Le burnout ne sera donc pas une maladie professionnelle, mais… peut-on en rester là ?

30 octobre 2017 | Burn Out

Aujourd’hui, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn a dit que le burnout ne serait pas reconnu en maladie professionnelle en invoquant un rapport de la HAS… Sauf que le rapport n’avait pas vocation à servir d’alibi pour ne pas indemniser les travailleurs et valider le statu quo. Des recommandations concrètes existent déjà ! La ministre s’en saisira-t-elle ?

Par Quentin Durand-Moreau, médecin du Travail
Aujourd’hui, Agnès Buzyn était l’invitée du Grand Jury. Le lab Europe 1 nous résume ici un point abordé dans cette émission :

Ce mot de la ministre est vraiment le signe qu’il faut définitivement en finir avec cette qualification de burnout. On a encore là une illustration parfaite que le terme même de burnout est une espèce de boulet qui paralyse toute réflexion de fond sur les liens entre santé mentale et travail. Et nous sommes de plus en plus nombreux à porter cette voix (1). En bref, comme toute l’énergie est mobilisée pour savoir si oui ou non le burnout est ou n’est pas une vraie maladie, on passe à côté du fait que le travail a des effets, ceux-là, incontestables sur la santé mentale des travailleurs et peuvent causer des maladies qui, elles, ont des descriptions consensuelles (la dépression, les troubles anxieux, l’état de stress post-traumatique). Par ailleurs, le terme de « burnout » a pour moi un côté euphémisant, de par son caractère quasi-physiologique chez tout bon travailleur, et contribue à éloigner de notre esprit que le travail peut amener certains salariés à se suicider. C’est-à-dire à mourir de leur travail.
Pour être très clair, c’est bien le concept même de burnout qui pose souci. J’avais même carrément co-écrit un éditorial dans la Presse Médicale en 2015 dans lequel j’expliquais en quoi la reconnaissance du burnout au titre des maladies professionnelles du burnout était :
– impossible d’un point de vue nosographique, ne s’agissant pas d’une maladie en tant que telle, mais d’un fourre-tout dans lequel on retrouve d’authentiques épisodes dépressifs majeurs, d’authentiques états de stress post-traumatiques, d’authentiques troubles anxieux… Bref, autant de maladies sur lesquelles il ne peut exister aucun doute quant à leur définition et dont les liens avec le travail sont avérés dans de nombreuses situations !
– inutile du point de vue de la prévention : indemniser – on dit également « réparer » – les travailleurs n’a jamais efficacement fait avancer la prévention. C’est-à-dire que la réparation en maladie professionnelle n’a jamais eu de caractère suffisamment dissuasif pour inverser les courbes en termes de nombre de salariés atteints de maladie professionnelles. Les statistiques concernant les troubles musculo-squelettiques de l’épaule par exemple, sont éloquentes en la matière. Et d’un point de vue purement conceptuel, il n’est guère satisfaisant de se contenter de donner de l’argent à des gens cassés par leur travail, c’est-à-dire, quand le mal est fait ! Pour autant, il est juste que les victimes soient indemnisées.
– incohérent si on se situe dans une perspective d’analyse de l’activité : pour les travailleurs du régime général et agricole, les maladies professionnelles sont reconnues grâce à des tableaux, mentionnant un certain nombre de critères (dont la liste indicative ou limitative des travaux exposant au risque de développer un maladie professionnelle). Ces tableaux sont rédigés, pour l’heure, à l’issue d’un consensus entre partenaires sociaux. Que mettra t-on donc dans cette troisième colonne pour la maladie « burnout » ? Sur quels critères les partenaires sociaux se mettront d’accord ? Quels critères sont susceptibles de donner pour tout travailleur une maladie psychique ? Si tant est qu’il y ait accord, est-ce qu’ainsi, le nombre de travailleurs concernés sera à la hauteur de l’impact réel de ces maladies ? Mon avis est que pour les maladies psychiques en lien avec le travail, chaque dossier doit être examiné au cas par cas par une commission. Commission qui existe déjà et qui est appelée CRRMP (comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles). Mais ces commissions doivent avoir les moyens de fonctionner et leur existence doit être mieux connue de tous.
En finir avec le concept de burnout n’a donc évidemment rien à voir avec une quelconque volonté de minimiser un phénomène qui prend tant d’ampleur. Au contraire. Il s’agit de repréciser les concepts afin que les salariés victimes de ces maladies soient mieux pris en charge autant médicalement que sur le plan de l’indemnisation. Qu’on cesse ces stériles débats conceptuels qui sont désormais tranchés – la HAS ayant effectivement affirmé que le burnout n’était pas une maladie, dans une fiche mémo à laquelle j’ai contribué -, et qu’on avance concrètement sur ces questions.
Donc, la ministre nous dit qu’il n’y aura pas de reconnaissance en maladie professionnelle pour le burnout. Certes, mais pour autant, il est tout de même fort curieux que la ministre s’en tienne là. Gerard Sébaoun, ancien député socialiste qui avait été rapporteur d’une mission d’information parlementaire (3) – au cours de laquelle j’ai été auditionné – s’est fendu d’un tweet en direction de la ministre, en l’accusant de « faire du surplace ».

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