La dernière audience du 11 juillet 2019 du procès France Télécom, vue par Ivan du Roy, journaliste, co-fondateur de Basta !. S’est formé au management en enquêtant sur France Télécom (Orange stressé, éd. La Découverte). A auparavant accompagné l’un des derniers journaux issus de la Résistance (Témoignage Chrétien) ainsi que Politis.
Selon ses avocats, Mr Lombard est un brave homme, qui incarne l’intérêt général
Didier Lombard est un homme blessé. « Vous avez sauvé cette entreprise, je pense que vous méritez le prix du manager de l’année », lance l’un de ses trois avocats, François Esclatine, à quelques minutes de la fin de l’audience, la 41ème et la dernière de ce procès « inédit », de l’aveu même de celle qui le préside, Cécile Louis-Loyant. L’audience est consacrée aux plaidoiries successives des trois avocats du PDG mis en examen. A les entendre, on se demande ce qu’il fait là, Didier Lombard, « Mr Lombard ». Pourquoi il s’est astreint à venir s’asseoir, chaque jour depuis deux mois et demi, dans cette salle blanche du nouveau Palais de justice de Paris, Porte de Clichy, dont en plus la climatisation est tombée en panne. « On aurait pu faire une citation directe, il n’y avait pas besoin de 10 ans d’instruction », lance son avocate, Bérénice de Warren. Toutes celles et ceux qui ont contribué aux 1000 pages du dossier d’instruction – qui a duré quatre ans et non dix – apprécieront. Les avocats d’affaires savent mieux que les enquêteurs et les magistrats quelle affaire vaut une instruction ou pas.
Mais pourquoi donc « Mr Lombard » a-t-il subi cette « mise en scène » dédiée au « deuil » des victimes, s’interroge Jean Weil, chef du trio spécialisé en droit des affaires. Ah « les victimes »… Les victimes, en général, auraient trop longtemps été méprisées par l’institution judiciaire. Et voilà que l’institution les place au centre de ce procès, au risque de sombrer dans l’émotion. Donner une place centrale aux victimes, c’est risquer l’erreur judiciaire, avertit l’avocat. « La vengeance ne doit pas nous entrainer », s’inquiète Jean Weil. Elle ne doit pas frapper « Mr Lombard » : « C’est lui qu’on veut voir souffrir, consciemment ou inconsciemment, c’est de la vengeance, pas de la justice, Mme la Présidente ! », lance Bérénice de Warren. S’adressant aux victimes, à leurs proches, à leurs collègues, le chef du trio conseille : « Je ne crois pas que ce soit la décision de justice, la condamnation éventuelle, qui leur permettrait de se retrouver, de se redresser. » Les avocats d’affaires savent mieux que les victimes et leurs familles ce qui est bon pour elles.
« Mr Lombard », vraiment, est un brave homme. « Il s’illumine dès qu’il vous parle technologie, il adore ça », s’extasie l’avocate. Tout à la fois ingénieur, stratège et serviteur de l’Etat, « Mr Lombard » « incarne l’intérêt général ». Il « a travaillé sans relâche pour l’industrie française » alors qu’il aurait pu choisir la facilité et s’orienter vers le secteur financier. Le PDG, ne percevait qu’un petit 1,7 million d’euros à la tête de France Télécom, puis 300 000 euros par an de pensions retraite, avec, à l’époque de sa mise en examen, quelques menus jetons de présence (137 000 euros en 2011) liés à son poste d’administrateur dans d’autres grandes entreprises, où il a distillé ses conseils de stratège avisé. La salle a-t-elle bien perçu l’ampleur du sacrifice ?
« Je l’ai vu pleurer dans mon bureau et devant vous. Il est comme il est, avec ses qualités et ses défauts », s’émeut Jean Weil. Alors oui, « Mr Lombard » est parfois maladroit, presque un gaffeur invétéré, dont l’humour, parfois « un peu brutal » serait incompris. Prenez cette phrase, prononcée devant un parterre de cadres dirigeants de France Télécom en octobre 2006 : « Je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », à propos du plan Next qui vise la suppression de 22 000 postes en trois ans. Une phrase malhabile, lors d’un « discours improvisé ».
Et cette autre phrase, prononcée en septembre 2009, lorsque à coups de réorganisations à répétition, de mutations forcées, de changements de métiers successifs, tout France Télécom craque et que les suicides s’intensifient. Didier Lombard évoque alors la « mode des suicides ». Jean Weil y voit « une attaque des médias » contre un PDG qui « était stressé car il était interrogé tous les jours, en descendant du train, par téléphone… » Ah ces journalistes, toujours en quête de sensationnalisme. Tout cela aurait dû rester d’une absolue discrétion pour « protéger l’intimité de la personne défunte ». Les avocats d’affaires savent mieux que les journalistes ce dont il faut traiter, ce qui relève d’un sujet d’intérêt général, ou pas.
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