Instants d’audience… autour d’un harcèlement moral managérial reconnu par la justice

Comment les Juges Jugent

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Le but de cette publication n’est pas seulement de rappeler que des condamnations sont possibles, mais aussi de montrer le cheminement logique « juridique » qui permet d’aboutir à des condamnations, sachant au surplus que dans ce dossier, tout reposait exclusivement sur des témoignages, et de rappeler à quel point la parole des travailleurs est aussi un mode de preuve recevable de ce qu’ils vivent.

La condamnation pour harcèlement moral managérial

Dans un jugement récent, le tribunal correctionnel de Rouen a retenu et qualifié pour infraction le harcèlement moral managérial commis par un employeur à l’encontre de tous ses salariés (mais seul l’un des salariés, monsieur S., avait porté plainte).

« Parler de sa propre expérience de violence et de harcèlement reste une épreuve. 54,4 % des victimes s’en sont ouvertes à quelqu’un, et le plus souvent, après avoir subi plus d’une forme de violence et de harcèlement » nous disent les résultats de la première étude mondiale de Gallup sur la violence et le harcèlement au travail.

Et pourtant, éclaircie à travers ces nuées bien réelles, la parole des victimes et des témoins, même intervenue bien après avoir été exposés aux violences, a une valeur réelle : le tribunal correctionnel de Rouen vient ainsi de condamner cet employeur pour un harcèlement moral managérial que l’on qualifie classiquement de « management par la terreur », à une peine de prison de huit mois avec sursis et 8 000 € d’amende (conforme aux réquisitions du procureur), auxquels s’ajoutent 10 000 euros de dommages et intérêts pour la victime et 2 000 € au titre de l’article 475-1 du code de procédure pénale. Condamnation de la personne physique uniquement, la personne morale ayant été dissoute.

Une audience tardive et particulière, puisque c’était la dernière affaire de la journée, après huit comparutions immédiates, et que l’employeur a vendu ses entreprises en France pour partir vivre en Afrique deux ans avant le jugement. Il n’était donc pas présent, et le jugement aura été rendu par défaut.

La partie civile a plaidé en début d’audience pour qu’il n’y ait pas de renvoi, arguant que cela faisait longtemps que la plainte avait été déposée, et que le salarié avait besoin de clore ce chapitre.

À la lecture des témoignages, « les assesseurs se décomposaient au fur et à mesure »…

C’était un de ces dossiers où le Parquet fait réaliser tous les actes d’instruction et demande ensuite un avis judiciaire général sur la procédure à l’inspection du travail.

Après un gros travail de recueil des faits et d’analyse de la police judiciaire et de l’inspection du travail, des magistrats du fond qui sont convaincus : le président qui indique qu’il va lire l’avis judiciaire pour faire son instruction d’audience, parce que « c’est on en peut plus limpide », et qui souligne que ce qu’il y a trouvé, l’analyse croisée des douze témoignages de salariés et les recherches de jurisprudence qui y ont été associées, permettent la qualification juridique du comportement de l’employeur, et ne peuvent qu’emporter la décision… Il faut dire qu’à la lecture des faits par le président, les assesseurs se décomposaient au fur et à mesure…

Et, au-delà des échanges entre les parties au procès, une seule question posée à l’inspecteur du travail présent à la barre : est-ce que cette situation est courante dans les entreprises ?
Si ce n’est pas forcément une situation rare, il est moins courant d’avoir des témoignages aussi nombreux et convergents, venant de personnes qui indiquaient cependant explicitement craindre la violence en représailles de leur employeur.

Pas de « complot », pas quand on a des témoignages aussi clairs, évoquant des situations différentes, et qui reprennent tous les mêmes expressions de l’employeur, décrivent tous un comportement identique qu’ils ont tous eu à subir.

« Des mensonges » ? Pas quand on a des témoignages de professionnels extérieurs qui expliquent l’état de souffrance dans lequel ils ont trouvé les salariés. Avec un employeur qui a systématiquement éludé les questions gênantes sur son comportement lors de son audition par la police, il devenait délicat de défendre que cela n’avait jamais eu lieu.

Le courage des salariés qui ont témoigné

Mais ce n’est pas la condamnation (que l’employeur n’exécutera sans doute jamais) qu’il importe ici de se rappeler, c’est le courage de ces salariés, dont on sent qu’ils se sont fait violence pour témoigner, qui ont passé outre les sentiments de peur et d’humiliation vécus pendant des années par eux, et qui a permis de mettre en cohérence la plainte officielle que n’avait engagé qu’un seul d’entre eux.

Ils ont juste dit la vérité, ce qu’ils avaient subi, chacun pour lui-même et témoin pour les autres, sans fioritures, sans esprit de vengeance.

La Justice les a entendus, et les a, par ce simple fait, rétablis dans leur dignité et leur honneur.

C’est au-moins aussi important qu’une condamnation des faits.

Pour comprendre les procédures

Parce que ces procédures, qui mêlent le « cœur » et le « code », sont importantes, et permettent de comprendre aussi une partie de ce qui se joue dans le travail, vous trouverez ci-après l’avis judiciaire et l’analyse que l’inspection du travail a tirée des faits, et le jugement du 11 septembre 2023. Le tableau synthétique sur la jurisprudence applicable, réalisé en A3 en complément pour rendre immédiatement accessibles les données recensées dans l’avis a été également un évoqué comme un plus pour les magistrats, comme les références des arrêts de la chambre criminelle de la cour de cassation qui avaient été extraits du guide de jurisprudence mis à disposition sur le site de Souffrance et Travail.

Les documents :

L’avis judiciaire (anonymisé),rédigé par l’inspecteur du travail pour le procureur. + Le tableau (Pdf 453 Ko)

Le jugement (lui aussi anonymisé) du tribunal correctionnel. (Pdf 385 Ko)


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