Peut-on se fier au palmarès des hôpitaux?

Revue de Presse

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Le palmarès des hôpitaux et des cliniques fait partie des sujets récurrents des magazines, au même titre que les francs-maçons ou l’immobilier. Pour ne pas lasser les lecteurs, la classique répartition par spécialités médicales est parfois remplacée par une nouvelle formule. Par exemple, le classement des hôpitaux les plus «sûrs», ceux qui luttent le mieux contre les infections nosocomiales. Un sujet sur mesure pour notre société hypocondriaque. Peut-on s’y fier ?
Tout d’abord, la manière de comptabiliser l’activité peut être biaisée, en particulier quand les patients sont traités dans le cadre d’un réseau de soins, une entité qui permet d’associer des centres experts aux compétences complémentaires pour assurer une prise en charge optimale des malades. Prenons le cas de l’urologie. Pour certains centres, le recensement des patients traités pour un cancer prostatique comprend exclusivement ceux qui ont eu une prostatectomie, c’est-à-dire une ablation de la prostate. Il exclut les techniques alternatives et sous-estime ainsi l’activité réelle. La curiethérapie en est un bon exemple. La technique a été développée en France par l’équipe de l’hôpital Cochin. Chaque année, près de 200 malades sont ainsi traités à l’Institut Curie ou à l’hôpital européen Georges-Pompidou par un urologue de Cochin, qui réalise les interventions en collaboration avec un radiothérapeute et un physicien de ces établissements. Alors que les patients sont opérés puis suivis par l’équipe de Cochin et que ce centre est le premier en Europe, l’activité n’y est pas comptabilisée car les procédures sont réalisées en dehors de ses murs.
Ensuite, la manière de recueillir l’activité varie d’un centre à l’autre. Le codage de l’activité consiste à attribuer pour chaque personne hospitalisée des «codes» correspondant aux antécédents, au diagnostic principal, aux pathologies associées et aux soins reçus. La complexité des patients et de leur prise en charge est calculée à partir de ces codes. Comme le total détermine l’enveloppe financière que l’établissement recevra de la Sécurité sociale, ce codage revêt une importance majeure. Certains centres, essentiellement privés, emploient des codeurs professionnels qui sont équipés de logiciels informatiques spécialement dédiés. Grâce à de multiples artifices, ils peuvent optimiser le codage et augmenter leurs recettes. Mais d’autres continuent à recueillir les données de manière artisanale, comme la plupart des grands hôpitaux. A l’Assistance publique, le codage est imposé à l’équipe soignante au lieu d’être confié à des codeurs professionnels, et les marges d’erreurs sont énormes car les médecins n’ont ni formation, ni – il faut le reconnaître – grand intérêt pour cette tâche purement comptable. Les hôpitaux publics ne font pas non plus, comme certains centres, un «tri» pour garder les malades les plus «rentables». Ceci explique que l’indice de gravité d’un même malade peut doubler selon l’endroit où il est pris en charge.
Quant au plateau technique, il n’est pas forcément synonyme de qualité. Un exemple notable est celui du robot chirurgical, dernière prouesse technologique en vogue. Dans les classements, utiliser le robot fait monter le coefficient de technicité, donc la note finale. Mais son bénéfice médical pour les patients reste très controversé, certaines études rapportant de moins bons résultats qu’avec une technique conventionnelle. D’autant que son prix d’achat, sans compter les frais de maintenance, équivaut à huit années de salaire de dix infirmières ! Faut-il s’offrir un nouvel outil technologique dont l’intérêt reste incertain, ou conserver son personnel soignant qui assure au final la qualité des soins au lit du patient en dehors de tout «classement» ?
Enfin et surtout, l’évaluation des établissements de santé devrait davantage se baser sur la qualité des soins. Elle n’est pourtant jamais prise en compte, ayant été sacrifiée au profit d’indicateurs purement quantitatifs. De fait, aucune donnée concernant la satisfaction et le suivi des patients n’existe dans les hôpitaux. Certes, les résultats thérapeutiques sont meilleurs dans les centres dits «d’excellence» qui ont une expérience solide. Ceci a été montré pour plusieurs pathologies, notamment le cancer du sein. Mais les chiffres bruts ne reflètent pas forcément la qualité. Ainsi, il y aurait beaucoup de choses à dire sur la pertinence des indications opératoires. Que penser des centres qui réalisent systématiquement une prostatectomie pour tous les cancers prostatiques, alors que les tumeurs débutantes pourraient relever d’un traitement moins invasif, voire d’une simple surveillance, et qu’à l’inverse les tumeurs plus avancées ne sont pas guéries par l’intervention ? Dans ce domaine, «plus» ne veut pas forcément dire «mieux». Le simple critère du nombre de procédures réalisées n’est pas un gage de qualité. Une multitude d’options sont disponibles selon l’agressivité du cancer. Mais certains s’obstinent à opérer tous les patients, sans doute sous la pression des chiffres. Des pratiques abusives voire malhonnêtes qui, au lieu d’être dénoncées, font monter dans les classements…
Voir l’article de Michaël Peyromaure sur le site de Libération.

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