Lettre ouverte au Premier Ministre, Édouard Philippe et au Ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran
Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Ministre des Solidarités et de la Santé,
Nous prenons acte de votre préoccupation à l’égard de la psychiatrie et de l’attention portée aux personnes vulnérables. Vous annoncez la mise en place d’une « Plateforme nationale à destination de tous (milieu hospitalier, médico-social, libéral, étudiants, internes) avec un numéro Vert constituant une cellule d’écoute 7jrs/7, de 8 h à minuit, grâce à l’engagement de psychologues hospitaliers volontaires et bénévoles », ce dispositif visant à intégrer certaines initiatives régionales et les recommandations des instances ordinales. Il s’agit d’une offre de service global (cf. communiqué).
A réception de ce communiqué, nous manifestons notre stupéfaction qui porte sur plusieurs registres.
Tout d’abord, nous nous étonnons du lancement d’une plateforme nationale sans concertation organisée. C’est avec surprise que nous observons l’absence des psychologues dans la mise en place de cette plateforme dont les acteurs principaux seraient, selon votre propos, les psychologues eux-mêmes. Alors que le soutien psychologique est annoncé comme un besoin de premier plan, la mise en place de cette plateforme nationale n’a pas pris en compte les organisations de psychologues que nous représentons et les réflexions, compétences et outils que nous avons mis à votre disposition. Nous siégeons dans différentes instances de votre ministère (Copil de psychiatrie, Comité stratégique Santé Mentale et psychiatrie, Conseil National des TSA et TND [1]…) sans que ces voies aient été utilisées. Nous avons interpellé et été interpellés par plusieurs de vos bureaux, sans coordination ni réponse à nos propositions, et ce dès le début de la crise sanitaire, il y a trois semaines maintenant.
Les psychologues n’ont pas attendu la création de ce numéro vert pour se mettre à disposition de la population et des soignants. De nombreuses plateformes coordonnées par des psychologues hospitaliers au sein des EPSM [2] (Lille Métropole et Agglomération Lilloise, Toulouse, Sevrey, Martinique, Pontoise…) se sont installées. D’autres sont réalisées dans le médicosocial ou autres domaines, d’autres encore en direction de la population générale ont été mises en place de manière bénévole. Alors que vous annoncez un numéro vert, la plateforme SPS [3] (soutenue par le Réseau de Consultations Souffrance et Travail de Marie Pezé, docteur en psychologie), notamment, qui a été une des premières à proposer des réponses aux professionnels de santé, fait déjà un premier bilan (cf. communiqué). Nous nous étonnons que ne soit pas pris en compte le fait que les psychologues, de manière légitime, interviennent dans de très nombreux dispositifs institutionnalisés en direction de l’enfance en danger, du handicap, des victimes de violence intrafamiliale, etc. ou au sein des CUMP [4], de mutuelles. Nous nous étonnons que la mise en lien de ces initiatives touchant les champs hospitalier, médicosocial, judiciaire, du travail, éducatif et pédagogique… soit l’objet d’une telle surdité. Grande est notre surprise quand quelques institutions importantes, telle l’Éducation nationale, ne mobilisent pas leurs psychologues pour faire face à cette urgence psychologique générée par la crise sanitaire. Ces trop nombreux dispositifs épars et non coordonnés, alors que nous vous demandions encore récemment (communiqué du 8 avril) à ce propos une cellule de crise et une coordination nécessaire, mettent en évidence la volonté et la capacité des psychologues à se mobiliser vite et de manière efficace.
Pour autant, s’il apparaît indispensable de prendre en compte ces dispositifs, c’est une vision sur le plus long terme que nous vous demandons à nouveau.
Le besoin à venir reposant sur une compétence spécialisée et lisible est urgent. La revue de littérature sur les questions du traumatisme démontre bien le décalage entre le temps de l’action et celui de la réflexion [5]. Certains soignants et une partie de la population ont besoin d’être écoutés aujourd’hui. Mais quand ils vont arrêter d’être « au front », puisque le langage militaire est de rigueur, quand les soignants se rendront compte de ce à quoi ils ont échappé, ce à quoi ils ont été confrontés, des choix éthiques douloureux effectués, quand ceux qui ont perdu leurs proches tenteront un processus de deuil et se rendront compte combien il a été violent de ne pas pouvoir accompagner leurs parents dans les derniers instants, c’est là qu’ils auront besoin de l’écoute des psychologues. Les dispositifs déjà en place, offrant des garanties de compétences aux usagers et que nous cherchons à fédérer et rendre visibles, sont sous utilisés du fait de ce manque de cohérence.
Les psychologues devront être présents, massivement, en libéral, en milieu hospitalier, pénitentiaire, social, etc., et pas forcément bénévolement. Nous nous étonnons de cet appel récurrent au bénévolat, au-delà de l’empathie spontanée et du sens des responsabilités des psychologues. Si ces derniers ont montré leur solidarité, il apparaît indispensable de penser la place du service public et la place des psychologues dans ce service public. Le ministère de la santé – et plus largement le gouvernement – fait amplement appel à la solidarité de la population (blouses, masques, permanence…) faisant fi des gestions qui ont produit cette pénurie. L’heure n’est pas à la polémique, certes. Mais que cela ne nous empêche pas de penser. Nous sommes vigilants à ne pas dé-professionnaliser l’écoute psychologique. Le piège serait de considérer le bénévolat comme une réponse suffisante à la crise sanitaire exceptionnelle que nous traversons. La solidarité fait signe de l’humanité qui est la nôtre et s’exprime aussi sous la forme du bénévolat. Les psychologues se sont largement engagés en ce sens, mais ils vous interpellent sur la suite nécessaire à anticiper dans le respect de notre profession et de nos compétences.
L’étonnement qui nous saisit est à comprendre comme une préoccupation sur les réponses adaptées et pertinentes à offrir tant aux professionnels qu’à la population. Celles-ci s’appuient sur la coordination des compétences disponibles et sur les moyens alloués. L’organisation et la cohérence des interventions psychologiques par la profession sont à penser en articulation avec les services de psychiatrie, de soins et les administrations diverses.
La création d’une Cellule Nationale d’écoute psychologique, appuyée sur une Charte, organisée par la profession, coordonnant les plateformes, constitue une nécessité pour l’assistance psychologique des professionnels impliqués, des personnes vulnérables et de la population. Cette création relève d’un service public sous responsabilité gouvernementale.
Nous attendons que cette lettre permette la reprise d’un dialogue suspendu pour assurer une réponse à la mesure des enjeux soulevés par cette crise sanitaire.
Annie COMBET, Secrétaire Générale du Syndicat National des Psychologues
Gladys MONDIERE, Coprésidente Fédération Française des Psychologues et de Psychologie
Patrick-Ange RAOULT, Membre du Bureau National, Syndicat National des Psychologues
Benoît SCHNEIDER, Coprésident Fédération Française des Psychologues et de Psychologie
Contacts presse :
Fédération Française des Psychologues et de Psychologie : copresidents.ffpp@gmail.com
Gladys Mondière : 06 47 75 79 12 / Benoît Schneider : 06 85 11 38 36
Syndicat National des Psychologues :
Annie Combet : snp_sg@psychologues.org
Patrick Ange Raoult : 06 07 90 90 74
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Notes :
[1] Troubles du Spectre Autistique et Troubles du Neuro-Développement
[2] Établissement Public de Santé Mentale
[3] Soins aux Professionnels de Santé, présidé par Éric Henry, médecin généraliste.
[4] Cellule d’Urgence Médico-Psychologique
[5] JAMA Network Open.2020;3(3):e203976
Via le site http://www.psychologues-psychologie.net