Chez Camaïeu, «on est tout le temps fliquées»

Revue de Presse

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Entre indicateurs de rentabilité en temps réel et flexibilité, les vendeuses de l’enseigne de prêt-à-porter se plaignent d’une forte pression.

Fêtes de Noël en approche, et vendeuses proches du burn out. Chez Camaïeu, la chaîne de prêt-à-porter, elles dénoncent une pression de plus en plus grande, sur fond de recours massif au temps partiel contraint. «On est tout le temps fliquées», dénonce Anne (1), une vendeuse du nord de la France. «Un compteur à l’entrée des magasins donne le nombre de gens qui entrent. C’est comparé au nombre de ceux qui achètent», ajoute sa collègue Christiane. Ce «taux de transformation» (le pourcentage de visiteurs qui achètent) tombe toutes les heures. S’il est trop bas, il faut pousser à l’achat. Avec des techniques bien rodées : le bonjour avec sourire, la sollicitation («puis-je vous aider ?») et, si la cliente touche un article, l’obligation d’aller vers elle.
Un second indicateur, calculé lui aussi automatiquement, accentue le stress des vendeuses : le «panier moyen», c’est-à-dire le montant du ticket de caisse. C’est ce qui est arrivé à Christiane il y a quelques jours : «A 11 heures, le panier moyen était à 45,60 euros, puis il est passé à 38 euros et quelques centimes à midi. Ma responsable m’a fait comprendre qu’il ne fallait plus que ça baisse, et que je me débrouille pour faire des ventes complémentaires.» Elle travaillait en cabines : à elle de fourguer le pull qui va avec la jupe, suivi du chemisier et du collier tendance. «C’est le stop ou encore. Tant que la cliente dit oui, on lui vend.»
«Harcèlement». Dans les villes moyennes, quand elles ne sont que deux par boutique, avec 500 entrées dont 100 clientes par jour, ces contraintes sont difficiles à tenir. «Ma responsable régionale m’a engueulée un matin parce que je rangeais au fond au lieu d’accueillir les clientes. Mais j’étais seule pour tout faire», s’indigne Isabelle. «Ils nous disent : « Tu ne sais pas y faire », accuse Christiane. Ils ne veulent pas entendre qu’on est en crise, qu’on ne va pas faire dépenser 300 euros quand la cliente n’en a que 50.»
Anne, ancienne responsable de magasin, se souvient de réunions régionales dont plusieures vendeuses sont sorties les larmes aux yeux. Les managers les plus fragiles reportent leur stress sur les équipes, «cela pouvait tourner au harcèlement», témoigne-t-elle. A une vendeuse qu’on estime pas assez offensive, il est reproché de «ne pas regarder assez la cliente dans les yeux, il faut s’imposer plus». Pour vendre toujours plus. Avec tout de même une prime à la clé : 9 euros brut pour chaque semaine qui dépasse le chiffre d’affaires prévu. Contactée par Libération, Camaïeu se défend de toute pression. La direction évoque un «bon climat social» et se plaint d’être «stigmatisée» à cause de syndicalistes FO et CGT trop virulents. En juin, à leur initiative, les vendeuses ont débrayé pour de meilleurs salaires et afin d’éviter de pointer au RSA. Elles étaient en général à 22 heures par semaine, le minimum conventionnel. Un classique dans le secteur de l’habillement, où seulement la moitié des salariés sont à temps plein. Camaïeu fait même «mieux», avec 2 200 temps partiels sur 4 000 salariés. Au Smic horaire, ça ne fait pas lourd à la fin du mois : entre 600 et 700 euros, selon les primes. «C’est pratiquement le montant de mon loyer», explique Marie, qui ne s’en sort que grâce au salaire de son mari, ouvrier spécialisé.
Précarité. Du coup, les vendeuses n’ont pas craché sur les trois heures de plus que leur a proposées la direction en octobre, sous couvert d’avancée sociale et de lutte contre la précarité. Mais la contrepartie de ces contrats à 25 heures, c’est la flexibilité. L’accord social stipule que les vendeuses peuvent travailler entre 0 et 34 heures par semaine, selon qu’elle soit classée haute ou basse, comme durant les saisons touristiques ou les fêtes. Alors que c’est la période la plus chargée de l’année, il n’y aura ainsi pas d’heures supplémentaires, à cause de cette modulation du temps de travail, adoptée également chez Kiabi et d’autres marques du secteur. De toute façon, les heures sup majorées de 25%, les vendeuses n’en voyaient pas souvent la couleur : auparavant, Camaïeu multipliait les avenants aux contrats pour augmenter temporairement le nombre d’heures.
Alors, travailler plus pour gagner plus, les vendeuses approuvent. Et tant pis si leur planning peut être modifié jusqu’à trois jours avant. La CFDT, FO et la CGT ont refusé de signer l’accord. Ces syndicats estiment qu’il ne laisse pas la possibilité aux temps partiels de travailler ailleurs – une obligation du code du travail. Un argument balayé par les vendeuses : «Avec les horaires qu’on a, trois heures par ci, trois heures par là, ce n’est pas possible de toute façon», s’exclame Marie. Sinon, Camaïeu est une boîte qui embauche : pour assurer les trente ouvertures de magasins par an, mais aussi remplacer, en 2011, les 1 300 salariés en CDI (démissions, licenciements et ruptures conventionnelles) partis voir ailleurs si l’herbe y est plus verte.
Voir l’article de STÉPHANIE MAURICE sur le site de Libération.

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