À télécharger ci-dessous, un arrêt de la cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) du 20 juin 2019 concernant la statut et la notion de « témoin » (en l’espèce d’une discrimination sexiste, refus d’embauche pour motif de grossesse), intéressant pour l’interprétation de notre réglementation nationale.
En Belgique, la protection due à ce type de témoins direct des agissements (la même qui existe pour nos témoins de harcèlements en France) n’est activée que dès lors que celui-ci témoigne formellement dans le cadre de la procédure, et plus particulièrement « est exclusivement accordée aux personnes qui, dans le cadre de l’instruction d’une plainte, font connaître à la personne auprès de qui la plainte a été introduite, dans un document daté et signé, les faits qu’elles ont elles-mêmes vus ou entendus et qui sont en relation avec la situation qui fait l’objet de la plainte, ainsi qu’aux personnes qui interviennent en tant que témoins en justice », nous dit la loi belge.
Ce qui de fait devient extrêmement limitatif, puisque cela reviendrait à dire que le témoin n’est protégé que s’il a personnellement et par écrit spécifique rappelé les faits dont il a connaissance ! Cela, de fait, pourrait même aboutir à ce que les rares témoins des agissements n’osent plus témoigner, de peur de ne pas être couverts par la protection à défaut de s’engager directement dans l’instance que va mener la personne victime des agissements reprochés…
Rappelons qu’en droit français, le code du travail et le code pénal prévoient la protection des témoins des agissements commis en matière de discrimination et de harcèlements :
- « L1132-3 : Aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné des agissements définis aux articles L. 1132-1 et L. 1132-2 ou pour les avoir relatés ». Cette protection civile à mettre en œuvre devant le conseil des prud’hommes permet de contester le motif de la sanction ou du licenciement, qui devient de fait illégitime et illégale, et en cas de licenciement permet de faire reconnaître par le juge la nullité de celui-ci.
- « L1152-2 : Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ».
- « L1153-3 : Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés ».
Là encore, cette protection civile à mettre en œuvre devant le conseil des prud’hommes permet de contester le motif de la sanction ou du licenciement, qui devient de fait illégitime et illégale, et en cas de licenciement permet de faire reconnaître par le juge la nullité de celui-ci.
En matière de harcèlement sexuel, le fait pour un employeur de licencier le salarié pour avoir témoigné de ce type d’agissements, quand ce motif est établi, constitue également une infraction pénale :
- Soit que le salarié a fait l’objet d’une sanction disciplinaire de « faible niveau », d’un refus de formation, d’un ralentissement de sa progression de carrière, par exemple :
« article L1155-2 du code du travail : Sont punis d’un an d’emprisonnement et d’une amende de 3 750 € les faits de discriminations commis à la suite d’un harcèlement moral ou sexuel définis aux articles L. 1152-2, L. 1153-2 et L. 1153-3 du présent code. La juridiction peut également ordonner, à titre de peine complémentaire, l’affichage du jugement aux frais de la personne condamnée dans les conditions prévues à l’article 131-35 du code pénal et son insertion, intégrale ou par extraits, dans les journaux qu’elle désigne. Ces frais ne peuvent excéder le montant maximum de l’amende encourue ». - Soit que le salarié, en représailles de son témoignage, a été licencié ou a subi un refus d’embauche :
« article 225-1-1 du code pénal : Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes parce qu’elles ont subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel tels que définis à l’article 222-33 ou témoigné de tels faits, y compris, dans le cas mentionné au I du même article, si les propos ou comportements n’ont pas été répétés », réprimé par l’article 225-2 du code pénal « La discrimination définie aux articles 225-1 et 225-1-1, commise à l’égard d’une personne physique ou morale, est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elle consiste : […] 3° A refuser d’embaucher, à sanctionner ou à licencier une personne ; […] 5° A subordonner une offre d’emploi, une demande de stage ou une période de formation en entreprise à une condition fondée sur l’un des éléments visés à l’article 225-1 ou prévue à l’article 225-1-1 ; 6° A refuser d’accepter une personne à l’un des stages visés par le 2° de l’article L412-8 du code de la sécurité sociale ».
Pour ces deux types de situations, un dépôt de plainte peut être effectué directement devant les agents / officiers de police judiciaire, de gendarmerie, ou par courrier adressé au procureur de la République ou au doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance du domicile du témoin ainsi sanctionné.
Pour revenir au sujet principal, saisie d’un question préjudicielle, la CEDH rappelle que « l’effectivité de la protection exigée par la directive 2006/54 contre la discrimination fondée sur le sexe ne serait pas assurée si celle-ci ne couvrait pas les mesures qu’un employeur pourrait être amené à prendre à l’encontre de travailleurs ayant, de manière formelle ou informelle, pris la défense de la personne protégée ou témoigné en sa faveur. En effet, ces travailleurs, qui sont idéalement placés pour soutenir cette personne et pour prendre connaissance de cas de discrimination commise par leur employeur, pourraient alors être découragés d’intervenir au bénéfice de ladite personne par crainte de se voir privés de protection s’ils ne satisfont pas à certaines exigences formelles, telles que celles en cause au principal, ce qui pourrait compromettre gravement la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive 2006/54 en réduisant la probabilité que des cas de discrimination fondée sur le sexe soient détectés et résolus ».
Donc protection due aux témoins, quelle que soit la façon dont leur témoignage a été recueilli et établi, même si notre témoin n’a pas dénoncé ces faits par écrit mais s’est contenté d’un signalement oral (à son employeur, à l’inspecteur du travail, au défenseur des droits, …).