Le délibéré du procès France Télécom est tombé : les dirigeants sont reconnus coupables de complicité de harcèlement moral, et l’entreprise elle-même a été reconnue coupable. L’ancien PDG Didier Lombard est condamné à un an de prison, dont huit mois avec sursis, et 15 000 euros d’amende. Le groupe, rebaptisé Orange en 2013, devra payer une amende de 75 000 euros, la peine maximale. De leur côté, Louis-Pierre Wenès (ex-numéro 2) et Olivier Barberot (ex-DRH) ont été tous deux condamnés à un an de prison dont huit mois avec sursis et 15 000 euros d’amende, pour avoir mis en place une politique de réduction des effectifs « jusqu’au-boutiste ».
C’est la première fois qu’un tribunal reconnaît cette notion de harcèlement moral institutionnalisé ou systémique, conséquence de choix stratégiques visant à créer un climat anxiogène qui a détérioré les conditions de travail des salariés. Même s’il y aura appel de la décision, ce jugement est inédit à plus d’un titre et dépasse largement les frontières du groupe de télécommunications.
La reconnaissance de l’origine managériale et organisationnelle de la souffrance au travail ?
Beaucoup ont vu ici le début de la reconnaissance juridique de la souffrance au travail. Pourtant, le jugement précise qu’il peut être admis que la fixation d’objectifs « puisse provoquer un certain stress ou une pression ». Ce qui est reproché à France Télécom concerne davantage les objectifs déraisonnables et non le respect des conditions de travail. La difficile (voire l’impossible) démonstration des liens de causalité entre les décisions stratégiques et les conséquences sur la santé au travail a limité ici les chefs d’accusation, par exemple celui d’homicide involontaire, qui n’a pas été retenu.
C’est bien là un point qui peut limiter la portée de ce procès : la souffrance au travail dans ses formes diverses est souvent la conséquence d’une combinaison de facteurs dont il est au stade actuel de connaissances impossible d’évaluer le poids respectif. L’affaire France Télécom est donc un cas d’école extrême, les suicides ne représentant que la partie émergée de l’iceberg de la souffrance au travail.
Pour le dire autrement, dans toutes les organisations où la souffrance est patente mais pas forcément traduite par des situations aussi dramatiques que des suicides, et où les choix stratégiques et organisationnels qui en sont à l’origine apparaissent moins caricaturaux que ceux mis à jour lors de ce procès – primes des managers indexées sur les objectifs de départs des agents, formation des managers pour favoriser la mobilité des subordonnés, objectifs managériaux quantifiés, et quelques phrases célèbres du PDG –, il sera sûrement très difficile d’établir une situation de harcèlement moral institutionnel.
Pourtant, la reconnaissance de l’origine organisationnelle de la souffrance au travail obligerait à la prise en compte de celle-ci de manière plus aboutie qu’actuellement. Cela aurait pour corollaire de remettre en cause les pratiques d’évaluation et de prévention actuelles, essentiellement centrées sur l’individu, et nécessiterait des approches plus globales pour mieux rendre compte de la dimension organisationnelle de la santé au travail.
Est-ce la fin d’un management inhumain ?
Les prévenus avaient argumenté pour leur défense que cette situation était avant tout la responsabilité de comportements individuels déviants. Mais le tribunal a retenu que les managers intermédiaires avaient eu des agissements de harcèlement subséquemment aux objectifs qui leur étaient assignés. Ils étaient « placés entre le marteau et l’enclume ». La juge citera Mona Ozouf : « L’ensauvagement des mots précède l’ensauvagement des actes. »
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