Telle qu’elle est organisée aujourd’hui, l’entreprise pousse les salariés à pipeauter. Pour travailler mieux, remplir des objectifs ou cacher une réalité. Et ce n’est pas sans conséquence sur la santé de l’employé.
On connaissait les CV arrangés. Les candidats de 23 ans avec des expériences dignes d’un salarié senior et un anglais-espagnol-allemand-turc «courant». Bien sûr, depuis toujours, les vendeurs jouent de subtils stratagèmes pour pousser à l’achat. Et si les trains s’arrêtaient aussi souvent en pleine voie que l’affirment les salariés en retard à leurs supérieurs, le patron de la SNCF, Guillaume Pepy, serait déjà en prison. Bref, le mensonge dans le monde du travail est une vieille histoire. Mais, si finalement c’était tout un pan du travail qui était truqué ? Si, au-delà des petites tricheries individuelles, c’était l’organisation de l’entreprise actuelle qui poussait les salariés à mentir – parfois contre leur gré ? C’est la thèse exposée dans le livre, paru aux éditions PUF, du psychologue clinicien spécialiste du monde du travail Duarte Rolo, qui a étudié le cas d’un centre d’appels téléphoniques (lire page 5).
Et il n’est pas le seul à pointer cette tendance. Même du côté des DRH, on s’en inquiète. «Le mensonge est aujourd’hui devenu un phénomène structurel dans les entreprises, explique Luc Loquen, qui a été directeur des ressources humaines dans un gros groupe pharmaceutique et dans un quotidien régional avant de devenir consultant (1). Je ne parle pas du petit mensonge intentionnel, mais de ce phénomène beaucoup plus général de distorsion de la réalité. Quand on vous amène à décrire le réel à travers des tableaux de bord et des grilles, vous êtes obligé de la transformer, de l’abîmer : toute la réalité ne peut se traduire en chiffres. Et face à ce mensonge structurel, les dirigeants, qui n’ont plus qu’une vision faussée de la réalité, prennent des décisions complètement détachées de la réalité.»
Une situation extrême qui touche surtout les entreprises qui ont poussé trop loin cette logique managériale et qui peut finir par leur coûter cher. Sans doute, le scandale Volkswagen (lire aussi pages 16-17) est l’illustration paroxystique de ce «mensonge en entreprise». Quand on ment aux consommateurs avec l’objectif de vendre plus, on implique aussi les salariés. Partagé entre course à la productivité et campagne de communication, le secteur automobile est loin d’être à l’abri de ces pratiques. «La direction vend du 100 % qualité aux clients dans ses spots publicitaires, mais sur les chaînes de production, c’est parfois une autre histoire, estime Fabien Gâche, délégué central CGT chez Renault. D’ailleurs, on n’a jamais vu autant de rappels de véhicules dans l’histoire de l’automobile.»
…
————-
(1) Le mensonge dans l’entreprise, Privat, 2003.
Lire la suite sr le site de Libération : « Dans la restauration », « Dans le secteur bancaire », « A Pôle Emploi »