uns et des autres.
Il faut dire que la compétition est rude. Parmi les milliers de stagiaires recrutés chaque année en sortie d’école ou d’université, seuls 10% accéderont à un poste de manager et seuls quelques-uns à celui, tant convoité, d’associé.

Lire la suite, « Une durée de travail sans limites », « Une question de prestige », « Perte d’estime de soi et discriminations « , « Une régulation du travail intellectuel à repenser » sur le site www.alternatives-economiques.fr


(1) Au cœur des cabinets d’audit et de conseil. De la distinction à la soumission, Sébastien Stenger, PUF, 2017, 270 pages.

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