«Les bêtes sont encore vivantes au moment où on les tronçonne»

12 mars 2015 | Crimes Industriels, Stress Travail et Santé

INTERVIEW – Anne de Loisy, journaliste, est l’auteure d’une enquête sur la filière de la viande.

La journaliste Anne de Loisy avait enquêté en 2012 sur les abattoirs pour l’émission Envoyé spécial. Elle en a tiré Bon appétit ! Quand l’industrie de la viande nous mène en barquette (Presses de la Cité, 468 pp., 19,50 €), un livre très documenté paru fin février sur la filière de la barbaque, des éleveurs à nos assiettes.
Est-ce difficile d’enquêter sur la filière de la viande ?
C’est très compliqué parce que c’est hyper opaque. Les industriels refusent les interviews et interdisent les tournages dans les abattoirs. Le problème de la viande, c’est que c’est une industrie qui est dirigée par trois personnes : les groupes Bigard, Terrena, et SVA Jean Rozé. Du coup, rien ne sort.
Comment avez-vous eu accès aux abattoirs ?
J’ai d’abord demandé les autorisations officielles, qui m’ont été refusées. J’ai fini par y avoir accès grâce à des intermédiaires, notamment l’Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA). Je suis entrée avec le directeur, qui m’a présentée comme l’une de ses assistantes.
Lors de votre enquête, qu’est-ce qui vous a le plus choquée ?
Je ne me rendais pas compte à quel point l’industrialisation de la viande était en marche. A tous les niveaux. Les élevages de 40 000 volailles, de milliers de cochons, de centaines de bovins… On est loin des images de vaches dans les prés qu’on vend au consommateur. Mais le plus impressionnant, c’est l’industrialisation de l’abattage. Faire passer un animal de vie à trépas, c’est forcément un peu gore. Mais l’industrialisation de cette étape-là est extrêmement violente : les bêtes sont abattues à une telle cadence qu’elles sont encore vivantes au moment où on les tronçonne. En plus, ce sont des conditions extrêmement compliquées pour les ouvriers des abattoirs, qui travaillent dans le froid, le sang, les odeurs…
D’où vient la viande que l’on trouve dans nos assiettes ?
Dans la restauration collective, 70% des bovins et 87% de la volaille sont importés. Alors qu’on a des éleveurs qui crèvent de faim, et que la profession compte entre un et deux suicides par jour. Quand les gens chargés de nourrir une société se suicident à tour de bras, c’est qu’il y a un souci quelque part ! Le paradoxe, c’est que nos belles races à viande sont exportées et qu’on récupère des vaches laitières moins chères, de mauvaise qualité. C’est toute l’aberration du système : les industriels nous expliquent qu’on a une viande bas de gamme parce que le consommateur veut une viande bon marché, alors que les prix ont augmenté de 40% entre 1995 et 2010 pour le consommateur, mais n’ont pas changé pour l’éleveur. Ces deux bouts de la chaîne sont les grands perdants.

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