La cour d’appel a reconnu le harcèlement sexuel et la discrimination subis par des salariées de la société H. Reinier, sous-traitante de la SNCF. Mais elle a revu sensiblement à la baisse leurs indemnités, les contraignant à restituer une grande partie des milliers d’euros touchés en première instance.
«Huit ans pour ça… », se désole Rachid. Pour ce délégué syndical comme pour les quatre plaignantes, les victimes ont été reconnues, mais pas le préjudice qu’elles ont subi. C’est toute l’ambiguïté de la décision qu’a rendue la cour d’appel de Paris dans la procédure des nettoyeuses de la gare du Nord, jeudi 29 octobre.
Depuis 2012, ces cinq salarié·e·s de la société de nettoyage H. Reinier – filiale du groupe Onet et sous-traitante de la SNCF –, se battent pour faire reconnaître les violences sexuelles infligées à des salariées par deux chefs d’équipe, qui ont nié les faits.
Plusieurs salariées noires, réalisant les tâches les plus ingrates et particulièrement maltraitées selon de nombreux témoins, n’avaient, après beaucoup d’hésitation, finalement pas souhaité poursuivre leur employeur en justice, par peur pour leur situation. Ce sont donc ces cinq salarié·e·s qui ont mené le combat pour toutes.
Parmi eux, Rachid, un délégué CFDT à l’origine de l’affaire. En 2012, sa dénonciation d’un « racket à l’embauche » commis par un délégué SUD Rail, lui vaut d’être pris pour cible (pétition pour demander son départ, accusations d’exhibitionnisme, menace de mort, sanctions disciplinaires, tentatives de licenciement dont la dernière aboutira en 2016). Selon les quatre plaignantes, c’est parce qu’elles avaient refusé de signer la pétition contre lui que deux chefs d’équipe s’en étaient pris à elles pendant plusieurs mois : changement de poste ou d’horaires, harcèlement moral et sexuel, et parfois des agressions sexuelles.
Lorsqu’elles nettoyaient les toilettes des trains de la gare du Nord, ces chefs frottaient leur sexe contre elles, leur mettaient des mains aux fesses, les insultaient. Quand elles ont dénoncé les faits, leur direction les a à peine entendues, jamais soutenues, et les a même enfoncées, comme Mediapart l’avait relaté (lire l’article de Michaël Hajdenberg).
De l’avis même du Défenseur des droits, qui a établi dans son enquête le harcèlement sexuel et les discriminations, les témoignages du dossier étaient « concordants et cohérents ». En première instance, en novembre 2017, les cinq plaignant·e·s avaient obtenu une victoire marquante devant le conseil de prud’hommes de Paris. La société a contesté ce jugement devant la cour d’appel, qui a rendu jeudi ses cinq arrêts, que Mediapart a pu consulter.
D’un côté, la cour reconnaît la société H. Reinier coupable de harcèlement sexuel et de discrimination à l’égard de quatre salariées, et de harcèlement moral et discrimination syndicale à l’égard de Rachid. De l’autre, elle estime le préjudice subi moindre et a en conséquence réduit considérablement l’indemnisation versée en première instance.
La cour juge par ailleurs le licenciement de deux des salariés « justifié », car sans lien avec les faits dénoncés, et reposant sur des éléments « objectifs »: une « agression » d’un supérieur pour Rachid ; un « refus de réaliser certaines prestations », « des pressions exercées à l’encontre de certains salariés » et des « propos injurieux à l’égard de ses supérieurs » pour Karima, l’une des victimes de harcèlement sexuel.
Ce n’était pas l’avis du conseil de prud’hommes, qui avait estimé qu’il existait « un doute sérieux sur la réalité des faits reprochés » et que ceux-ci s’inscrivaient « dans un contexte de harcèlement sexuel et moral », de « bras de fer » au sein de l’entreprise. Il avait aussi souligné que des « déclarations mensongères » avaient été faites et des « pressions exercées sur plusieurs salariés pour les contraindre à porter des accusations infondées ».
Résultat : les plaignant·e·s, qui avaient touché entre 30 000 et 100 000 euros de dommages et intérêts, doivent désormais rendre entre 75 et 90 % de ces sommes à leur employeur, « pourtant déclaré coupable », souligne leur avocate, Maude Beckers. Les victimes de harcèlement sexuel et de discrimination voient leur indemnisation divisée par cinq : elles ne percevront que 6000 euros, contre 30 000 en première instance. Rachid et Karima, qui avaient perçu respectivement plus de de 100 000 et 90 000 euros, vont eux devoir restituer plus de 70 000 et 80 000 euros.
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