Avec le soutien et l’appui du réseau Souffrance et Travail, le groupement havrais des assistants sociaux du travail (GHAST) a organisé en janvier 2024 une journée d’informations sur le « burn-out » à destinations des assistants sociaux du secteur privé et public, venus d’un peu partout en Normandie.
Prévenir le burnout des assistants sociaux
Accueillis par le lycée Raymond Queneau d’Yvetot, ces deux demi-journées d’échanges techniques ont permis de renforcer les fils du réseau entre ces professionnels indispensables dans l’écoute, et l’aide apportée aux personnes en souffrance du fait du travail.
L’occasion, également, de pointer les difficultés de ces prises en charge juridico-administratives.
Des échanges sur les façons de prévenir le burn-out, ou encore sur la manière de mieux impliquer des employeurs réticents face aux constats évoqués, ont été aussi abordés
Les interventions :
Au programme de ce qui se voulait plus une journée d’échanges que d’apports descendants de connaissances, et avec le concours des 35 assistantes sociales et assistants sociaux présents dans la salle, comble :
Présentation du tableau clinique du burn-out et des conditions d’émergence de la parole
Isabelle KALIS, psychologue du travail, membre de la consultation de pathologie professionnelle du CHU de Caen et du réseau souffrance et travail, a parlé :
- du travail en pluridisciplinarité,
- de la double chronologie permettant de mettre en relation la dégradation des conditions de travail et de l’état de santé,
- des constats d’un psychologue du travail sur les atteintes à la santé et aux capacités (notamment cognitives) constatées du fait du burn-out et des pathologies de surcharge,
- et de quelques façons d’en faire prendre conscience aux personnes qui en sont victimes.
Le Droit relatif au burn-out
Michaël PRIEUX, inspecteur du travail, membre du réseau souffrance et travail, a rappelé qu’il s’agissait autant d’une problématique de santé au travail que de santé publique.
À travers un passage rapide sur les principes généraux de prévention au travail, la discussion autour de la jurisprudence en matière de responsabilité (civile et pénale) des organisations dans les situations de burn-out, de leurs conséquences sur l’imputation de la rupture du contrat de travail, ou de la reconnaissance du caractère professionnel de cette pathologie, a permis de faire sauter quelques clichés sur des « impossibilités de faire » ;
L’après-midi était consacrée à la mise en lumière :
- d’un travail social de groupe mené au bénéfice et avec la participation de femmes victimes de burn-out par les assistantes sociales de la CARSAT, Normandie,
- du travail mené à partir de leur expression, qu’elles ont souhaité formaliser par écrit, jusqu’à la parution du magnifique « à s’en brûler les ailes », récit de leur parcours, de leur implication passionnée dans le travail, jusqu’à la chute.
Le service social de la CARSAT
Joseph MAXE et Maggy HERICY-ASSELIN ont présenté les outils et les financements mobilisables par la CARSAT en matière de sécurisation des parcours en santé, de prévention de la désinsertion professionnelle et d’aide au retour à l’emploi et au travail.
Le travail social de groupe
Chloé DUVAL et Agathe LIOREL, assistantes sociales de la CARSAT Normandie, ont fait le focus sur les conditions et la réalisation de deux interventions, à travers le fameux travail social de groupe. Ce groupe d’échanges (et pas groupe de parole) vise à comprendre collectivement le pourquoi de la souffrance et de l’arrêt de travail, afin de percer l’isolement et de recréer du lien (le burn-out, souvent incompris, notamment par les proches, pouvant également s’affirmer comme une pathologie de la solitude).
Elles nous ont expliqué que des outils inhabituels, comme le théâtre, utilisé dans l’objectif de restaurer l’estime de soi et son image, (y compris face au regard des autres) pouvaient également été mobilisés.
Ce type d’intervention, après avoir levé les nombreux obstacles, psychologiques (en recueillant notamment l’avis favorable des professionnels assurant le suivi médical), juridiques et financiers (caler les choses avec la prévoyance, mettre en œuvre les procédures de reconnaissance en maladie professionnelle, …), a permis à ces femmes de « conscientiser » le lien entre leur santé et les conditions de travail qu’elles avaient vécues, et de transformer le « vol d’énergie vitale » dont elles avaient été victimes, ainsi qu’elles l’ont formulé, en « plaisir à écrire », qui a même abouti à une légère récupération psychique et cognitive.
Dire le travail
Et quoi de mieux, pour parler de la démarche et du travail éditorial qui a permis la parution de « à s’en brûler les ailes , que d’entendre Patrice BRIDE, membre de la coopérative Dire le travail.
Formateur et éditeur, il a expliqué le processus qui avait permis d’éditer ces paroles, mais aussi la valeur et l’importance, pour lui et la coopérative, des dires des travailleurs, de « dire le travail », pour raconter les personnes, mais aussi le monde du travail dans lequel on vit, et dont les récits ne sont pas que souffrance, mais aussi plaisir.
Pourquoi et comment éditer des récits de travail ?
Sur le thème « pourquoi et comment éditer des récits de travail ? », Patrice nous aura appris qu’il fallait rendre un texte « éditable », indépendamment de tout le feu qu’ont eu leurs autrices à le défendre. Et ce, en œuvrant dans le respect et la délicatesse de ces intentions, dans l’échange et le conseil, mais avec l’œil du professionnel qui sait les dangers, pour une petite structure coopérative, à mé-publier.
Ces témoignages sont porteurs d’effets sociaux. Ce récit, sur le « comment elles se sont construites jusqu’à se démolir », sur ce sentiment de « surpuissance », parfois « grisant », pour une personne d’assumer la charge de travail de deux boulots, permettait également de lire en creux toutes les bifurcations qui auraient été possibles avant que n’intervienne l’inévitable décompensation.
Dire Le Travail – la coopérative : coopérative d’écriture et d’édition sur le travail
On ne peut qu’encourager à lire, à relire, à transmettre à d’autres, à utiliser comme un outil social, le livre « A s’en brûler les ailes », récit de ces femmes accompagnées par les assistantes sociales de la CARSAT, qui exposent sans fards, avec beaucoup de pudeur et d’intelligence, leur regard a posteriori, sur le travail et sur ce qu’il leur a fait, sur leurs doutes, leur souffrance et leur prise de conscience progressive.
On ne peut que vous inviter à vous le procurer chez l’un ou l’autre de ces éditeurs (la coopérative dire le travail, les éditions ERES*), tant pour être émus de ces témoignages, en tirer des enseignements et en sortir « plus forts », que pour partager ces clés de compréhension des phénomènes d’installation dans la durée du burn-out lié à l’organisation du travail qu’ont bien voulu nous partager ces sept autrices magnifiques de vérité.
*La version d’origine publiée par Dire Le Travail est rééditée en version modifiée et augmentée par les éditions ERES.
Michaël Prieux