« La rhétorique sur le savoir-être permet d’escamoter la puissance des contraintes dans les organisations »

Emploi et Chômage

Partager cet article :

Entre l’exacerbation subjective des savoir-être et la sélection pseudo-objective sur les savoir-faire, le retour au réalisme s’impose, estime dans sa chronique « gouvernance » le professeur à l’EM Lyon Pierre-Yves Gomez.

Chronique. La formation au management et les techniques de recrutement s’enthousiasment pour les soft skills. Ce terme vague et assez fourre-tout désigne les capacités personnelles constitutives du savoir-être d’un collaborateur au nombre desquelles on compte l’agilité intellectuelle, la résilience face à l’échec ou la bienveillance dans les relations. Selon ce point de vue, le savoir-être permet d’affronter les situations concrètes auxquelles sera confronté le salarié et il s’oppose au savoir-faire, suspecté d’enfermer les individus dans des routines. Dit autrement, il s’agit de former ou de recruter des potentiels agiles plutôt que des sachants rigides.

A première vue, cette conception fait écho à l’environnement économique et social au caractère changeant et incertain. Difficile de recruter sur la base de savoir-faire stables, lorsque la transformation permanente des entreprises est considérée comme un principe de gestion, voire comme une condition de survie. L’exaltation du savoir-être traduirait l’impuissance des organisations à anticiper sur le moyen terme les compétences qui lui seront nécessaires, et le besoin d’attirer des collaborateurs avec suffisamment de ressources personnelles pour s’adapter à un monde promis au mouvement permanent.

Mais cette vulgate pourrait masquer une impuissance inverse : loin d’être incertaine, la production des entreprises est, au contraire, de plus en plus contrainte par les règles qu’imposent la globalisation des économies et la transparence exigée par la société. A tous les niveaux hiérarchiques, une part importante des activités est prescrite par des normes et des obligations, qu’elles soient sociales, financières ou techniques.

Standardisation

Au-delà du discours convenu sur la mutation constante du travail, on assiste plutôt à sa standardisation. L’exigence de « conformité » (compliance) en est l’expression patente : depuis l’agent de nettoyage jusqu’à la cadre supérieure, on est appelé à documenter que le travail réalisé est conforme aux listes d’attentes prescrites. La rhétorique sur le savoir-être permet alors d’escamoter la puissance des contraintes dans les organisations et d’attirer des collaborateurs en se centrant sur eux plutôt que sur la réalité du travail qu’ils auront à produire.

Lire la suite (payant) sur le site du Monde

A lire dans le magazine

Le marché du travail a changé

Dans un document baptisé « Trente ans de vie économique et sociale », l’institut national de la statistique rend compte de plus de 30 ans de changements dans le monde du travail Français.

Réseaux Sociaux

Suivez-nous sur les réseaux sociaux pour des infos spéciales ou échanger avec les membres de la communauté.

Aidez-nous

Le site Souffrance et Travail est maintenu par l’association DCTH ainsi qu’une équipe bénévole. Vous pouvez nous aider à continuer notre travail.