Il y a un an, SUD-Solidaires avait invité artistes, chercheurs ou militants à suivre les 41 jours du procès qui a établi l’existence d’un « harcèlement moral institutionnalisé » dans l’entreprise. Ces chroniques sont réunies dans un livre, réussi.
Comment garder trace d’un procès monstre, qui a exposé comme jamais les forces qui broient les femmes et les hommes dans les entreprises, qui a examiné les ressorts et les dérapages d’une logique managériale et actionnariale visant à transformer à toute allure une organisation, pour mieux assurer sa rentabilité ? En organisant la chronique des 41 journées d’audience du procès Orange-France Télécom, qui se sont étalées du printemps à l’été dernier, le syndicat SUD-Solidaires a brillamment relevé le défi.
Pendant plus de deux mois, les chroniqueurs d’un jour se sont succédé sur les bancs de la salle d’audience, à l’invitation d’Éric Beynel, un des porte-parole du syndicat. Compagnons de route de Solidaires ou éloignés du militantisme, chercheurs, artistes, écrivains, professionnels de la justice, spécialistes de la souffrance au travail, ils sont une cinquantaine à avoir livré tour à tour leur regard sur ce procès hors norme, et à l’avoir consigné sur un des sites du syndicat.
Tous ont suivi les débats portant sur les pratiques managériales de France Télécom (devenue Orange en 2013) entre 2006 et 2011, et ont cherché à comprendre le lien avec les 39 victimes, parmi lesquelles 19 suicidés, sur lesquelles s’est arrêté le tribunal. Le procès a débouché sur un jugement historique, le tribunal reconnaissant l’existence d’un « harcèlement moral institutionnalisé » et condamnant les trois principaux anciens dirigeants à un an de prison, dont huit mois avec sursis. Et le travail de ces chroniqueurs éphémères est devenu, presque un an plus tard, un livre, La Raison des plus forts, paru le 4 juin (Les Éditions de l’atelier, 328 pages, 21,90 euros).
« Quand nous avons lancé le projet, nous étions loin d’avoir des gens pour raconter toutes les audiences, mais au fur et à mesure, des contacts se sont créés, on a même eu des candidatures spontanées, raconte Éric Beynel. Ce n’était pas évident : il fallait se rendre disponible presque toute une journée, puis rendre son texte dans les 48 heures. » De ces chroniques brutes, informées, poétiques ou poignantes, le syndicaliste a fait un livre cohérent, et puissant, illustré par les nombreux dessins d’audience de Claire Robert.
Au fil des textes, on suit le procès dans l’ordre chronologique, sans rater aucun de ses moments forts. Les subtilités de la procédure judiciaire sont expliquées, les enjeux rappelés et quelques témoignages bruts sont répartis dans les pages, comme la glaçante déposition de la médecin du travail Monique Fraysse-Guiglini, qui avait témoigné du « cauchemar » quotidien vécu par les employés identifiés comme devant faire partie des 22 000 départs programmés.
Les suicides racontés par les proches, les anciens salariés, encore aujourd’hui détruits par le calvaire qu’ils ont enduré, la grande élégance de la présidente du tribunal Cécile Louis-Loyant, la dureté de l’ex-numéro 2 Louis-Pierre Wenès, l’insignifiance surjouée par l’ancien DRH Olivier Barberot, et le mépris de Jean Veil, avocat de l’ex-PDG Didier Lombard, rien n’échappera au lecteur.
Le cinéaste Stéphane Brizé, auteur de films au plus près de la réalité sociale, a assisté à l’une de ces audiences marquantes. Celle où le haut cadre et syndicaliste CFE-CGC Sébastien Crozier a raconté ce jour terrible de septembre 2011 où une salariée s’est jetée du cinquième étage dans la cour centrale de l’immeuble parisien de France Télécom. Il n’a pas oublié ce témoignage « passionnant, édifiant, bouleversant ».
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