[PACA] Le management à la serpe du directeur qui a fragilisé l’agence régionale de santé

31 juillet 2019 | Stress Travail et Santé

Le bail de Claude d’Harcourt à la tête de l’antenne régionale du ministère de la Santé s’arrête ce vendredi dans un contexte tendu. Mutations forcées, brimades, colères : le tableau dressé par les multiples agents que nous avons interrogés est accablant.

« Ma limite, c’est la souffrance. » Dans son bureau vitré d’Arenc qui domine le terminal 2 du port, Claude d’Harcourt pose ces principes de « manager » qu’il applique au sein de l’agence régionale de santé (ARS), depuis son arrivée en janvier 2017. Plus que quelques cartons et il perdra la vue vertigineuse : ce vendredi, il quitte officiellement ses fonctions à l’antenne locale du ministère de la Santé pour devenir préfet des Pays de la Loire. Mais ses valises sont lestées : les 12 et 13 novembre, deux assemblées générales du personnel ont exposé un mal-être au sein de la préfecture sanitaire. Sur les 600 fonctionnaires, un quart environ a répondu à l’appel lancé par les représentants du personnels, un effectif « important » selon le mot de Claude d’Harcourt lui-même.
Lue au mois d’octobre en comité d’agence, le comité d’entreprise maison, la motion des élus du personnel a mis des mots sur le malaise. « Nous recevons régulièrement des témoignages de collègues qui se plaignent de réflexions blessantes voire insultantes et de comportements assimilables à du harcèlement moral », expliquent-ils avant d’en appeler à « un management tempéré et respectueux ». S’il n’est pas cité, Claude d’Harcourt est dans le viseur. « On arrivait à une limite d’acceptation au niveau du management. Le directeur est arrivé avec des objectifs à atteindre et a mis beaucoup de pression. Ensuite c’est l’effet domino : la pression est répercutée d’échelon en échelon et dans ce contexte, certains résistent moins bien que d’autres », explique Marc Letient de la CFDT. Selon ce syndicaliste, « avant que son départ ne soit connu, nous avions envisagé d’appeler à la grève ». Il évoque même la possibilité de « droits de retrait dans certains services pour danger grave et imminent ».
Nocivité, agressivité, humiliations. Les mots reviennent avec une régularité de métronome dans la bouche d’employés de l’agence que Marsactu a interrogés. « Il a une manière de gouverner très maltraitante, je ne peux pas dire moins, relate un responsable de service. Les agents comme des membres de l’encadrement viennent travailler la boule au ventre. »

Crises de colère et brimades

Une fonctionnaire de la maison décrit ces derniers mois comme « un enfer ». Elle détaille agressions verbales, crises de colère et brimades publiques : « Des propos blessants, volontairement humiliants, devant témoins. On laisse entendre que vous ne savez pas lire, que vous ne comprenez rien, que vous ne servez à rien. Un vrai travail de sape pour faire comprendre à tous que vous êtes stupide ».
Cette patiente « dégradation insultante », selon les termes d’un autre responsable, « a généré une véritable souffrance et déstabilisé un nombre considérable d’agents qui sont, ils ne faut pas l’oublier, de grands professionnels, pour certains médecins, inspecteurs hors classes… »
Une autre poursuit: « Il n’y a rien d’objectif ou de rationnel, c’est une affaire personnelle de dominant à dominé, de chasseur à chassé. D’un coup vous sentez que que vous êtes dans sa ligne de mire et que vous allez prendre… » 

« Confiance » ou « suspicion constante » ?

L’intelligence du directeur, louée par beaucoup, se double « d’une brutalité psychologique assumée », enchaîne un haut gradé. Et lorsque Claude d’Harcourt évoque son management comme celui de « la confiance », la description qu’en font les agents dessine, à l’inverse, une gouvernance « de suspicion constante ». Un employé explicite : « C’est un régime de la terreur. Le directeur a mis en place une forme de réseau de délation : “racontez-moi, sinon vous êtes complice” ». Raison pour laquelle, à ses yeux, les syndicats ont tardé à se manifester. Un agent confirme : « Les délégués syndicaux n’ont pas été courageux. Mais comme les autres, ils ont peur des représailles individuelles. » Un des représentants syndicaux interrogés dans le cadre de notre enquête dit les choses autrement : « Dans les ARS, on est tous des cadres supérieurs. C’est difficile d’apparaître nommément car l’on sait qu’à un moment ou à un autre, on va en pâtir ».
A tout cela, Claude d’Harcourt a une réponse directe : il assume tout, au nom, dit-il, de sa « volonté d’apporter un meilleur service aux citoyens ». Il se décrit un costume digne des cost killers des grandes entreprises. « Quand on me nomme, on sait que j’ai plutôt l’habitude de venir pour conduire des réformes, avance-t-il. Cette agence régionale de santé n’était pas managée, elle a été réorganisée stratégiquement. Il n’y avait pas d’organigramme, il y en a un. La mise en œuvre de tout cela bouge les habitudes et c’est cette torsion qui a posé des difficultés. »

Les témoignages que nous recueillons évoquent autant « son côté brillant » capable de porter de véritables innovations que « la brutalité » de son fonctionnement. Le directeur encaisse et répond : « Je sais ce que je fais et dans quel esprit je le fais. Mon exigence est d’autant plus haute que l’on se situe haut dans la hiérarchie. Ce n’est pas de la brutalité, j’évalue ».

70 départs, 35 arrivées en un an

L’option managériale à la hache, s’est aussi traduite par un turn-over impressionnant. En moins d’un an, 110 postes ont été mis à la vacance. Dans une structure qui compte 600 agents, voilà qui pèse lourd. D’autant que « des contractions brutales d’effectifs » dues, selon le directeur général, « à une mauvaise gestion passée des ressources humaines » a généré 70 départs pour 35 remplacements, en 2018. Les syndicats dénoncent « instabilité » et « désorganisation ». Claude d’Harcourt revendique, là encore, la méthode. Il voit même dans ces mobilités, l’opportunité « de révéler des potentiels de personnes, entre-deux-eaux, jusqu’alors sous-employées ». Mais, convient-il, « tous les agents ne montent pas dans ce train-là… »
Ce cadre, comme d’autres, est resté à quai. Il subit pendant plusieurs mois « pressions et travail de dénigrement systématique » et finit par rendre son tablier. « Ce comportement m’a poussé à demander un changement de poste moi-même parce que je n’en pouvais plus. C’est assez pernicieux… Mais nous sommes nombreux à l’avoir fait. » Une consœur abonde, précédemment titulaire d’un poste à responsabilité : « maintenant je suis sur des missions qui ne m’occupent pas à plein temps ». Un simili placard. « Mais ne suis pas la plus mal lotie. Un collègue a été blackboulé sans lettre de mission, sans poste, sans rien. »
Plus que les changements de poste en eux-mêmes, c’est surtout la rudesse avec laquelle ils ont été décidés qui choque. « Un beau matin, par mail, vous voyez passer les postes vacants et, au milieu, il y a votre fiche de poste… », lâche dans un sourire dépité, un ancien chef de service saqué. « Un point à corriger, admet le directeur. J’ai reçu toutes les personnes à qui je demandais de partir. Mais, dans le lot, cela n’a peut-être pas toujours été le cas. »
Laconique et un rien euphémistique, la réponse fait bondir un agent mis au ban de l’organisation : « Vous avez à faire à une agence qui regroupe des experts de haut niveau. Ils ne méritent – comme personne d’ailleurs – d’être traités ainsi. Or cette plus-value intellectuelle Claude d’Harcourt ne la respecte pas ! » Un autre cadre de haut niveau, toujours en poste, approuve : « C’est quelqu’un qui humilie les autres et prend plaisir à le faire. Il a un comportement sadique. Il se situe 4 ou 5 étages au-dessus de tout le monde. Or, on a besoin d’être considérés. »

« On se sent minable »

Nombreux sont ceux qui assurent avoir ensuite développé un fort sentiment de culpabilité. « On se sent minable, dévalorisé. Cela génère une vraie perte de confiance en soi. Il faut aussi gérer le regard des autres, soupire une employée évincée. Ils se demandent si vous avez été déloyal, négligent, incompétent. C’est dévastateur. Violent, même physiquement. »
A l’ARS le mal-être a pris la forme d’insomnies, de burn-out, de maux de tête à répétition… De souffrance, il est clairement question. « Pour la première fois de ma vie, j’ai pris des jours d’arrêt de travail », témoigne un membre essentiel de l’encadrement victime d’humiliations répétées. « Comportements inadmissibles [et] décisions ubuesques » soulignés par les syndicats ont induit un stress patent, dont plusieurs agents ont mis des mois à se relever.
Ceux qui avaient opté pour le télétravail n’ont pas été plus épargnés. « Il a décrété qu’on n’irait pas plus loin que 10% des agents et a refusé, même à ceux pour qui le télétravail était une recommandation médicale”, pointe le syndicaliste Marc Letient. Face à ce qui peut ressembler à un comble dans une agence régionale de santé, Claude d’Harcourt tient sa position, une fois de plus. « Ce n’est pas le médical qui dicte ; c’est un éclairage, certes, mais pas le seul », s’irrite le futur préfet de région avant d’insister : « Un fonctionnement collectif nécessite d’être présent. »

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