Si on accepte l'inégalité salariale, on accepte toutes les inégalités

05 juillet 2013 | Femmes Au Travail, Inégalités et Discriminations

Un an après la création du ministère des droits des femmes, la ministre et porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, doit présenter mercredi 3 juillet son projet de loi sur l’égalité hommes-femmes. Cinq participants du Monde Académie l’ont rencontrée en mai, afin de dresser le bilan de son action.

Avec votre nomination au ministère des droits des femmes, ce ministère redevient de plein exercice pour la première fois depuis 1986. Mais d’abord, pourquoi le choix de ce nom, « droit des femmes », et pas « égalité hommes-femmes » ?
Najat Vallaud-Belkacem : Aujourd’hui l’objectif est de faire l’égalité entre les hommes et les femmes. Cette volonté passe par le fait de rehausser les droits et les opportunités réelles des femmes, d’où la nécessité d’un ministère des « droits » – sous-entendu des opportunités – et des femmes. C’est un ministère difficile car vous devez consacrer autant de temps à convaincre les gens de l’importance et de la pertinence de votre sujet qu’à mener les réformes. Je passe énormément de temps à faire de l’inter-ministérialité. De plus, il est doté de peu de moyens : une administration de moins de 200 personnes et un budget d’une vingtaine de millions d’euros seulement.
Avez-vous envie de marquer la cause des droits des femmes, et de quelle manière ?
Bien sûr, j’espère que nous marquerons par notre passage l’histoire des droits des femmes, et le seul moyen d’y parvenir est de transformer l’égalité en droit, écrite dans les textes, en une égalité en fait. Les entreprises qui violent leurs obligations n’ont jamais été sanctionnées, donc, de fait, l’égalité n’existe pas. On m’accuse aujourd’hui d’être une « mère Fouettarde », parce que les premières sanctions contre les entreprises de plus de 50 salariés n’appliquant pas le décret de loi sur l’égalité salariale sont tombées il y a quelques semaines.
Les entreprises sanctionnées doivent désormais payer tous les mois 5 000 euros. Elles se rendront compte qu’il est beaucoup moins coûteux de prévoir tous les ans des enveloppes de rattrapage, de ne pas laisser se creuser les écarts, que de payer des pénalités. La vraie question est celle-ci : pourquoi les lois sont-elles appliquées dans d’autres domaines où les entreprises se savent pénalisées ?
Pourquoi ce chantier de l’égalité salariale avant tout ?
Parce que c’est celui qui touche le plus de Français. Il n’est pas une seule femme, tout milieu et tout âge confondus, qui ne se sente pas concernée par cette inégalité. Si on accepte l’inégalité salariale, alors on accepte les inégalités dans tout le reste de la société : la domination, l’oppression et, à terme, les violences.
C’est ausssi le but de la campagne « Léa », diffusée à la télévision…
Faire prendre conscience qu’il existe un écart de rémunération de 25 % entre hommes et femmes, et 35 % d’écart de retraites, à une heure de grande écoute et sur les plus grandes chaînes, est essentiel. L’écart de temps consacré aux tâches domestiques est également énorme : les hommes n’effectuent en moyenne que dix minutes de tâches ménagères supplémentaires de plus qu’il y a vingt-cinq ans !
Vous appartenez à un gouvernement paritaire. Faudrait-il étendre les quotas de femmes à davantage de domaines ?
Depuis que nous sommes aux responsabilités, un certain nombre d’instances ont été rendues paritaires. C’est le cas des autorités administratives, du Conseil national du numérique, de la Banque publique d’investissement et de son conseil d’administration, mais c’est aussi valable pour le Haut Conseil des finances publiques, ou le Comité des retraites. Tous ces organismes vont nous permettre d’agir au niveau des politiques que nous allons conduire. Nous entendons inscrire la parité au sein de ces autorités administratives dans la loi.
Cependant, il faut faire attention à ne pas donner l’impression d’être dans la contrainte permanente. Certaines femmes estiment que ça n’est pas dans leur intérêt, car on leur fait ensuite le procès d’être là où elles sont uniquement grâce aux quotas.
Est-ce votre cas ?
Non. Je reconnais bien volontiers que j’ai bénéficié d’un contexte. Pendant des années, la représentation des Français issus de l’immigration avait été totalement sous-proportionnée par rapport à leur nombre. De plus, je suis arrivée en politique au début des années 2000, au moment où l’on commençait à appliquer les lois sur la parité. Mais s’il ne s’était agi que d’un effet d’aubaine, les bulles se seraient vite dégonflées. Ce que les Français attendent d’un responsable politique, ce n’est pas simplement d’incarner un symbole, c’est de mener des actions concrètes en cohérence avec le symbole porté.
Issue d’un milieu modeste, vous avouez que lorsque vous êtes entrée en politique, vous n’aviez pas les « codes ». A quels codes faites-vous référence ?
Il y a là quelque chose de très « genré ». Le pouvoir a été pendant très longtemps une affaire d’hommes exclusivement. La politique obéit à des codes masculins. Par exemple, le fait de prendre systématiquement la parole lors d’une réunion révèle une forme d’assurance… Les femmes sont des « nouvelles entrantes » en politique, comme les personnes issues de l’immigration par exemple, ou les jeunes. Ces nouveaux « entrants » ont une forme d’humilité, d’écoute, d’empathie. Lorsque la parité en politique, à laquelle nous travaillons, sera effective, ces codes vont se mélanger. Il ne s’agira plus d’une question de genre. Concernant mon parcours personnel, j’étais non seulement femme, et jeune, mais aussi fille de parents étrangers qui n’avaient jamais voté. La politique ne faisait pas partie de mon quotidien. Rien ne me paraissait évident, ne serait-ce que le simple fait d’aller voter !
Que pensez-vous des statistiques genrées ?
J’y suis très favorable. Pour instaurer l’égalité entre les femmes et les hommes, nous avons besoin de partir d’un état des lieux précis. Dans tous les domaines, n’avoir que des statistiques mélangeant les hommes et les femmes comme s’ils étaient confrontés aux mêmes enjeux ou aux mêmes difficultés nous a empêché d’y voir clair sur les inégalités que vivent les femmes. Je relance actuellement une enquête qui n’avait pas été menée depuis douze ans sur la question des violences faites aux femmes. Si l’on ne dispose pas des bons outils d’analyse, on ne peut pas se doter des bons outils de réponse.
En octobre 2012 vous avez annoncé un plan interministériel de lutte contre l’homophobie et la transphobie. A quel stade ce situe actuellement ce projet, a-t-il été mis en veille ?
Au contraire, depuis le mois d’octobre nous avons réalisé un vrai travail de profondeur. Ce plan interministériel porte en particulier sur le problème des violences homophobes. Le premier constat est que les victimes n’osent pas porter plainte. En France, il n’y a qu’une seule ligne d’écoute, SOS Homophobie, qui ne fonctionnait jusqu’à présent que quelques jours par semaine, car elle n’était pas soutenue par les pouvoirs publics. Nous avons décidé d’allouer plusieurs dizaines de milliers d’euros afin de permettre l’embauche de personnel et d’offrir une écoute sept jours sur sept.
Deuxième constat : pour les victimes d’homophobie, il est difficile de parler. Nous avons donc rédigé une trame d’audition à laquelle les officiers de police devront se conformer lorsqu’ils accueilleront des victimes de violence physique pour un dépôt de plainte. Il s’agit de déceler si l’acte a été accompagné d’insultes homophobes, et d’amener les victimes à en parler.
Par ailleurs, nous avons développé au sein du ministère de l’intérieur et du ministère de la justice des outils de statistiques beaucoup plus précis, valables pour les violences faites aux femmes comme pour les violences homophobes. Les premières statistiques seront publiées en début de l’année 2014.
En décembre 2011, une proposition de loi présentée par Michèle Delaunay visait à faciliter le changement d’état civil pour les personnes transgenres. Qu’en est-il actuellement ?
Nous avons saisi la CNCDH [Commission nationale consultative des droits de l’homme] concernant la question du parcours de transition des personnes transgenres. Un texte est en cours d’élaboration. Il précise les éléments à modifier, comme par exemple le poids trop important du corps médical, et la nécessité de passer par une intervention chirurgicale pour un changement d’état civil.
S’agissant de la facilitation du parcours de transition et du changement d’état civil, il s’agit de cas très spécifiques, comportant de grandes souffrances humaines. Nous sommes là pour répondre à ces cas et non bouleverser un modèle de société. Je pense qu’il faut en parler en termes d’accompagnement et de protection de ces personnes dans la transition. Il ne faut pas non plus négliger certains aspects tels que le droit du travail, l’accès à la santé et au logement.
Propos recueillis par Camille Bordenet, Sabrina Bouarour, Emeline Bruyas, Elsa Guippe et Matteo Maillard (Monde Académie)

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