INTERVIEW – Les robots dans le monde du travail vont-il vraiment nous faciliter la vie ? Ou nous la rendre plus compliquée ? Alors qu’une étude du Forum économique mondial indique que 50% des tâches professionnelles seront effectuées par des robots en 2025, LCI a discuté avec Pierre-Yves Gomez, chercheur à l’université de Lyon, et auteur de « Intelligence du travail ».
LCI a discuté de tout cela avec Pierre-Yves Gomez, économiste et auteur de « Intelligence du travail », publié aux éditions Desclée de Brouwer.
LCI : On annonce la 4e révolution industrielle, celle des robots, dans quelques années. Cela va-t-il vraiment nous bouleverser ?
Pierre-Yves Gomez : Il faut d’abord replacer l’étape de robotisation qui est en cours dans une histoire longue. La robotisation est aussi vieille que la civilisation : le moulin était déjà de la robotisation. Mais cela s’accélère, parce qu’il y a une industrialisation des biens ou des services, et on ne peut pas isoler l’un de l’autre : cette course vers la robotisation, séculaire mais accélérée, suppose en parallèle une course vers le consumérisme. Si je produis davantage et à moindre coût, il faut bien, qu’en face, il y ait des consommateurs.
Pourquoi, jusqu’à maintenant, la robotisation ou automatisation n’ont-elles pas forcément fait qu’on travaillait moins ?
En fait, plus on robotise, plus le consommateur doit travailler pour consommer. L’industrialisation n’est pas que l’allègement du travail. A mon avis, on travaille même beaucoup plus aujourd’hui qu’au Moyen-Âge, où l’on travaillait à la ferme, sur un certain nombre d’activités difficiles, mais localisées. Désormais, nous travaillons en apparence beaucoup moins intensément. Mais au lieu d’être physique, la fatigue est intellectuelle. Car nous travaillons de manière beaucoup plus large. En une journée, nous faisons et devons décider de beaucoup plus de choses. Et c’est épuisant.
L’automatisation nous ferait-elle donc travailler davantage ?
Ce qu’on croyait gagner d’un côté, on le perd d’un autre. C’est l’un des grands enjeux des transformations actuelles : on déplace une partie de la chaîne de valeurs du côté des consommateurs. On va sur internet, on prend sa commande, on doit choisir alors qu’avant un vendeur nous conseillait… C’est tout le travail du vendeur que vous externalisez. Mais on externalise aussi toute la responsabilité de l’achat : ne pas se tromper dans le choix, ne plus avoir ce rapport à autrui qui permet d’avoir des conseils. Tout cela disparaît. C’est toute l’ambiguïté de la robotisation : elle allège le travail du vendeur, c’est sûr, parce que ce travail disparaît. Et elle augmente le travail du consommateur qui devient vendeur. Résultat: nous avons l’impression de travailler moins en temps, au sens professionnel, mais nous travaillons plus en tant que citoyen et consommateur.
Les promesses de la robotisation sont pourtant de nous libérer des tâches basiques, pour nous permettre de nous concentrer sur la créativité, la plus-value sur la machine.
Dans un processus de production comme Amazon, c’est le client qui travaille, qui va même mettre des commentaires, pour acheter son produit. Poussons à l’extrême : demain, c’est un camion automatique qui va apporter le produit. Ce dernier, via un ordinateur, va faire le lien avec la commande et une machine va l’empaqueter et le mettre dans le camion qui va livrer à domicile. Je ne vois pas bien où est la créativité humaine. A l’inverse, je crois que le modèle ne fonctionne que parce qu’il est hyper-normé. C’est une énorme fausse promesse.
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