« On se rend tous compte qu’une partie du travail est vide de sens. »
La police n’échappe pas aux nouvelles politiques managériales qui détruisent les collectifs, imposent un contrôle hiérarchique et un formalisme accrus, le tout sur fond de manque de moyens. Pour ce premier volet d’une série de trois articles consacrés aux conditions de travail dans la police, Basta ! a donné la parole à plusieurs agents, alors qu’une « marche de la colère » est prévue le 2 octobre.
Ce n’est pas la première fois que Pascal témoigne au tribunal. Membre de la brigade des mœurs pendant plus de dix ans, il a déjà eu l’occasion de coincer des agresseurs sexuels et de les empêcher de nuire. Recueil des plaintes, auditions des victimes, confrontations, perquisitions, déferrement des suspects : ses journées – et ses nuits – sont bien remplies. « J’ai aussi fait des interventions au centre d’information sur les droits des femmes (CIDF) à propos des violences conjugales, ainsi qu’à la faculté concernant les personnes vulnérables ou encore au centre de formation des assistantes sociales. » Les histoires de vie que Pascal croise sont tragiques, mais il se sent « épanoui », « pleinement à sa place ».
« Les officiers restent trois ou quatre ans, puis ils se barrent. On ne se comprend plus »
Pourtant, il y a quelques mois, suite à un burn-out, il décide de raccrocher et végète désormais dans un petit bureau où il s’ennuie. Quand il analyse ce qui l’a usé, au-delà de la lourdeur des affaires suivies, Pascal évoque les relations détériorées avec sa hiérarchie et la bureaucratisation grandissante de son travail. « Les officiers font de moins en moins d’investigations et de plus en plus de management, regrette le policier. Ils restent trois ou quatre ans et puis ils se barrent. Ils n’en n’ont rien à faire de ce que l’on fait. On ne se comprend plus. Et puis, il faut sans cesse justifier ce que l’on est en train de faire. On bosse plus sur la forme que sur le fond. C’est infernal. »
Malgré l’obligation croissante de tout consigner par écrit, les outils informatiques sont peu fonctionnels. Comme à l’hôpital, aux impôts ou à Pôle emploi, les agents s’épuisent face à des logiciels qui leur font perdre du temps au lieu d’en gagner. « Peu de locaux de police sont véritablement adaptés aux nouvelles technologies, se plaint le syndicat Alliance, l’un des principaux syndicats policiers. Le réseau est encore largement sous-dimensionné pour supporter la totalité des informations. » Les bugs se multiplient, les documents se perdent, la main courante informatique – où les policiers doivent consigner ce qu’ils font – efface des saisies… « Pour les collègues de l’investigation, ce n’est pas pratique, ni ergonomique, précise Thierry Clair, de l’Unsa. Ils doivent multiplier les saisies, qui parfois disparaissent. C’est très long et très fastidieux. »
Analysant l’épuisement des policiers en charge des enquêtes judiciaires, le syndicat SGP-Police (FO) se désole : « Les collègues supportent mal l’obligation de devoir « bâcler » certaines procédures faute de temps et de moyens pour les traiter comme elles devraient l’être. » Résultat ? Les policiers sont de moins en moins nombreux à rêver d’investigation. « On le voit lors des mouvements de mutation, dit Thierry Clair. Sur certains postes, on n’a plus de candidats. Alors qu’au départ, une grande partie d’entre nous aspiraient à devenir enquêteurs. »
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