Bernard Granger est professeur de psychiatrie à l’Université Paris Descartes, médecin des hôpitaux de Paris. Il est le cofondateur et co-rédacteur en chef de la revue Psychiatrie, Sciences humaines et Neurosciences. L’un des fondateurs et animateurs du Mouvement de défense de l’hôpital public, il est l’auteur de nombreux livres et tient un blog pour relayer les problèmes de l’hôpital.
La mise sur la place publique de pratiques observées à Saint-Etienne par madame Adeline Azan, contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, jette une lumière crue et caricaturale sur les difficultés rencontrées par la psychiatrie publique depuis des décennies. De nombreux auteurs ont écrit sur ce sujet, sans que les tendances identifiées comme délétères n’aient été corrigées, au contraire.
Dans son article intitulé « Le nouveau Moyen Age psychiatrique » et paru dans la revue Psychiatrie, Sciences humaines, Neurosciences en 2009, le Dr Thierry Haustgen, psychiatre, écrivait : « Depuis trois ans se multiplient sur les rayons des librairies les ouvrages dénonçant l’état alarmant des soins psychiatriques en France. Ils émanent tantôt de praticiens de terrain, tantôt de journalistes d’investigation. […] Si les causes du mal et les remèdes varient d’un auteur à l’autre, tous s’accordent sur le diagnostic. » Ces mêmes lignes pourraient être reprises neuf ans plus tard. On pourrait ajouter que le mal s’est aggravé.
Les informations divulguées dans la presse et les déclarations des uns et des autres sont insuffisantes pour se prononcer aujourd’hui sérieusement sur la situation stéphanoise. Néanmoins, quand madame Azan déclare sur une radio publique que ce n’est pas une question de moyens : « Il existait quelques postes vacants, mais seulement quatre. Ce n’est pas du tout dramatique par rapport aux autres établissements », on se demande si elle se rend bien compte de ce qu’elle dit.
La contention et la contrainte doivent doit être évitées le plus possible. Pourquoi sont-elles hélas communément pratiquées ? Parfois l’état d’agitation ou le risque de fugue sont tels que c’est la seule solution pour éviter un drame. Drame qui sera reproché à l’établissement et au psychiatre qui n’auront pas su contenir le patient. Des établissements et des praticiens ont été poursuivis pour ce motif.
Lorsque les structures de psychiatrie ambulatoire installées au plus près de la population ne peuvent plus faire face aux besoins, les urgences et l’hospitalisation ne peut être évitées. Dans certains secteurs, le délai d’attente pour un premier rendez-vous de consultation peut dépasser six mois ou un an. Les malades et leur famille peuvent-ils attendre ? Non. Où vont-ils ? Aux urgences. Celles-ci sont en général débordées, obligées d’improviser des soins de colmatage et de traiter à la chaîne des patients en grand désarroi. Ce phénomène est encore plus ressenti dans les services d’urgence des zones où la psychiatrie libérale est peu développée.
Si une hospitalisation est nécessaire et si les lits d’aval sont insuffisants, les urgences gardent le patient. Depuis 1980, la moitié des lits de psychiatrie ont été supprimés. Dans de nombreux service la gestion de la pénurie de lits est une entrave à une prise en charge correcte des patients.
Pour éviter de recourir à la contention, un aménagement des urgences adapté aux pathologies psychiatriques est souvent demandé par les responsables médicaux, et souvent refusé par l’administration, faute de moyens, l’hôpital étant soumis à des restrictions budgétaires.
Parfois, le manque de temps, le manque de moyens, le manque de formation, ou certains comportements individuels empêchent la mise en œuvre de mesures alternatives à la contention ou à la contrainte. La déshumanisation des soins touche l’hôpital public dans son ensemble et la psychiatrie n’en est pas exempte. Les causes en sont connues : organisation autocratique du système hospitalier, obsession comptable, mépris des savoirs professionnels, manque d’autonomie, restrictions permanentes de moyens rendant la vie quotidienne harassante et démoralisante.
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